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dimanche 25 octobre 2015

Mahomet, les discours haineux et l’islamophobie

par Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal, membre de l’Association Québécoise des Nord Africains pour la Laïcité (AQNAL) et de PDF Québec






Écrits d'Élaine Audet



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Les consultations sur le projet de loi 59 viennent juste de s’achever en commission parlementaire, après que la partie 1 sur les discours haineux ait été vivement décrié par de nombreux intervenantEs et dénoncée comme étant un moyen de bâillonner la critique des religions. En particulier, Fatima Houda-Pepin s’est dite « estomaquée » par ce projet de loi qui « protège les islamistes radicaux au lieu de protéger la société contre eux ».

D’autre part, des juristes éminents comme Julius Grey et Julie Latour se sont alliés pour dénoncer un « canon législatif » qui confère des pouvoirs d’enquête et de répression sans précédent à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

Il n’y a guère que les groupes se réclamant de l’islam, dont l’imam intégriste Salam Elmenyawi, qui se soient prononcés en faveur de cette loi. La raison réside en partie dans les propos de Jacques Frémont, le président de la CDPDJ, lors d’entrevues données à Radio-Canada en décembre 2014. Il semblait particulièrement préoccupé par les « discours haineux » à l’égard de l’islam et réclamait le pouvoir de censurer de tels propos. Étant donné le flou et l’absence de définition qui entourent cette notion de discours haineux dans le projet de loi, de l’aveu même de la ministre Vallée qui dit maintenant vouloir y travailler, bien des questions restent en suspens et bien des dérives sont à craindre.

Et voilà que l’Assemblée nationale vient de voter une motion contre l’islamophobie, un autre concept aussi confus que « discours haineux ».

Un climat de censure et d’autocensure

À la suite du massacre des caricaturistes du journal satirique Charlie Hebdo par des islamistes, l’humoriste Lise Dion a retiré son monologue sur la burqa. Cette autocensure commandée par la peur* peut aussi être le fruit de la rectitude politique, comme l’illustre l’image ci-dessous, trouvée dans le manuel scolaire (édition de 2008) Faire escale (Collection Rencontres, J.-M. Debunne et al. ; Les éditions La Pensée inc.), pour la 5ème année du primaire du cours d’Éthique et Culture Religieuse (ÉCR).

Cette image de Mahomet montre un visage surmonté d’un turban et recouvert d’une voilette pour masquer le prophète. Un buste de Mahomet avec ce même visage voilé se retrouve, à la fin du chapitre, sur une image de groupe (ci-dessous) où tous les autres prophètes et personnages apparaissent à visage découvert. Notons que dans la version la plus récente de ce manuel (édition de 2010), la première image a été supprimée, mais la deuxième est toujours là, ce qui reflète bien l’ambiguïté et le malaise des auteurs de ce manuel face à ce sujet.

En effet, il y a lieu de se questionner sur le fait d’avoir choisi de fabriquer une telle image censurée. N’est-ce pas une volonté d’éduquer les enfants à l’autocensure ? D’attirer leur attention et de leur faire intégrer cette interdiction de montrer le visage de Mahomet, supposément d’importance majeure pour tous les musulmans ?

Pourtant, la non-représentation de Mahomet n’apparaît nulle part dans le Coran. Elle relève d’une convention de l’islam sunnite de non-représentation des créatures de Dieu, ce qui a amené le développement de l’art de la calligraphie dans les pays arabes. L’islam interdit l’idolâtrie, non la représentation du prophète. D’ailleurs des peintures persanes, et même ottomanes (islam sunnite), représentent des personnages divers, y compris l’image de Mahomet, comme le montre d’ailleurs une illustration d’un manuscrit ottoman présentée dans le même manuel scolaire.

L’imposition du respect de cette convention, même aux non-musulmanEs, est une dérive très récente de l’intégrisme islamiste. Rappelons également que, pour respecter cette convention de l’islam sunnite, il ne faudrait pas seulement voiler Mahomet, mais bien aussi tous les autres prophètes. En effet, il n’est pas plus « licite », au sens de cette interdiction, de représenter Moïse ou Jésus (le prophète Issa pour les musulmanEs) que Mahomet. S’il fallait suivre ces impératifs d’un islam intégriste, il ne resterait plus aucun dessin de personnages sacrés dans les manuels scolaires.

C’est en fait un exemple parmi bien d’autres qui témoignent du biais idéologique qui se retrouve partout dans le cours et dans les manuels scolaires d’ÉCR, à savoir le respect absolu, sans aucun sens critique, de toute prescription religieuse.

Dans le cas de l’islam, les rédacteurs des manuels scolaires pour ce cours ont choisi de présenter une version rigoriste, en accord avec la tendance islamiste. Est-ce dû à l’ignorance et à l’absence de vision critique des concepteurs du cours et des manuels scolaires, ou bien à des conseillers et conseillères adhérant à cette vision intégriste de l’islam ?

Chose sûre, faire un choix pédagogique en faveur de la version rigoriste de l’islam n’est pas sans conséquence sur les jeunes enfants et sur le climat d’autocensure qui s’installe peu à peu au Québec. Le projet de loi 59 ne ferait qu’accentuer ce climat délétère pour la créativité et la liberté d’expression.

Les obligations religieuses ne s’imposent qu’aux croyantEs

Considérer recevables par la Commission des droits de la personne des plaintes au sujet de représentations de Mahomet, comme cela a déjà été le cas en Alberta en 2006 pour la publication des caricatures danoises, reviendrait à conférer une légitimité morale aux auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo, une légitimation des propos tenus à l’effet qu’« ils l’ont bien cherché ».

Les réactions ambigües des médias canadiens face à cette tragédie indiquent peut-être l’existence d’un climat social propice à l’instauration d’une telle censure.

Va-t-on interdire à nos enfants de faire certains dessins ? Amener nos artistes, chroniqueurEs, bédéistes à éviter certains sujets pour des raisons de respect de certaines croyances religieuses ? Comment alors concilier cette censure religieuse, explicite ou implicite, avec une société laïque ?

Montrer le visage de Mahomet n’est pas un discours haineux ni de l’islamophobie. Appeler au meurtre en raison d’une représentation de Mahomet, c’est bien cela le discours haineux. Cette rectitude politique qui voudrait que tout citoyen respecte toutes les croyances et les pratiques culturelles d’un autre citoyen ne peut tenir la route.

Il ne faut pas confondre respect des croyantEs et respect des croyances. À moins que cette contrainte de respect des croyances ne soit imposée qu’à l’égard de l’islam ? Va-t-on imposer à la population de ménager la susceptibilité d’une frange de croyantEs jugée plus frileuse face à la liberté d’expression ? Si tel est le cas, c’est une attitude différentialiste à l’égard de l’islam, et paternaliste face aux musulmanEs.

Ou alors serait-ce la peur qui pousserait au respect de cette injonction de non représentation de Mahomet imposée par des fondamentalistes dangereux ? Il ne faut pas se faire d’illusions. Les menaces, les ultimatums et le chantage des intégristes ne s’arrêteront pas avec la fin de la représentation de Mahomet.

* Note de Sisyphe - Une douzaine de jours après la rédaction de cet article, on annonçait que Serge Chapleau renonçait à représenter Mahomet à son émission de télévision "Gérard D. Laflaque". « Les intégristes ont gagné », dit Serge Chapleau. Voir aussi : Raël, oui ! Mahomet, non !

Publié aussi dans le Huffington Post Québec, le 7 octobre 2015. Merci à l’auteure de partager cet article sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 20 octobre 2015



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Nadia El-Mabrouk, professeure à l’Université de Montréal, membre de l’Association Québécoise des Nord Africains pour la Laïcité (AQNAL) et de PDF Québec


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