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dimanche 15 mars 2015

CSF et projet de loi 20 : une position contre les femmes ?

par Collectif de femmes médecins






Écrits d'Élaine Audet



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    « Il s’ensuit un phénomène toujours observé de nos jours : une activité masculine valorisée se déprécie lorsque les femmes y ont accès en grand nombre. » Françoise Héritier, Masculin/Féminin II



Chère Madame Julie Miville-Dechêne,

C’est avec stupeur et grande déception que nous avons pris connaissance de la position du Conseil du statut de la femme sur le projet de loi 20. Nous vous écrivons cette lettre, avec respect, pour vous signifier l’erreur que vous venez de commettre en défendant un projet de loi discriminatoire envers les femmes et de surcroît défendu par un ministre dont la misogynie n’est plus à démontrer.

Tout d’abord, vous prenez pour acquis que ce projet de loi permettra d’améliorer l’accès de la population à un médecin de famille alors que l’ensemble de la profession médicale, de façon exceptionnellement consensuelle, dénonce ce projet qui a comme objectif d’imposer des quotas de patients/patientes à suivre et de chiffrer ce qui ne devrait jamais être comptabilisé, les soins aux patients.

Plusieurs médecins et organismes, que vous n’avez de toute évidence pas entendus, ont lancé un cri d’alarme pour dénoncer le fait que ce projet de loi aura des conséquences néfastes pour le suivi, déjà précaire, des patients et patientes vulnérables. Inutile de vous rappeler que plus de femmes sont en situation de vulnérabilité et qu’elles ont plus recours aux soins et services de santé tout au long de leur vie. Elles seront donc les grandes perdantes, encore une fois.

Quant aux femmes médecins, vous n’êtes pas sans savoir qu’elles choisissent davantage la médecine familiale, qu’elles sont nombreuses à travailler auprès des populations vulnérables et que plusieurs d’entre elles ont des pratiques où elles privilégient la qualité de la relation médecin-patient plutôt que le débit.

Elles prennent maintenant des congés de maternité et celles qui ont une jeune famille choisissent parfois de travailler moins d’heures, non pas parce qu’elles sont paresseuses comme Barrette tente de l’insinuer, mais plutôt parce qu’elles font le choix sain et tout à fait compréhensible de ne pas se rendre malade sous la pression du travail qui s’ajoute aux tâches familiales qu’elles assument encore généralement en plus grande partie. Nous sommes d’ailleurs d’avis que cette possibilité du travail à temps partiel avec rémunération adéquate devrait être donnée à tous et à toutes, peu importe leur métier.

Force est donc de constater que les femmes médecins seront majoritairement affectées par ce projet de loi puisque plusieurs d’entre elles ne pourront tout simplement pas répondre aux quotas imposés. Elles seront une fois de plus celles à qui on fait comprendre que leurs pratiques et leurs façons de faire valent moins, alors que l’arrivée des femmes a largement contribué à l’humanisation de la médecine et à transformer son caractère paternaliste et autoritaire.

Alors que la mission première du Conseil du statut de la femme est de défendre l’égalité entre les femmes et les hommes, pourquoi ne pas le faire dans le cas des femmes médecins ? Certes, nous sommes privilégiées, mais est-ce une raison suffisante pour ne pas défendre les acquis fragiles qui ont été gagnés de hautes luttes ? Est-ce que la discrimination d’une femme, où qu’elle soit, n’est pas celle de toutes les femmes ? Il nous semble erroné de penser que parce que nous sommes « privilégiées », il n’importe plus de défendre l’égalité avec les hommes, au-delà de la question du revenu.

Rappelons qu’au Québec, et ailleurs, les femmes ont dû se battre pour accéder aux bancs universitaires et aux professions traditionnellement masculines comme la médecine. Au même titre que bien d’autres femmes, elles devaient s’imposer des « vies de fous », avec la double tâche en plus, pour « prouver » à un milieu d’hommes qu’elles étaient capables. Plusieurs d’entre elles racontent qu’elles devaient mentir lors de leur admission en médecine en affirmant ne pas vouloir d’enfants. Nous vous invitons à relire l’histoire des premières femmes médecins, dont celle d’Irma Levasseur, c’est à en pleurer de colère et d’humiliation. Pour nous, femmes médecins, il est évident que Monsieur Barrette s’inscrit aujourd’hui dans cette lignée de mépris et d’affront envers les femmes.

Mme Miville-Dechêne, en prenant position pour ce projet de loi, vous acceptez ce mépris et cette discrimination systémique, qui rappelons-le, se fait dans un contexte de politiques d’austérité qui nous appauvrissent collectivement et contribueront à creuser l’écart entre les hommes et les femmes.

Dre Marie-Claude Goulet
Dre Camille Gérin
Dre Dounia Kayal
Dre Saïdeh Khadir
Dre Isabelle Leblanc
Dre Karyne Pelletier

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 mars 2015

 Lire aussi : « Où va le Conseil du statut de la femme ? », par Micheline Carrier



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