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samedi 6 décembre 2014

Polytechnique 6 décembre 1989 - Elles étaient toutes nos filles
Traduction : Marie Savoie

par James Quig






Écrits d'Élaine Audet



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Le 6 décembre 1989, j’étais à la maison avec ma fille de deux ans qui jouait tranquillement avec ses blocs devant le téléviseur. Tout à coup, on a interrompu l’émission pour faire une annonce spéciale : il y avait eu une fusillade à l’Université de Montréal. Comme tout le monde, je me suis demandé avec angoisse ce qui se passait.

Mais dès qu’on a dit que le tueur avait séparé les garçons des filles, pour ensuite faire feu sur les étudiantes, j’ai compris. J’ai tout de suite deviné le pire.

Dans les jours qui ont suivi, les gens ont exprimé leur chagrin et leur désarroi devant le drame. Les esprits et les coeurs étaient à vif. On cherchait à comprendre. On proposait des explications dont la plus répandue était qu’il s’agissait d’un "tireur fou". La fusillade était l’acte entièrement arbitraire d’un déséquilibré. Il ne fallait pas chercher plus loin.

Or, des groupes féministes ont proposé une autre interprétation, celle qui m’avait semblé évidente dès le départ : les meurtres commis par Marc Lépine étaient la manifestation extrême de la misogynie ambiante.

Mal leur en prit. De nombreux journalistes de la presse francophone, y compris ceux qui jusque-là m’avaient semblé les plus progressistes, les ont attaquées avec une rare virulence, les accusant même de vouloir récupérer la tragédie de Polytechnique au profit de leur cause. Marc Lépine était un déséquilibré, un point, c’est tout. Et malheur à quiconque osait proposer une autre analyse.

Pour ma part, j’étais perplexe devant la hargne avec laquelle on s’en prenait à celles qui ne partageaient pas la thèse "officielle". Au lieu de condamner la violence meurtrière qui avait volé l’avenir de ces jeunes étudiantes, on accablait d’injures les groupes de femmes.
Les féministes avaient osé appeler un chat un chat, et on les avait mises au pilori.

Pendant cette période éprouvante, j’ai été réconfortée par l’article ci-dessous paru dans la presse anglophone et que j’ai traduit. Il était signé par un homme qui, lui, reconnaissait le rôle joué par la misogynie dans la tuerie. De surcroît, il affirmait que c’était aux hommes de combattre la violence contre les femmes, puisqu’ils en étaient les auteurs. Il saluait le courage des jeunes femmes qui essayaient de se tailler une place dans un monde qui leur était hostile et en appelait aux hommes pour que cesse la violence contre elles.

Un quart de siècle après la tragédie, tout le monde semble reconnaître la justesse de l’interprétation initiale mise de l’avant par les groupes féministes. Mieux vaut tard que jamais, mais on peut espérer qu’à l’avenir, devant des manifestations de misogynie aussi flagrantes, on ne mette pas aussi longtemps à les reconnaître. Marie Savoie

***
Elles étaient toutes nos filles*
par James Quig

Elles ont été tuées au combat.

Elles sont mortes à la guerre.

Nous les aurions acclamées dans les rues de Prague ou de Berlin. Mais elles se sont attaquées à un mur beaucoup plus ancien.

Elles ne voulaient plus se contenter d’être des filles modèles, douces et gentilles.

Elles voulaient être ingénieures.

Tout comme Martin Luther King, elles avaient un rêve. C’était leur seule arme.

Et c’est à cause de ce rêve qu’il les a tuées.

Qu’elles l’aient voulu ou non, qu’elles l’aient su ou non, elles étaient les filles d’une révolution.

Toutes. Elles sont toutes nos filles. Celles qui sont mortes et celles qui sont encore avec nous.

Nos filles voulaient avoir leur part. C’est ce qui en a fait des ennemies aux yeux de Marc Lépine.

"C’était un malade", diront les hommes de bonne volonté. Bien sûr qu’il était malade. Bien sûr que tous les hommes n’agissent pas de la sorte.

Mais que les hommes de bonne volonté ne se défilent pas. Qu’ils ne se cachent pas derrière cette explication trop facile. Qu’ils ne regardent pas ailleurs.

Il n’y avait aucun homme sur la liste de Marc Lépine. Les hommes de bonne volonté doivent s’arrêter et se demander pourquoi.

Ce sont des hommes qui maltraitent les femmes. Qui donnent les coups de poings. Qui tirent les coups de feu. Qui bâtissent les murs.

Et seuls les hommes peuvent mettre fin à toute cette violence.

Quand au juste la violence contre les femmes est-elle devenue une affaire de femmes ?

Comment en est-on arrivé à considérer le coup de poing qu’un homme assène au visage d’une femme comme un problème de femmes ?

Pourquoi des hommes civilisés continuent-ils à faire mal aux femmes qu’ils aiment ?

L’autre soir, lors de la vigile pour les victimes, j’ai entendu un jeune homme dire "Reste calme" à une femme en colère.

Il avait tort. L’heure n’est pas au calme, mais à la colère. La colère doit s’emparer des hommes. Ce n’est pas un problème à refiler aux groupes de femmes. Ce n’est pas qu’une autre revendication des groupes féministes.

Nos filles ont peur de nous.

Aujourd’hui plus que jamais, il faut le dire tout haut et sans faux-fuyants : c’est aux hommes de s’attaquer au problème. Quand agirons-nous ? Quand nous préoccuperons vraiment de la violence contre aux femmes ?

Elles sont courageuses, ces jeunes filles qui expient les fautes de leurs pères.

À force de cran, de travail et d’acharnement, elles percent les murs que nous avons érigés.
Courageuses à la maison, courageuses au travail, courageuses au bureau.

"Désolée, papa, mais je ne suis pas de ton avis.

"Les choses ont changé - ce n’est plus comme cela".

Elles font des brèches dans nos murs. Pour le droit d’emménager avec lui. Pour un meilleur emploi. Pour un salaire égal. Pour de bonnes garderies.

Elles sont assez courageuses pour faire respecter leur choix quand elles disent non.

Assez courageuses pour se défendre. Assez courageuses pour vouloir plus et pour faire plus.

Assez courageuses aussi pour être mères, femmes de maison ou ingénieures.

Voilà l’étoffe dont nos filles sont faites.

Elles étaient si près de nous que nous ne l’avons pas remarqué. Si près, que nous ne les avons pas acclamées.

Publié dans The Gazette, Montréal, le 10 décembre 1989.

*Note sur le titre cet article

Les mots "All My Daughters", qui se détachent dans le titre anglais, sont une allusion à la pièce de théâtre intitulée "All My Sons", oeuvre d’Arthur Miller, dramaturge américain connu pour son engagement social. L’intrigue peut se résumer ainsi : un marchand d’armes dont le fils est mort à la guerre dans un écrasement d’avion finit par reconnaître sa responsabilité dans la mort de son propre fils et des 31 autres pilotes qui ont péri avec lui. Il avait vendu des pièces d’avion défectueuses. Accablé de remords, il se suicide. Juste avant de le faire, il tient les propos suivants, dont le titre de la pièce s’inspire : “Sure, he was my son. But I think to him they were all my sons. And I guess they were, I guess they were.” [Traduction : Bien sûr, c’était mon fils. Mais je pense qu’ils étaient tous mes fils. oui, je le pense. C’étaient tous mes fils.] Miller veut montrer que nous avons tous une part de responsabilité dans la guerre. Dans son article, James Quig adresse un message semblable aux hommes, au sujet de la violence contre les femmes.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 décembre 2014

 Aussi sur Sisyphe : « La violence contre les femmes, riposte des pouvoirs menacés »



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James Quig


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