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vendredi 6 mars 2015 Teesta Setalvad, l’âme de la lutte pour la laïcité en Inde
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Je veux parler ici de Teesta Setalvad, juriste, journaliste et féministe, qui joue un rôle significatif dans la lutte pour la laïcité et les droits des personnes persécutées en Inde. Pour bien saisir l’envergure de son combat, je décrirai d’abord brièvement le contexte politique et communautariste de l’Inde. L’Inde bâtie sur le communautarisme La façon dont l’Inde a accédé à l’indépendance en 1947 a, aujourd’hui encore, des conséquences dévastatrices. La Fédération indienne s’est bâtie sur la partition du sous-continent lors de sa décolonisation. Avec l’aval de l’Empire britannique, trois pays se sont créés sur ses ruines, selon des critères de regroupement religieux, linguistiques et ethniques : l’Inde pour les hindous, le Pakistan, de langue ourdoue, et le Bangladesh, de langue bengalie, (alors dénommés Pakistan occidental et Pakistan oriental) pour les musulmans. Certes, chacun de ces pays a affirmé haut et fort que les minorités de ‘l’autre’ religion seraient bien accueillies, mais en fait la partition du sous-continent a donné lieu à un nettoyage intercommunautaire de très grande ampleur, dont le traumatisme reste très présent dans l’esprit de tous et de toutes. Bâtie donc sur le communautarisme, l’Inde maltraite ses diverses minorités (voir les récentes attaques contre les églises, les couvents et les chrétiens), et en particulier sa minorité musulmane (environ 180 millions soit 20% de la population), d’une part, de façon très classique, par la discrimination dans l’éducation, l’emploi, le logement, mais aussi par des pogroms qui, très régulièrement, endeuillent le pays. La droite religieuse hindouiste les encourage, voire les planifie. Ses troupes de choc sont organisées sur le modèle de celles des Nazis, et les leaders hindouistes ne cachent pas leur filiation hitlérienne historique. Dire que la situation a empiré sous le règne de l’actuel Premier ministre hindouiste Modi serait un euphémisme. Certes, l’Inde se proclame un pays laïque, mais il faut entendre ici par laïcité non pas la séparation du religieux et de l’État, mais le fait, pour l’État, de traiter équitablement les diverses représentations des religions. C’est en fait la définition héritée de la colonisation britannique. Rappelons-le, l’Angleterre est dirigée par une reine qui est également chef de l’Église anglicane. Ainsi, en Inde, les différentes communautés religieuses sont régies par différentes lois de statut personnel – lois qui ne sont pas débattues au parlement ni votées par le peuple, mais imposées par les clercs, au nom de dieu. Les féministes indiennes et la laïcité Dans les années 70 et 80, les féministes indiennes ont bien essayé de se battre contre ces législations communautaristes qui affectent spécifiquement les femmes puisqu’elles touchent au mariage, au divorce, à la pension alimentaire, à la garde des enfants, à l’héritage, etc. Elles ont alors réclamé un même code civil pour toutes et tous (‘uniform civil code’), donnant aux femmes - à toutes les femmes quelle que soit leur religion - les droits universels que la CEDAW leur reconnaît. Elles ont reculé lorsque la droite hindouiste s’est emparé de ce projet pour promouvoir, sous couleur de laïcité, la loi de statut personnel hindoue. Bien entendu, c’est celle que la majorité hindoue en Inde considère comme la plus avancée, celle sur laquelle les minorités doivent donc s’aligner ! On voit un phénomène identique se mettre en place en France ces dernières années, avec le Front national tentant de récupérer à son profit – et clairement contre la minorité musulmane – le concept de laïcité. C’est dans ce contexte de manipulation politicienne de la laïcité par l’extrême droite hindouiste que les féministes ont abandonné le projet laïque en Inde. La lutte pour la laïcité au temps des guerres de religion Mais pas toutes les féministes. Une jeune femme de Bombay a repris le flambeau – et le paie aujourd’hui très cher ! Teesta Setalvad, juriste et journaliste, et son mari Javed Anand, lui aussi journaliste, ont créé deux initiatives remarquables, dès le début des années 90, il y a donc déjà 25 ans. D’abord un magazine, fort justement appelé Communalism Combat (Combat Contre le Communautarisme), qui propage les analyses anti-communauristes et recense les initiatives laïques. Après la démolition de la Mosquée Babri par les intégristes hindouistes en décembre 1992 et les violences anti-musulmanes qui s’ensuivirent, - en particulier les pogroms contre les musulmans à Bombay (Mumbai) en 1993 pendant lesquels ceux-ci se faisaient assassiner dans la rue par les foules en furie (officiellement 900 morts) -, Teesta et Javed (l’une de tradition familiale hindoue, l’autre de tradition familiale musulmane, et tous deux laïques déterminé-es) quittèrent leurs emplois lucratifs dans la grande presse pour fonder ce magazine contre l’intolérance et la violence communautariste. Puis, une organisation nommée ‘Khoj – éducation pour une Inde plurielle’, qui se déplace à la demande dans les écoles primaires et secondaires et organise des modules de formation des enseignant-es à l’éducation laïque. Le tournant décisif des massacres au Gujarat Au moment des massacres de musulmans dans l’État de Gujarat en 2002, Teesta prit la tête des initiatives pour venir en aide aux survivant-es. Elle fut immédiatement sur les lieux, et épouvantée et révoltée par l’ampleur de l’horreur et par les récits des survivants, elle entreprit de les défendre en justice. Pendant trois jours, au moins 2000 musulman-es furent assassiné-es, des femmes violées, des enfants brulés vifs. Un véritable exode s’ensuivit : de 140 000 à 200 000 personnes s’enfuirent, abandonnant tout ce qu’elles possédaient. Ces carnages se poursuivirent pendant trois mois. Le chef de l’État du Gujarat, sous la responsabilité duquel ces carnages purent s’accomplir, était le représentant du parti hindouiste BJP, Narendra Modi, qui est depuis devenu Premier ministre de la Fédération indienne. C’est dire que Teesta s’est attaquée à forte partie. Et c’est une première en Inde. Comme elle le dit elle-même, c’est une chose de recueillir des témoignages, de compiler des renseignements et des dossiers, et même de les publier, comme le font les organisations de droits humains, et c’en est une autre d’aller en justice, de demander réparation auprès des tribunaux et que la responsabilité des auteurs de crimes soit publiquement reconnue – surtout s’il s’agit des dirigeants d’un État. Peu d’avocat-es des droits humains prennent ce risque : Teesta l’a pris. ‘Citizens for Justice and Peace’ (Citoyens pour la Justice et pour la Paix), créé par Teesta en 2002 après les massacres au Gujarat, subit depuis une véritable chasse aux sorcières destinée à la réduire au silence. CJP chérit le principe pluraliste de la démocratie et de la laïcité en Inde, se consacre à rendre justice aux victimes sans distinction de caste ou de croyance religieuse et à faire punir les auteurs des crimes de masse, qu’il s’agisse de violence au nom des communautés ou des castes, ou d’actes de terreur. Teesta a déjà porté en justice 68 cas de victimes au Gujarat, malgré d’incroyables difficultés et menaces. Grâce à son action, - et à la courte honte de la Justice dans l’État du Gujarat -, des plaintes ont été transférées hors de l’État, pour s’assurer de l’indépendance des tribunaux. Des condamnations ont été prononcées, dont celles de ministres en exercice. L’actuel Premier ministre de l’Inde – pour des actes commis lorsqu’il était chef de l’État du Gujarat - est mis directement en cause dans le procès intenté par Zakia Jafri, la veuve d’un ex-parlementaire qui fut brûlé vif dans sa maison, malgré les appels au secours téléphoniques à ses collègues et au chef de l’État, réclamant leur protection. Bien des choses laissent penser que ce massacre fut orchestré au plus haut niveau, avec la complicité de nombreux services de l’État - et qu’il faut donc absolument faire taire Teesta. Répression sous le gouvernement fédéral du BJP Depuis 2002, Teesta a subi d’innombrables menaces et manoeuvres afin de la discréditer et de lui faire abandonner le combat. Depuis plusieurs années, des gardes armés doivent en permanence la protéger, pour prévenir un éventuel assassinat par des intégristes hindouistes. La juriste a aussi été traînée en justice plusieurs fois, et en est toujours sortie la tête haute. Récemment, on vient de l’accuser de malversation. Mais cette fois-ci, l’État du Gujarat, qui aurait pu et dû se contenter de ses livres de comptes, de ses talons de chèques et relevés bancaires – toutes preuves qu’elle leur a d’ailleurs fournies -, exigeait qu’elle et son mari Javed soient d’abord emprisonnés pour interrogatoire ! On peut imaginer leur angoisse. Tous deux se sont adressés à la Cour suprême de l’Inde, demandant que leur liberté soit garantie. La Cour a statué en leur faveur, il y a quelques jours seulement, au grand soulagement de Teesta, de Javed et de leurs ami-es et supporteur-es : en effet, les interrogatoires en prison ont fort mauvaise réputation en Inde et l’on craignait beaucoup pour leur sécurité. Teesta et Javed sont donc repartis à Bombay faire face à ce nouveau procès inique et vont tenter d’obtenir que leur cas soit jugé hors de l’État du Gujarat. L’étau se resserre sur Teesta, et sa bataille contre le communautarisme, pour la justice et la laïcité est loin d’être terminée : elle aura encore besoin longtemps de soutien national et international. Pour entendre cette femme exceptionnelle, passée au feu d’épreuves qui en auraient fait taire plus d’une, et qui craint à juste titre pour sa liberté et pour sa vie, il faut écouter (en anglais), cette magnifique interview donnée pendant qu’elle attendait anxieusement à Delhi la décision de la Cour suprême lui évitant l’incarcération et probablement la torture. Sa clarté politique, son intégrité intellectuelle, son dévouement sans bornes envers les victimes du communautarisme, sa foi en la laïcité, pourraient nous inspirer toutes et tous. – – Autres renseignements sur IBNLIVE et sur la page Facebook de Teesta Setalvad. Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2015 |
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