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dimanche 25 mars 2007

Mots d’amour pour Louky

par Lucie Poirier






Écrits d'Élaine Audet



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« Si une femme a du génie, on dit qu’elle est folle. Si un homme est fou, on dit qu’il a du génie. » Érudite, intelligente, maternelle, innovatrice, Louky Bersianik exprime des évidences dans une révolte qui n’exclut jamais la bienveillance. Elle sait que « si ce monde est en train de s’effondrer c’est parce qu’il est patriarcal ».

Les créations puissantes de cette écrivaine impressionnante ont incité Andrée Parent des Elles de la Culture à organiser et animer le « Colloque sur l’oeuvre de Louky Bersianik » tenu à Montréal le 10 mars 2007. Cet événement fut traversé par de magnifiques interventions de Louky, l’écrivaine aimée.

Elle a été la première à proposer la féminisation du langage dont elle a nourri son oeuvre éclectique et inclassable où se rejoignent contes, paroles de chansons, scénarios, poèmes, romans.

D’abord Louise Poisson et Sophie Poissson lisent une introduction à l’oeuvre de Louky Bersianik d’Élaine Audet, qui souligne la place importante qu’y occupe le livre phare qu’est L’Euguélionne, roman triptyque, publié en 1976, et la participation de Louky à la théorie de la modernité par son travail constant et original sur la langue.

Appréciant la salle devant elle, Louky laisse échapper « Quel beau public », avant d’exprimer : « Pourquoi j’écris. J’ai CRIS en moi. J’écris pour me faire aimer parce que j’aime ça et que ça m’aime. Écrire c’est se faire plaisir par la plus grande jouissance. »

Puis, Andrée Yanacopoulo lit La main tranchante du symbole (éditions Remue-Ménage) paru en 1990. Dans cette oeuvre, Louky reprend un texte de Gaston Miron pour démontrer que les femmes subissent la même oppression que le colonisé. Elle déplore : « Le système a dévalorisé la maternité. Ne leur laissons rien passer aux maîtres de ce monde, ni l’ordinaire, ni le nucléaire. »

Lettrée qui a fait de longues études, Louky se passionne pour l’Antiquité et les dictionnaires qu’elle annote, m’avait-elle dit lors d’un atelier de création littéraire qu’elle animait et auquel je participais. Elle n’hésite pas à questionner, commenter et même contester ce qui est établi. Elle a ouvert des voies pour la recherche linguistique. Elle est aux sources de la féminisation des titres et a publié L’Euguélionne deux ans avant que Marina Yaguello fasse paraître Les mots et les femmes. L’Office québécois de la langue française s’est appropriée des innovations de Louky. Pourtant, son nom n’est pas mentionné dans les cours de littérature.

France Théoret déplore que « ce qu’elle a écrit ne lui est jamais attribué. Il faut rendre à l’auteure de L’Euguélionne ce qui lui revient, c’est un souci politique. Elle procédait de façon scientifique et linguistique et son invention avait un caractère poétique. »

Depuis longtemps, la phallocratie et la pornocratie nous sont infligées. Dès qu’une femme réclame l’application des droits humains pour elle et ses semblables, elle est traitée de vaginocrate. En France, lors de la création de la Commission pour la féminisation des noms de métier, présidée par Benoîte Groult de 1984 à 1986, Jean Dutourd avait titré dans son billet en première page de France Soir « Au secours, voilà la clitocratie ! », pour bien nous persuader que des hommes ne peuvent concevoir une organisation que selon des rapports de pouvoir, de force, d’imposition.

Pour Louky, les considérations diffèrent : « Le critère du génie est sa misogynie. Je crois à mon corps entier. Je crois au clitorivage ». Ces extraits de L’Eugélionne ont été partagés par Claire Varin et Aimée Dandois-Paradis avant que Louise Cotnoir rappelle les rencontres d’un groupe de féministes qui, pendant cinq ans, ont développé un travail sur le langage et la syntaxe jusqu’à élaborer l’ouvrage La théorie, un dimanche (éditions Remue-Ménage). Cet ensemble d’essais et de fictions résulte du partage, on est loin de la « cratie » élément signifiant gouverner ; partage de textes à lire et de rapports affectueux.

À Verchères, Louky accueillait les femmes dans sa maison qui tenait debout à cause des bibliothèques. C’est aussi dans sa maison que Louky est filmée avec son fils dans le documentaire Les Terribles vivantes de Dorothy Todd Hénaut. Voix écrite, voix parlée, voix vue, Louky dans ce film de 1986 proclame : « Si tu transformes le langage, tu transformes le monde. C’est extraordinaire d’être une femme et d’écrire. Les hommes, ils envient le pouvoir de reproduction des femmes. La femme qui devient visible est perçue comme une géante. Pourtant, elle est une petite souris perçue comme un monstre. »

Après la projection, Louky affirme : « Le féminisme est un art », alors que Dorothy ajoute : « Et c’est pas demain la veille qu’on n’en aura plus besoin ». Louky a déjà dit que le féminisme est aussi une philosophie ; la philosophie qui contient et dépasse toutes les philosophies.

L’atelier de création que je mentionnais précédemment m’avait amenée à rencontrer Louky et à découvrir des techniques pour dépasser la page blanche et les freins à l’écriture. Elle explore le mot selon le pôle matériel (lettres, syllabes, morphologie, sons...) et selon le pôle idéel (sens, dénotation, connotation, symbolisme...), elle puise ensuite dans ce foisonnement de mots pour opérer des associations, des commutations, des permutations tout en se référant aux origines du mot, à son étymologie, elle parvient à créer des mots.

Rendons à Louky ce qui lui revient : des mots ; des mots de gratitude, d’appréciation, d’éloge, d’amour. Au cours du colloque, je restais près d’elle, éblouie, car elle est douce, fascinante, attirante ; elle nous convie à son amour inconditionnel de la vie, des êtres, des mots, de l’écriture, de la création.

Elle est ma maîtresse à penser.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 mars 2007



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Lucie Poirier

Directrice-fondatrice des éditions Les Mots Bancs, spécialisées dans le livre objet d’art à tirage limité, elle a publié, entre autres, son théâtre poétique Les Amoureux de l’Autre Monde. En 1992, elle a reçu le Prix de la plus belle lettre d’amour avec Lettre à Benjamin. Maître ès arts, Lucie Poirier exprime ses convictions humanistes et pacifistes, ses idéaux érotiques et féministes, à travers ses œuvres poétiques et ses articles socio-politiques.



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