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vendredi 20 mars 2015 La burqa/niqab est contraire à l’interaction humaine en société
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Justin Trudeau, de même que Thomas Mulcaire, défendent le droit pour une femme de porter le niqab. Ces prises de position de ces leaders politiques sont une injure faite aux femmes. Je m’explique. Le vivre-ensemble dans la transparence Lorsque deux personnes se rencontrent, elles procèdent dans un même mouvement à deux opérations inhérentes à toute vie sociale : chacune s’identifie et simultanément essaie de décoder les intentions de l’autre à son égard. Elles s’identifient essentiellement par le visage, lequel est par définition l’affirmation probante de qui on est - nos photos sur les cartes d’identité ne nous montrent pas de dos ou de profil mais de face. Elles décodent les dispositions de leur vis-à-vis, non comme le chien par son odorat ou le frétillement d’une queue, mais en lisant littéralement le visage qui leur fait face, parce que chez l’homo sapiens, la vue est l’organe prédominant par excellence - ce sens lui apportant 80% de toutes les informations qu’il utilise. Toutes ou presque toutes les émotions fondamentales de l’homme s’expriment sur son visage - amour, amitié, joie, plaisir, respect, tristesse, mais aussi agressivité, énervement, rage, colère, peur, calcul. Shakespeare (1) ne dit-il pas : "Car en voyant son visage, tu connaîtras son cœur". Le visage est un livre ouvert, il reflète plus ou moins fortement l’état mental du sujet, et hors les autistes, tous les êtres humains savent instinctivement, et la plupart du temps très correctement, lire ce qui est basique sur les visages. Ce processus est automatique, hors du contrôle de la volonté. Il advient en un clin d’œil, travail inconscient mais très efficace. Cette faculté innée s’appuie sur une structure physiologique particulière. Le Dr David Zald (2), professeur de psychologie à l’université Vanderbilt du Tennessee, a mis en évidence que le complexe amygdalien, une petite partie du cerveau, traite les images de visages menaçants ou marqués par la peur beaucoup plus vite (quelques millisecondes) que toute autre émotion, preuve selon le Dr Zald que, face à une menace potentielle, l’impératif de survie immédiate prime sur tous les autres. Le simple fait, comme le montre Desmond Morris, l’auteur du Singe nu, que nous éprouvons un sentiment de malaise lorsque nous parlons à une personne dont les yeux sont totalement cachés par des lunettes de soleil est indicatif de l’antique besoin humain d’avoir accès au visage de notre vis-à-vis pour fonder un vrai dialogue. Bien entendu, il arrive parfois à chacun de mal décoder les intentions de l’autre, soit par manque de vigilance, soit parce qu’on a affaire à des gens qui présentent délibérément un visage lisse et indéchiffrable, mais on se méfie habituellement de ceux qui camouflent leurs états intérieurs et on agit avec plus de prudence avec eux. La biologie impose à tout humain le besoin de déchiffrer sur le champ l’état mental de tout interlocuteur ou interlocutrice surgissant dans son espace d’interaction, la culture prend ensuite le relais pour codifier les réactions en retour. Même vis-à-vis de l’être aimé, chacun sait qu’il faut ajuster ses dires et ses comportements selon l’humeur du moment. Or on n’a encore rien inventé de mieux pour savoir presque instantanément comment se comporter dans le rapport avec l’autre, que de scruter le visage de celui-ci. La biologie et la culture expliquent ainsi pourquoi aucun vivre-ensemble n’est pensable dans une société masquée. Le niqab/burqa : infraction à une obligation sociale Et pourtant, aujourd’hui, notre société est confrontée à une infraction potentielle à cette obligation sociale d’avancer à visage découvert dans le cadre du vivre-ensemble, celle que font peser les pratiquantes volontaires ou forcées de la burqa. Examinez la burqa et que vous dit le visage caché ? Il ne veut être ni identifié ni être lu, le contraire des impératifs biologique et culturel élémentaires du vivre-ensemble. La femme emburquinée ne veut pas d’interaction sociale dans l’espace public, toutefois elle exige de profiter des services sociétaux. Si elle hèle un taxi, elle considérera comme une atteinte à ses droits que celui-ci refuse de la prendre au motif qu’elle est masquée et qu’il lui est donc impossible de l’identifier et de lire son visage. Même situation avec le chauffeur d’autobus, même inconfort des autres voyageurs dans une rame de métro, même désagrément du marchand. Un problème se pose ! Si la femme emburquinée refuse les conditions sine qua non de toute interaction sociale dans l’espace public, pourquoi ses vis-à-vis fournissant des services publics ou marchands dans cet espace commun sont-ils/elles légalement obligé-es de transiger avec elle ? Au nom de quel principe peut-on leur imposer cette obligation alors qu’une des conditions de toute transaction humaine manque à l’échange ? C’est ce déséquilibre dans l’échange social qui explique pourquoi la grande majorité de la population se sent mal à l’aise à la vue de ces fantômes noirs, c’est ce refus de la plus élémentaire des transactions humaines qui explique pourquoi l’emburquinement est inacceptable dans des sociétés basées sur le respect mutuel. Le refus de la burqa dans l’espace public est-il un signe d’intolérance comme l’affirment deux personnages bien connus, le philosophe Charles Taylor, ex président de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, et l’avocat spécialiste des droits de l’homme Julius Grey. Dans le quotidien La Presse du 9 octobre 2009, le premier déclare : « On commence avec la burqa et on finit avec quoi ? » ; le deuxième : « Moi-même, je peux sortir habillé en Rigoletto ou porter un chapeau haut de forme ». Face à ces affirmations, comment réagiraient messieurs Taylor et Grey si des naga sâdhus, indous très pieux qui vivent intégralement nus et qui, par leur dévotion, remplissent un rôle religieux très important aux yeux des adeptes de l’indouisme, décidaient d’exercer leurs droits religieux à Montréal ? Pourquoi ne pourraient-ils pas vivre nus sur la place publique, si à l’autre bout de l’éventail on tolère, au nom du respect des croyances religieuses de chacun, le noir enfermement de la burqa sur cette même place publique ? La loi et les règlements n’interdisent pas aujourd’hui la burqa dans l’espace commun, mais ils interdisent la nudité intégrale partout, sauf en privé ou dans les camps de nudistes. Sur quel article de la charte des droits et libertés s’appuierait-on pour autoriser la pratique de la burqa et interdire la pratique des naga sâdhus ? J’aimerais bien avoir du philosophe politologue Taylor et du juriste Grey une réponse franche et directe à cette question ? Accommoder et créer des tensions religieuses On dira bien sûr que cette situation est hypothétique et improbable vu le type de climat du Québec. C’est vrai, mais ce qui importe ici, c’est de réaliser que la volonté d’accommoder les diverses coutumes et multiples impératifs religieux dans l’espace public ne peut manquer de générer des tensions entre les diverses sensibilités religieuses dont beaucoup sont par essence totalitaristes, puisqu’elles prétendent régenter du lever au coucher toutes les pratiques humaines de leurs fidèles. Le principal et premier champ de bataille demeure, on s’en doutait, la femme ! Lorsque au sein d’une société, les valeurs défendues sont mutuellement exclusives, le vivre-ensemble est sur une pente dangereuse. Certains avancent l’argument d’un biais culturel pour ne pas dire raciste de la part des détracteurs de la burqa, puisque ceux-ci ne s’objectent pas aux habits ostentatoires des religieux chrétiens ainsi que des juifs hassidiques. Je répondrais qu’il y a, dans ces deux exemples, une différence absolument fondamentale d’avec la burqa. Les nonnes et curés et même les hassid - qui découragent pourtant l’interaction des leurs avec les autres - se promènent à visage découvert et, par là, respectent les deux impératifs biologique et culturel de toute société : s’identifier et laisser lire leurs visages. D’autres diront qu’il est faux d’affirmer que ces deux impératifs soient une nécessité fondamentale de toute collectivité, puisque il y a des sociétés où l’emburquinement des femmes est général et que, pourtant, ces sociétés existent depuis des siècles. C’est vrai et faux. Ces sociétés perdurent mais au prix de l’exclusion de la moitié du genre humain. Imaginons un instant une société idéalement égalitaire face à la burqa, où les hommes seraient eux aussi soumis à l’obligation de la porter. Comment signer, par exemple, un traité commercial ou une alliance politique ou toute autre transaction humaine qui requiert un minimum de connaissance intuitive de l’autre, lorsqu’on est face à un masque ? Combien de temps cette société pourra-t-elle perdurer ? Poser la question, c’est y répondre ! Non, le refus de la burqa ne relève ni d’un biais culturel, ni d’un biais antireligieux. Invoquer l’un ou l’autre traduit, soit une indigence de la pensée, soit une manipulation délibérée, soit et c’est le pire, la confusion entre racisme et défense de la laïcité chez ces chantres de la bien-pensance. Obscurantisme contre laïcité Le débat sur la burqa est un des épisodes de la poussée obscurantiste qui vise avec acharnement à grignoter petit à petit le caractère laïque de nos sociétés. La burqa est une prison, l’expression du confinement de la femme à l’espace privé, accessible uniquement au mari. C’est l’affirmation de l’irresponsabilité sociétale de la femme puisque celle-ci ne peut exister que dans l’enclos familial. Ce n’est pas en permettant que des femmes se retranchent volontairement ou sous contrainte des conditions élémentaires de la vie sociétale, qu’on promeut l’intégration au sein du vivre-ensemble québécois. D’aucuns diront qu’accepter la burqa dans l’espace public n’est qu’une petite entorse au principe d’équité dans l’échange social et que vu, le nombre de burqa, il n’y a pas de quoi s’alarmer. Je ne suis pas d’accord : accepter cette injustice faite aux femmes, c’est ouvrir la porte à des demandes similaires dans le monde de la santé, dans celui de l’éducation et finalement dans la totalité de l’espace public. Ces choses-là me font penser à l’expérience bien connue de la grenouille qu’on met dans une casserole pleine d’eau froide et qu’on fait chauffer doucement. La grenouille bien à l’aise au départ finit par mourir ébouillantée, parce que le changement de température est si insidieux que ses réflexes ont été engourdis au point qu’il finit par être trop tard pour elle de réagir. La bien-pensance, c’est pareil, elle finit par provoquer la sidération et la castration des esprits, pour reprendre les termes de Alain Finkielkraut à l’encontre de l’accusation de racisme. Où nous mènent de tels acquiescements et de telles démissions, sinon vers une société dont l’espace public aura été irrémédiablement clivé. La bien-pensance de nos élites politiques et intellectuelles fait aujourd’hui prévaloir la liberté religieuse sur le principe d’égalité des hommes et des femmes. Quelle ironie, c’est au Québec que ces mêmes élites ont féminisé, avant tout autre pays, tous les titres professionnels ! Aujourd’hui : burqa, droit d’être desservi par quelqu’un dont le sexe est conforme aux obligations religieuses du demandeur, refus d’appliquer une partie des programmes requis par le ministère de l’éducation dans certaines écoles privées religieuses juives ultra-orthodoxes, pourtant subventionnées par l’État. Demain : tribunaux islamiques de la famille et tronçonnage de l’éducation dans l’école publique lorsque des élèves refuseront des cours contraires à leurs croyances. Toutes ces demandes ne sont pas imaginaires, elles sont sur la table et n’attendent que l’opportunité d’être mises en oeuvre. Si, comme la grenouille, on se laisse engourdir, on en arrivera à une libanisation de l’espace public. Crédit photo : The Guardian. Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 mars 2015 |
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