Je ne peux rien changer à cette couleur de peau jaillie d’une naissance de parents bien (trop ?) québécois, du fond d’un cinquième rang d’un petit village du Québec !
Je suis blanche et alors ?
Je suis blanche et la couleur de ma peau n’a pu éviter à ma mère la souffrance d’incestes multiples qui, elle, n’a pu éviter à sa mère la souffrance d’incestes multiples.
Je suis blanche et je n’ai pu me protéger des peurs de cette femme démolie qui s’apeurait à l’idée que ses filles subissent le même sort ou soient victimes de violences, en oubliant de surveiller l’angle mort dans lequel se retrouvaient mes frères !
Je suis blanche et je n’ai pu empêcher que ma mère et les femmes de mon enfance subissent l’autorité et la haine d’une religion omniprésente, discriminatoire et dominatrice.
Je suis blanche et la couleur de ma peau n’a pu empêcher que mon père, fils d’un père handicapé et violent, sombre dans la dépression masquée dans l’alcoolisme et participe à cette famille dysfonctionnelle qui a été la mienne et celle de mes sœurs et de mes frères, des années durant.
Je suis blanche et la vie n’a pu éviter que je vive dans un village – et dans une société - où l’alcool et la violence sexuelle étaient la norme !
Je suis blanche et je n’ai pu empêcher que des êtres chers, blancs eux aussi, soient victimes de cette société d’asservissement et de cruauté.
En fait, j’ai essayé, mais on ne m’a pas crue !
Je suis blanche et je n’ai pu empêcher la culpabilité de m’assaillir jusqu’à ce que je comprenne que je n’étais pas responsable.
Je suis blanche et je n’ai pu éviter que des femmes chères à mon cœur et victimes de violences sexuelles, pauvres, ne s’abîment dans la prostitution où des acheteurs et des proxénètes en mal de domination imposent leurs lois.
Je suis blanche et la couleur de ma peau n’a pu empêcher que je développe de l’angoisse, de l’anxiété, de la dépression pendant des années, à la suite de ce vécu pourri d’une société patriarcale qui revendique encore ses droits, notamment dans la prostitution et dans ces religions sexistes, misogynes et rétrogrades.
Je suis blanche et la couleur de ma peau n’a pu empêcher que je dépense argent, énergie et tout un pan de ma vie à tenter de recoller les morceaux de mon corps, de mon âme. Brisés. Et encore fragiles.
Je suis blanche et maintenant relativement en bonne santé, conquise à l’arraché, acquis que je devrais maintenant justifier ?
Je suis blanche et je vis maintenant presque sans soucis monétaires, mais je devrais renier ce à quoi toutes personnes aspirent ? Et prouver que je ne suis pas une "féministe de luxe" ?
Je suis blanche et je suis hétérosexuelle et je devrais en être gênée ? Moi qui ai mis des années à me réapproprier ma sexualité, la vivre en toute liberté, à l’ombre des standards publicitaires, religieux, pornographiques ou marchands comme dans la prostitution ?
Je suis blanche et alors ?
La couleur de ma peau ne m’empêche pas de penser, d’analyser et de dénoncer les injustices vécues par des femmes, des enfants, et même des hommes vulnérables.
Je me sens doublement trahie par ces femmes qui maudissent la couleur de ma peau !
Je me sens doublement trahie par ces femmes qui, ayant oublié les germes de la violence, de la domination, veulent, à leur tour, me faire taire ?
Je me sens trahie par des femmes qui hiérarchisent la discrimination, répertorient la douleur, classifient l’apartheid, échelonnent la ségrégation et occultent la solidarité, la véritable solidarité des luttes des femmes.