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jeudi 4 décembre 2014 De Polytechnique à Pauline Marois
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Vingt-cinq ans, c’est la moitié de ma vie. Je n’ai pu manquer d’être bouleversée par la tuerie de la Polytechnique, car j’avais presque le même âge que les victimes, quatorze jeunes femmes fauchées dans la fleur de l’âge, pour le simple fait d’être femmes et d’avoir investi une profession autrefois l’apanage des hommes : le génie. Nier aux femmes le droit au génie, le terme lui-même est révélateur. Alors que nous procédons au nécessaire bilan qu’apporte la commémoration des 25 ans de cet événement tragique, un autre événement douloureux, de même nature, s’impose à moi : l’attentat qui visait la première ministre élue, au Métropolis, le soir de l’élection du 4 septembre 2012. Un attentat qui a fait un mort, un blessé grave et qui ciblait, à n’en pas douter, la nouvelle chef du gouvernement, Pauline Marois, élue sous la bannière du Parti québécois. La première femme première ministre dans l’histoire du Québec. Un acte d’une grave portée que les médias ont pratiquement occulté. L’actualité récente ne peut manquer de nous le rappeler. Autant on a magnifié la portée des attentats d’octobre dernier contre deux militaires, à St-Jean-sur-Richelieu et à Ottawa, les élevant aussitôt au rang d’actes terroristes, autant on a minimisé l’attentat ultimement dirigé contre la première ministre élue du Québec, qui a fait une victime. Et dans ce dernier cas, comme le démontre l’enquête, l’accusé Richard Bain était encore plus lourdement armé que les auteurs des deux autres attentats. En outre, au plan de la préméditation, des caméras de surveillance l’ont capté se rendant en repérage sur les lieux du crime le jour de l’attentat. Un traitement médiatique et politique diamétralement opposé pour des actes porteurs de grandes similitudes ne peut laisser indifférent. Pourquoi ? À ce jour, des 16 chefs d’accusation déposés contre Richard Bain, aucun ne vise des actes terroristes ou une atteinte à la sécurité de l’État. Puis-je suggérer que si, au Québec ou ailleurs au Canada, un francophone avait visé un premier ministre, masculin de surcroît, les réactions auraient été tout autre ? La violence envers les femmes serait-elle moins sérieuse ? Je me souviens du fort mouvement médiatico-politique, au lendemain du 6 décembre 1989, où tout fut déployé pour réduire la portée des actes graves et délibérés de Marc Lépine à l’encontre des femmes à un cas isolé, simple fait d’un homme « dérangé ». Et ce, malgré les paroles claires du tueur, lors de la perpétration de ses crimes, ciblant précisément les femmes, et sa confession résolument antiféministe dans une lettre. Il a fallu un inlassable travail de mémoire et de prise de parole, des familles des victimes, des mouvements féministes et de certains-es intellectuels-les pour attacher à cette barbarie le sens qui doit être le sien, provoquer la réflexion collective et identifier des modes de prévention, dont le contrôle des armes à feu. Pour sa part, au moment de son arrestation, Richard Bain a déclaré, pour justifier son acte : « Les Anglos se réveillent. » Peu d’éditorialistes et de commentateurs ont relevé et analysé la portée de cet aveu et les motivations de l’accusé pour justifier l’irréparable. L’effet d’entraînement potentiel de certains médias anglophones, résolument anti-francophones, devrait notamment être étudié. Au-delà de chercher des coupables, ce silence s’avère méprisant et délétère pour le devoir de mémoire autour des victimes du 4 septembre 2012, pour élucider la menace que cet acte a fait peser sur une chef d’État légitimement élue, mais surtout pour dénouer cette impasse entre les deux solitudes, et pour la symbolique ossifiée qui a pu mener à un tel geste. La littérature et le devoir de mémoire Heureusement que le devoir de mémoire trouve refuge dans la littérature. Tout d’abord, le roman Malabourg (Gallimard, 2014), de l’écrivaine québécoise Perrine Leblanc, qui contient à mon sens une métaphore de ces deux événements : il débute avec la mort de trois jeunes femmes innocentes dans un village et se termine par le visionnement en direct du discours de victoire de « la femme en bleu que des gardes du corps interrompent soudainement ». Les trois jeunes femmes assassinées sont transmuées en un parfum aux effluves de roses rarissimes, comme les 14 victimes de Polytechnique sont dans la réalité personnifiées par la rose blanche. Pour sa part, l’écrivain français François Weyergans, de l’Académie française, dans son dernier roman, Royal romance (Julliard, 2012), qui se déroule au Québec, relate les événements du 6 décembre 1989 et cite avec un grand respect les noms des 14 victimes, « gravés sur une plaque scellée dans le mur de l’École polytechnique où elles furent assassinées ». La tristesse et la solennité trouvent leur place dans ce roman, truffé de digressions aussi essentielles que la trame narrative, qui se veut avant tout une histoire sur l’amour et la perte. C’est en faisant face à l’épreuve que l’on peut grandir, comme individu et comme peuple. Mis en ligne sur Sisyphe, le 2 décembre 2014 |
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