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mercredi 11 mars 2015

Éducation et féminisme : beaucoup de chemin à parcourir

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence






Écrits d'Élaine Audet



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Il y a quelques années, je prenais une bouchée dans un petit restaurant de Montréal tout près d’une école primaire où je venais de m’adresser aux élèves. Je mangeais au comptoir devant un écran de télé allumé en permanence. Aux nouvelles TVA, on avait invité un expert québécois en éducation à commenter une déclaration de G. W. Bush qui réclamait le retour aux écoles séparées pour garçons et pour filles. J’entends alors le psychiatre consulté déclarer : “Il n’y a pas de problème de violence dans nos écoles mixtes. Le vrai problème c’est qu’on a trop de femmes et qu’elles ont la tête enflée par le féminisme.”

Voilà le type d’experts à qui on donne le micro pour diffuser des insignifiances à un demi-million de spectateurs et spectatrices et pour nourrir les préjugés à l’endroit de personnes qui s’évertuent à éduquer les enfants des autres. Le culte de l’imbécilité et de la suprématie machiste a la vie dure, et pas seulement dans la bouche des faux experts ni dans les comportements des héros mis en scène dans les émissions de télé pour capter l’attention des enfants.

*

Ces dernières années, j’ai entendu et lu des discours inquiétants sur le féminisme. Certains considèrent que la révolution féministe est complétée et souhaitent qu’on tourne la page. D’autres vont même réclamer l’abolition du Conseil du statut de la femme. À la veille du 8 mars 2015, j’aimerais attirer l’attention sur quelques faits qui démontrent le chemin à parcourir, en particulier dans le domaine de l’éducation.

Publicité, pornographie et rapports garçons et filles

En 2008, le Conseil du statut de la femme du Québec déplorait l’influence négative des agences publicitaires qui avaient réussi à pervertir la vision des jeunes sur les rapports sexuels (1).

On pouvait lire dans l’Avis du CSF :
“La sexualisation de l’espace public avec l’image publicitaire de la femme ravalée au rang d’un objet qui fait vendre est l’expression même de la persistance des stéréotypes sexuels dans les médias et dans la société.” (…) “… les tentatives passées n’ont pas porté leurs fruits.” Il était temps, selon le Conseil, “de considérer les effets néfastes de la sexualisation de l’espace public sur les jeunes âgés de 12 à 18 ans.”

Le CSF se disait convaincu qu’une “éducation à la sexualité réussie conduirait les jeunes à valoriser, dans la réalité et dans les représentations médiatiques qui en sont faites, des comportements sexuels et des relations à l’autre qui soient égalitaires. Advenant cette situation, la production de messages sexuels défavorables ou dégradants pour les femmes cesserait d’avoir lieu puisqu’elle ne ferait plus vendre, n’intéressant plus le jeune public.” (2)

Cette citation résonne bizarrement, en 2015, alors qu’on lance le film “50 shades of Grey” et qu’on mise sur l’exhibition de pratiques sado-masochistes pour emplir les salles de cinéma.

La publicité commerciale n’est pas seule en cause puisque, partout dans le monde, les industries pornographiques font des affaires d’or. Selon le chercheur Richard Poulin, elles tiennent lieu d’écoles de sexologie et de recrutement de prostituées juvéniles pour les adolescentes nord-américaines du XXIe siècle (3).

Contrer les stéréotypes : toujours d’actualité

Aux personnes qui jugeraient la lutte pour l’égalité hommes-femmes terminée, je signale que lors des interventions réalisées dans les écoles secondaires du Québec, je questionne régulièrement les jeunes, par écrit et à vote secret, sur les paroles blessantes les plus couramment entendues autour d’eux.

Dans l’ordre, on retrouve généralement les trois types d’agressions verbales que voici :
. les insultes misogynes, salopes, pétasse et compagnie ;
. les moqueries en lien avec le tour de taille : grosse, cochonne ;
. le vocabulaire lié à l’orientation sexuelle : moumoune, gai, lesbienne, tapette.

Lorsque j’interviens dans des établissements anglophones au Canada et que je m’adresse à des pré-ados et ados en France, j’obtiens sensiblement les mêmes réponses, bizarrement, dans le même ordre de popularité.

Le culte de la suprématie masculine qui autorise certains garçons à utiliser un tel langage est, hélas, bien vivant, et cela fait rigoler les copains. Plus c’est bas, cruel et sexiste, plus on rit. Les blessures sont bien réelles même lorsqu’elles sont causées par des rigolos anonymes embusqués derrière un écran d’ordinateur. Voilà qui m’incite à trouver fallacieux les arguments de ceux qui réclament la fin de la commémoration du 8 mars et l’abolition du Conseil du statut de la femme. Nos petits-enfants ont besoin des deux, garçons et filles compris. Je souhaite que Juliette, Isaac, Alexis et Chloé sachent répliquer avec sagesse en entendant les trois types de paroles humiliantes mentionnées ci-dessus.

Merci particulier aux enseignantes

Laure Gaudreault (1889-1975) a créé en 1936 la première Association catholique des institutrices rurales du Québec, qui va engendrer d’autres associations au cours des années, et devenir la Centrale des syndicats du Québec en 2000.

Ce 8 mars est une occasion d’exprimer notre reconnaissance aux enseignantes qui interviennent auprès des adolescent-e-s avec professionnalisme, empathie et patience. Les femmes (et les hommes) qui ont voué et vouent encore leurs énergies à la santé et à l’éducation des jeunes sont héroïques à plusieurs égards. On ne leur donne guère de soutien ni d’encouragement. Au contraire. Je pense notamment à la promesse qu’on leur a faite récemment d’augmenter le nombre d’élèves par classe, en plus d’y intégrer toujours plus d’enfants aux prises avec des troubles d’apprentissage, de l’attention et du comportement.

J’attends le jour où des groupes comme “Mes Aïeux” ou les “Cowboys fringants” dédieront à ces femmes, majoritaires dans l’enseignement, une chanson à l’image de leur valeur historique, économique et sociale.

En terminant, j’aimerais rendre hommage à mon enseignante de 1ère année, Estelle Cournoyer, qui faisait partie de la première cohorte d’enseignantes innovatrices à permettre aux enfants d’écrire de la main gauche. C’était en 1950, dix années avant le début de ce qu’on allait appeler la Révolution tranquille, celle-là même qui allait conduire à la reconnaissance de la Nation québécoise au début du XXIe siècle.

Cette même Révolution admirable que des politiciens, de bien petits politiciens, tentent aujourd’hui de salir et de démolir en brandissant l’épouvantail de la dette publique et de l’austérité. Ces décideurs "courageux" prennent bien soin d’éviter la responsabilité qui leur incombe de rapatrier les capitaux enfouis dans des paradis fiscaux. Sans ces fuites de capitaux, nous serions riches, nos dettes seraient risibles et l’État pourrait améliorer les services destinés aux jeunes.

Il faut croire que les élus ont d’autres priorités que l’éducation de la jeunesse et la reconnaissance du travail de celles et de ceux qui s’y consacrent.

Notes

1. Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec, fichier PDF, « Le sexe dans les médias : obstacle aux rapports égalitaires », 2008.
2. L’avis du CSF sur Sisyphe soutenait que la “publicité influence la sexualisation précoce.”
3. « Hypersexualisation, érotisation et prostitution juvénile », Saveur du jour, 2008.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 mars 2015



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Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence
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Jacques Brodeur a enseigné durant 30 ans et œuvre comme consultant, conférencier et formateur dans les domaines de l’éducation à la paix, l’éducation aux médias, la prévention de la violence et la promotion de saines habitudes de vie.


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