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lundi 2 juin 2003


Au Québec
Les féministes rendent hommage à des compagnons de route

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Pour souligner ses trente ans, le Conseil du statut de la femme a rendu hommage (CSF), le 24 mai dernier, à treize hommes du Québec qui se sont illustrés par leur soutien aux luttes des femmes pour l’égalité. Lise Payette, communicatrice et ex-ministre, a présidé à cet hommage qu’elle a qualifié de "femmage", un moment fort marqué par la bonne humeur et un brin d’émotion.

Les treize hommes honorés par les Québécoises proviennent de presque tous les milieux : communautaire, municipal, universitaire, médical, syndical, artistique et médiatique.

Des ponts vers le féminisme

M. Robert Ayotte, un intervenant de l’Accord Mauricie qui offre des services aux hommes violents, s’est réjoui que des ponts aient été créés depuis 1990 entre les maisons d’hébergement pour les femmes victimes de violence et les groupes qui interviennent auprès des hommes violents. "Cette collaboration m’a permis d’élargir ma vision de la réalité", a déclaré M. Ayotte, qui fait la promotion des principes du féminisme. "C’est plus facile pour les hommes de dire que les femmes sont responsables de la violence que de se convaincre qu’il leur faut d’abord se regarder pour changer la situation."

Le secrétaire du Collectif masculin contre le sexisme, M. Martin Dufresne, a dénoncé depuis plus de 20 ans toutes les formes de violence et les résistances masculines. En acceptant l’hommage qui lui était rendu, il a dit avoir beaucoup appris en lisant ou écoutant Christine Delphy, Marie Savard, Clémence Desrochers... et "Les Dames de coeur", célèbre téléroman de Lise Payette. "Mes modèles, ce sont des femmes fortes, pas toujours hétérosexuelles, et qui ont avancé courageusement. Je voudrais que beaucoup d’hommes, chacun à sa façon, chacun dans son milieu, osent confronter non seulement la violence des autres hommes, mais leur propre violence, sans en blâmer les femmes, comme le font aujourd’hui les masculinistes". M. Dufresne a déclaré que si l’État traitait les hommes violents comme des citoyens responsables, il les punirait au lieu de les renvoyer à la maison dans des conditions souvent très dangereuses pour les femmes et les enfants. "L’État abdique une responsabilité très importante, et la réforme de la loi sur le divorce va empirer la situation", a-t-il conclu.

Le Conseil du statut de la femme a souligné également le rôle qu’a joué auprès des féministes M. Jacques Fournier, organisateur communautaire au CLSC de Longueuil ouest sur la rive sud de Montréal et rédacteur en chef depuis 15 ans de la revue Interaction communautaire. M. Fournier a beaucoup écrit sur les rapports hommes/femmes, la cause féministe et il est connu pour son appui indéfectible aux groupes de femmes, un appui qui se manifeste au quotidien dans sa vie professionnelle. "J’ai la chance de faire un travail que j’aime encore après plusieurs années, a-t-il déclaré. Beaucoup de femmes travaillent dans le milieu communautaire, elles veulent changer concrètement les choses, combattre les inégalités, la pauvreté. J’ai des modèles quotidiens de femmes qui gagnent une bouchée de pain pour faire un travail extraordinaire, et leur exemple me dynamise." M. Fournier, qui a deux filles, "élevées de la façon la plus saine possible", souhaite pour elles un monde égalitaire. "Je vis des années de grand bonheur avec mes filles. Elles deviendront ce qu’elles choisiront et je suis d’accord avec leurs choix, quels qu’ils soient."

Un maire à l’écoute

"Je pourrais dire, moi aussi, qu’il y a des "femmes de ma route", non seulement au conseil municipal, mais ailleurs", a déclaré en citant quelques noms le maire de Notre-Dame-des-Prairies et président du Conseil régional de développement de Lanaudière, M. Alain Larue. M. Larue a participé à la Marche mondiale des femmes en tant que maire, il a amené la municipalité à faire don d’un terrain au Centre des femmes et a mis en place une politique familiale, des structures en condition féminine dans l’entente spécifique de développement. Enfin, il se soucie de la représentation équitable des femmes dans toutes les sphères de la vie. Devant un homme si bien disposé envers les femmes, Mme Payette l’a invité à se présenter à la mairie de Montréal... "Les petites municipalités sont plus en mesure de mettre en place des réformes, a répondu M. Larue, si elles veulent se donner l’obligation de la parité, et ainsi elles donneront l’exemple aux grands centres."

Dans les années 1970, déjà, l’actuel directeur général du Conseil régional de développement d’Abitibi-Témiscamingue, M. Guy Lemire, avait mis sur pied, avec l’AFEAS, un salon de la femme féministe. Depuis, il a fait valoir sur plusieurs tribunes l’importance des femmes dans le développement des collectivités en mettant en relief, dès 1990, leur travail bénévole trop souvent occulté. Il a publié, lors de la Marche mondiale des femmes, un texte d’un poète locale pour rendre hommage aux femmes de l’Abitibi-Témiscamingue. M. Lemire a livré un témoignage émouvant en soulignant que la naissance de ses filles avait été à l’origine de sa prise de conscience. "Quand les enfants sont né-es, a-t-il dit, il y a eu un tournant dans ma vie. Pour mes filles surtout, j’ai compris qu’il y avait un apprentissage à faire dans la façon de les regarder, de les écouter, de les accompagner. Filles et père ont évolué ensemble, c’est un beau cheminement, mais il est toujours fragile. Mes filles me ramènent à l’ordre parfois. Nos idéaux, il faut toujours les revisiter, c’est la plus belle quête qui m’anime encore." M. Lemire souhaite que ses filles prennent exemple sur les pionnières de leur région et se créent une vie à elles, libre. Il a confié qu’il n’avait pas hésité, un jour, à accompagner ses filles lors d’un avortement parce que "des hommes les avaient laissées tomber et je trouvais importante la présence d’un homme dans ces circonstances."

Le Conseil du statut de la femme a souligné également l’engagement pro-féministe de M. Claude Courchesne, réparateur électricien à la Société de transport de Montréal et représentant syndical au Syndicat des transports de Montréal. M. Courchesne a appuyé les travailleuses dans les domaines non traditionnels et les a encouragées à participer à la vie syndicale. Il a également sensibilisé son milieu de travail, facilitant ainsi l’intégration des femmes. M. Courchesne a rappelé qu’aujourd’hui des femmes font la réparation des rues, notamment dans son groupe. "Au syndicat, j’ai fait des pressions auprès des employeurs pour qu’il embauche plus de femmes et de jeunes, a-t-il dit, c’est un enrichissement pour l’équipe. Le syndicalisme veut la promotion de la justice sociale, bien que ce ne soit pas ce qui ressorte dans les médias. Le partage des richesses indique présentement un écart croissant entre riches et pauvres", a-t-il conclu.

Un engagement pour la liberté

M. Jean-Claude Saint-Amant, historien et chercheur au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) a reçu l’hommage des femmes du Québec pour sa contribution dans le domaine de l’éducation. Il s’est démarqué, notamment, par ses travaux sur la réussite à l’école selon le sexe. Ses publications et ses interventions publiques témoignent de son souci d’une société fondée sur l’égalité. « Le jour où on comprendra qu’on doit élever des personnes épanouies plutôt que des garçons épanouis, on réglera le problème des écarts scolaires entre filles et garçons, a déclaré le chercheur. Il y a une culture de la masculinité qui est nuisible et qu’on doit changer. »

La société entière a une responsabilité dans les comportements des garçons à l’école, selon le chercheur. "Dans la conjoncture présente, il faut d’abord calmer le jeu, corriger les inepties qui mettent en cause la responsabilité des femmes à la maison, des enseignantes à l’école, des femmes monoparentales. Il faut dire que cela n’a rien à voir, que les enjeux ne sont pas là, que le changement ne passera pas davantage par la non-mixité scolaire, par le retour des modèles des années 50." M. Saint-Amant en a peut-être surpris plusieurs en déclarant "que ce qu’on appelle la crise d’identité masculine ne correspond pas à la réalité." S’il y a des personnes qui se posent des questions, qui se cherchent, à son avis, "il n’existe pas vraiment de questionnement sur la masculinité. On n’a pas entrepris d’expliquer aux hommes comment être d’abord des personnes, dans une liberté et une diversité de rôles. " Le chercheur a confié s’être engagé dans cette voie également pour sa propre évolution, "afin de développer cette liberté et le respect de moi-même, plutôt de rester encarcané dans des modèles sclérosants."

Le CSF a souligné la contribution du Collectif d’hommes du Théâtre Parminou (Michel Cormier, Réjean Bédard, François Roux) aux prises de positions féministes de la troupe et à ses créations théâtrales visant à faire avancer les différentes causes des femmes. Depuis le début des années 1970, le Théâtre Parminou a en effet monté de nombreux spectacles liés à la condition des femmes. "Ce n’est pas que cela rapporte, a déclaré l’un des membres du collectif, mais nous l’avons toujours fait par conviction. Il y a des femmes évidemment dans le Parminou, c’est probablement grâce à elles que nous sommes ici. La présidente du théâtre Parminou est une femme, c’est elle qui nous dirige. Déjà en 1973, nous étions la coopérative des travailleuses et travailleurs du théâtre des Bois-Francs. Cela a été un long débat et finalement elles ont gagné."

Des machos repentis ?

Faisant allusion à un célèbre monologue d’Yvon Deschamps, Lise Payette a remis à l’humoriste la sculpture offerte aux compagnons de route en lui disant : "De la part des ’épaisses’. Nous t’avons compris." Dans ses monologues sur les femmes, dont les premiers remontent à 1972-1973, Yvon Deschamps a su parler de leurs conditions de vie avec lucidité et humour. L’humoriste a confié que sa prise de conscience de la condition des femmes est liée à son engagement au Chaînon, une maison d’hébergement pour les femmes victimes de violence que soutient sa femme Judy Richard depuis nombre d’années. Les femmes du Chaînon lui ont ouvert les yeux sur la violence et les attitudes machistes : "Je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose, et mon premier monologue sur le sujet s’appelait La libération de la femme. Au début, cela a été difficile. C’était tellement choquant, ça a fait mal. Pour moi, d’être sur scène le gars "écoeurant" que tout le monde connaît, hait et accepte quand même, c’était ma façon d’être un féministe."

"Je ne peux pas mettre ma main au feu qu’il n’était pas macho autrefois, a déclaré Lise Payette en accueillant Jacques Languirand, mais il s’est amendé depuis, il est devenu quelqu’un que les femmes peuvent écouter quotidiennement à la radio sans jamais se sentir mal à l’aise". Éminent communicateur, animateur de radio et écrivain, M. Languirand utilise ses tribunes pour faire valoir les droits des femmes et les valeurs féministes. "Peu à peu, grâce à la révolution que les femmes ont suscitée, a-t-il dit, mon point de vue s’est transformé. À un moment, c’est devenu très évident pour moi que je ne pouvais pas vivre avec une femme qui était une mineure, ni avoir une fille qui serait considérée comme une mineure. Je ne pouvais pas supporter cette idée parce que c’était dévalorisant pour moi. Le fait d’avoir à le communiquer à la radio, dans les conférences, ailleurs, m’a placé dans une situation où il fallait vraiment que j’évolue très vite sur ce plan. Finalement, j’ai accepté ce rôle et je m’y maintiens." M. Languirand comprend mal que les hommes résistent aujourd’hui aux aspirations des féministes en dépit de toute l’information qui circule sur le sujet et des circonstances qui permettent de prendre conscience, de s’éveiller. Lui rappelant qu’il est l’un des rares de son milieu à comprendre et à défendre le féminisme, Lise Payette a souhaité qu’il n’abandonne pas, en dépit des difficultés. "Je n’abandonnerai pas, a-t-il répondu, parce que je suis de plus en plus engagé sur cette voie et, je dirais, compromis. Vous pouvez compter sur moi."

Le courage et l’engagement

Enfin, le Conseil du statut de la femme a rendu hommage à un autre "compagnon de route" des Québécoises, et non le moindre, le Dr Henry Morgentaler, qui n’a pu être présent à la rencontre du 24 mai. Il a reçu des applaudissements nourris de femmes debout avant que ces dernières n’apprennent avec regret son absence. Aucun homme québécois, peut-être, n’a pris autant de risques pour les femmes que le Dr Henri Morgentaler qui était convaincu de leur droit à des services d’avortement sûrs et accessibles aux femmes de toutes les classes. Soutenu par le mouvement des femmes, le Dr Morgentaler n’a jamais renoncé à son combat, même au prix d’être emprisonné pour la cause qu’il défendait. Sans lui, les femmes du Québec (et du Canada) auraient mis plus de temps à accéder à des services d’avortement gratuits.

Le jury qui a choisi les "compagnons de route", parmi les noms que des Québécoises de toutes les régions ont soumis au CSF, était composé de Clairandrée Cauchy, Françoise David, Christine Fréchette, Diane Lavallée et Monique Simard. La sculpture en fer forgé offerte aux hommes honorés est une création exclusive des artistes en ferronnerie Gaston Rousseau et Dianne Verreault, de la Forge des Éperviers. Rendez-vous peut-être dans dix ans pour le 40e anniversaire du CSF...

Mis en ligne sur Sisyphe le 30 mai 2003



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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