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mardi 1er décembre 2015 Attentats de Paris - Journal d’une semaine de plomb
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Après l’incommensurable malheur qui a frappé Paris le 13 novembre 2015, et mis fin à la vie de 130 personnes, à ce jour, je n’ai plus senti en moi que silence et peine. Au fil des jours douloureux qui suivirent, j’ai entamé l’écriture d’un journal pour y consigner le cours de ma réflexion. Ce questionnement n’engage que moi. En tant que femme et féministe, amoureuse de Paris, de la vie, de la liberté. D’hier à aujourd’hui, je me suis toujours positionnée du côté de toutes celles et ceux qui sentent la nécessité de s’opposer clairement à l’islamisme politique, à sa misogynie violente, à sa haine de la vie dont il ne sait pratiquer que la mort. L’Organisation État Islamique (OÉI), responsable des attentats parisiens, n’est pas un État au sens propre, mais plutôt une organisation politique terroriste qui instrumentalise l’islam. Ses membres se prétendent mandatés par Allah pour imposer la charia dans le monde afin d’y établir leur règne de terreur. Dans ce contexte, les frappes aériennes, préconisées par le président Hollande, ont peu de chance d’éradiquer une mouvance qui utilise le terrorisme au plan international et, sur le terrain, des formes de guerre non conventionnelles d’une cruauté sans limites. Les jours passent, mais tous ces visages, jeunes et beaux, continuent à tourner en boucle dans ma tête. Leur avenir fauché d’une rafale impitoyable m’interpelle dans le silence de mort qui m’envahit. Comment un tel massacre, inhumain et inconcevable, peut-il se produire au coeur même de Paris, notre Paris, celui des Lumières, capitale emblématique des valeurs démocratiques ? Pour moi, ces attentats aveugles ne représentent pas une riposte à l’impérialisme occidental passé ou présent, et, comme certains l’affirment ou le sous-entendent, les victimes ne sauraient être tenues responsables de quelque façon que ce soit de leur sort. Ce carnage est issu d’une volonté de puissance illimitée qui ne recule devant aucune atrocité. L’OÉI est une organisation qui s’appuie sur les ressorts de la terreur et la religion pour arriver à ses fins. Comment réagir ? Par où commencer ? D’abord, avec tant d’autres qui me sont proches, chercher à démêler l’écheveau du sang et du silence. Et faire que l’amour passe entre les mailles du filet de haine jeté sur la vie, ce 13 novembre 2015. J’ai beaucoup de questions, peu de réponses, un doute grandissant, et une conscience qui ne connaît pas l’oubli. Le président Hollande appelle à mener une guerre "impitoyable" contre l’armée islamique, sans tenir de débat public avec ceux et celles qui aspirent à rendre le monde autant viable que vivable. On peut dire qu’il s’agit de la grande majorité des personnes exposées aux éventuelles attaques de ces "soldats de Dieu" (1). La première question qui me hante concerne la façon dont nous plaçons en position de pouvoir ceux qui nous dépossèdent froidement de nos acquis sociaux, qui nous mènent toujours à l’abattoir pour défendre leurs intérêts. Ne voyons-nous pas, à travers l’histoire, ce que cachent ces vociférations creuses ? Quand la minorité au pouvoir prend des décisions qui engagent nos vies, ne sommes-nous pas toutes et tous aussi instrumentalisés que les masses musulmanes de partout le sont par la minorité de l’OÉI ? Ne faudrait-il pas chercher comment désamorcer ce suicidaire gâchis plutôt que de s’y enfoncer davantage ? Plus que jamais, je sens qu’il faut résister à la culpabilité qu’une gauche timorée tente de nous inculquer en traitant d’islamophobes tous ceux et celles qui dénoncent la montée de l’islamisme dans nos sociétés, les discours haineux proférés dans certaines mosquées, l’égrugeage systématique de nos droits et acquis au nom de la religion, la violence envers les femmes qui refusent de se soumettre aux diktats de la charia. Ne pas oublier que les femmes ont toujours cherché à combler la brèche de la haine héréditaire, reconduite de génération en génération, comme le montre l’écrivaine québécoise Madeleine Gagnon dans son livre Les femmes et la guerre, après avoir interrogé plusieurs d’entre elles à travers le monde (2). Ceux qui prônent les bombardements, et n’ont que le mot "guerre" à la bouche, ont d’autres intérêts que les forces qui subissent et luttent au quotidien contre l’obscurantisme. Ils profitent des guerres qu’ils provoquent pour relancer l’économie par la production et la vente de toujours plus d’armement, peu importe la crise humanitaire et la violence sans précédent qu’ils déclenchent. L’appel aux armes et le ressac Tout se passe comme si on avait criblé de balles nos voix, nos mots. Comment recouvrer nos sens, nos idées, à travers ces trous de peurs et de pleurs ouverts brutalement dans notre pouvoir de penser, de comprendre, de dire ? Ici, à Montréal, je suis loin du champ de ruines, et pourtant, j’en ressens les gravats jusque dans ma gorge. Un deuil sans fin a jeté son linceul sur l’avenir, que l’on soit de New York, de Tokyo, de Bamako, de Santiago, de Beyrouth ou de Paris. Faudrait-il s’en tenir au seul mantra qu’on nous assène à plus soif : "Nous sommes en guerre" ? Alors que les terroristes islamistes visent au coeur les valeurs démocratiques, la culture qui les porte et les chante, on cherche à nous convaincre qu’il n’y a qu’une réponse à l’OÉI, celle des bombes. La réalité montre que les bombardements n’ont jamais pu endiguer la menace terroriste. Pour ma part, il me semble que c’est sur le front culturel et idéologique que nous devrions concentrer nos forces, en s’attaquant aux causes, c’est-à-dire à l’idéologie de l’islamisme politique. Là où il a pu édifier son pouvoir et connaît ses plus grands succès de recrutement. Il est essentiel de ne jamais oublier, comme l’écrit la chercheuse iranienne Chahla Chafiq, que l’islamisme est "une idéologie et non une pratique religieuse" (3). Il me semble donc que le vrai combat devrait se situer sur le terrain idéologique où le terrorisme s’enracine et se déploie. Même si le silence nous cerne de partout par ses mirages d’apaisement, il est impératif, je crois, de ne pas perdre la parole, de ne pas devenir inaudibles, invisibles. Éviter qu’une fois encore le pouvoir réussisse à taire la voix de toutes les forces qui cherchent à se libérer d’un système économique et patriarcal dont l’échec n’est plus à démontrer. Les grandes puissances ont voulu dévorer l’univers, et cet univers a reflué en eux, les empoisonnant. De l’Irak à la Syrie, en passant par l’Afghanistan et la Libye, les Occidentaux ont toujours privilégié la riposte militaire sans jamais réussir à imposer la paix par les armes. L’Occident est désormais le lieu d’un phénomène d’explosion/implosion. D’une part, on assiste à l’explosion causée par la migration massive d’hommes et de femmes fuyant la guerre vers d’autres continents. D’autre part, ces mêmes pays ne parviennent pas à juguler l’implosion déclenchée par la conversion et le ralliement d’un nombre grandissant de jeunes qui partent rejoindre les rangs de l’armée islamique, leurrés par des promesses de pouvoir, de richesse, d’aventures, d’esclaves sexuelles, de vierges pour l’éternité. Comment accorder encore crédibilité aux discours de gouvernements qui n’ont cessé, chaque fois qu’il s’avérait nécessaire, d’appuyer des dictatures et des théocraties pour empêcher les forces du changement de prendre le pouvoir. Avec beaucoup d’autres, j’ai toujours dénoncé les dangers que l’islamisme radical faisait courir à nos droits et libertés, et tout particulièrement aux droits des femmes. Aujourd’hui, il m’apparaît clair qu’il faudra redoubler de vigilance, car les attentats de Paris ont montré que c’est la survie même de la démocratie qui est en jeu. Pas à pas : l’action À mesure que le temps passe, s’impose à moi la nécessité de continuer, par tous les moyens possibles, à dénoncer une minorité déterminée, de son propre aveu, à détruire l’ensemble des valeurs laïques et démocratiques. L’OÉI a montré sa volonté d’exterminer "les mécréants et apostats", d’établir la loi islamique (charia) et le califat sur toute la planète. Selon moi, l’urgence consiste à déterminer comment combattre et prévenir efficacement ce fléau impitoyable dans tous les pays, tout autant que sur les territoires qu’il a déjà conquis et dévastés. Parmi les moyens accessibles dans l’immédiat, les grandes puissances pourraient plutôt cesser d’approvisionner l’OÉI en armes, notamment par l’entremise de l’Arabie saoudite. Elles pourraient aussi faire pression sur la Turquie, qui est membre de l’OTAN, pour qu’elle resserre ses contrôles frontaliers afin d’empêcher l’entrée en Syrie de nouvelles recrues djihadistes, ainsi que la sortie du pétrole confisqué par l’armée islamique dont la vente à l’extérieur assure son autonomie économique. Pour sortir de l’impasse diplomatique, ne faudrait-il pas restaurer la crédibilité, les structures et le potentiel d’intervention pacifique de l’ONU, et créer des conseils de résistance avec les forces démocratiques de tous les pays en guerre, comme les Kurdes et l’Armée syrienne libre (ASL), qui combattent héroïquement l’armée islamique sur le terrain. À titre de prévention, les gouvernements pourraient promouvoir la diffusion de matériel d’analyse de l’islamisme radical et de la menace qu’il représente, en utilisant les médias, les réseaux sociaux, les écoles. Un travail d’information constant et conséquent, comme le font notamment au Québec Djemila Benhabib, Fatima Houda-Pepin, des groupes féministes comme Pour les droits des femmes au Québec (PDFQ), ou le Centre montréalais de prévention de la radicalisation tout récemment créé à l’Université du Québec à Montréal (3). Il s’agirait de montrer, par tous les moyens possibles, les conséquences sociales et politiques de l’inaction face aux multiples provocations orchestrées savamment par les fondamentalistes islamiques contre les valeurs et les lois que nous nous sommes données démocratiquement. Comment continuer à déléguer notre pouvoir à des gouvernements qui représentent si peu nos aspirations ? Plusieurs tâches me semblent s’imposer, dont celle de travailler concrètement à l’inclusion sociale des communautés musulmanes, trop souvent repoussées dans des ghettos offrant un terrain fertile au recrutement des islamistes. Et, surtout, défendre sans relâche l’égalité des sexes et la laïcité, menacées par la propagande haineuse à l’intérieur de certaines mosquées, et l’angélisme des défenseurs de la primauté de la religion dans le champ des droits, cette "laïcité ouverte" à toutes les remises en question. En conclusion, ne faudrait-il pas se décider à couper l’herbe sous le pied à l’Organisation État Islamique, en accordant une attention particulière à la lutte idéologique ? À la persuasion, à la prévention, à l’éradication des inégalités sociales et de toutes les formes de discrimination dans les sociétés où nous vivons ? À la diffusion des valeurs d’égalité, de solidarité, de liberté, à la contagion de la beauté et du bonheur ? Ou nous laisserons-nous imposer, sans aucun débat public, la loi des bombes, dont l’inefficacité à été prouvée à répétition avec toutes les catastrophes humanitaires qu’elle n’a cessé de provoquer en chaîne ? Notes 1. Djemila Benhabib, Les soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident, Montréal, VLB, 2011. Voir compte rendu d’Élaine Audet Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 novembre 2015 |
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