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samedi 12 mars 2016

Le Conseil de l’Europe et la Conférence de La Haye sont-ils en train de légaliser la GPA ?

par Ana-Luana Stoicea-Deram, formatrice à l’Institut de Recherche et de Formation à l’Action Sociale de l’Essonne (IRFASE)






Écrits d'Élaine Audet



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La GPA (gestation pour autrui) éthique serait aujourd’hui inévitable ; certains de ses promoteurs la présentent même comme souhaitable, car elle permettrait d’empêcher la GPA commerciale. Mais GPA éthique et GPA commerciale sont en fait Docteur Ethique et Mister Profit. C’est la raison pour laquelle leur réglementation conjointe ne peut se faire qu’en catimini, à très haut niveau, et avec la contribution appuyée des lobbys qui en tirent profit. C’est ce que préparent ces jours-ci la Conférence de la Haye et le Conseil de l’Europe.

Beaucoup d’États européens interdisent la gestation pour autrui (GPA), dont la France, comme le Sénat l’a rappelé encore récemment dans un rapport. Des États extra-européens qui ont pu être des destinations du tourisme procréatif, l’ont beaucoup limitée, voire prohibée (Cambodge, Népal, Thaïlande). Le Parlement européen, dans son rapport sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde, adopté en décembre 2015, « condamne la pratique de la gestation pour autrui qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises ; estime que cette pratique, par laquelle les fonctions reproductives et le corps des femmes, notamment des femmes vulnérables dans les pays en développement, sont exploités à des fins financières ou pour d’autres gains, doit être interdite et qu’elle doit être examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l’homme » (§115).

Cependant, en toute discrétion, deux grandes organisations internationales ont décidé de se prononcer en la matière, dans le but explicite de réglementer cette pratique ; et cela, malgré le risque d’exploitation inhérent, malgré la réalité des marchés de l’humain qu’elle a déjà générés, comme celui des enfants « sur-numéraires », vendus en Inde.

Le Conseil de l’Europe et la Conférence de la Haye ont ainsi aligné leurs agendas, et le 15 mars des instances de ces deux organisations vont travailler pour la réglementation de la GPA.

Le Conseil de l’Europe va voter (à huis clos !) le rapport « Droits humains et questions éthiques liées à la gestation pour autrui », soumis à la Commission des questions sociales de son Assemblée parlementaire (APCE). Sa rapporteure, Mme Petra de Sutter, est gynécologue et travaille avec des mères porteuses en Belgique, où la GPA est considérée éthique, car ces femmes ne sont pas payées pour leurs services reproductifs. Mme de Sutter collabore par ailleurs avec une clinique indienne de GPA commerciale, dont la pratique est totalement contraire à l’éthique des conventions du Conseil de l’Europe.

Il est probable que Mme de Sutter propose au Conseil de se prononcer en faveur de la GPA dite éthique, dans la mesure où c’est ce que son parti soutient aussi, au niveau national (c’est la position de la majorité des partis belges, comme il est apparu lors des travaux menés en 2015 par la Commission des affaires institutionnelles du Sénat belge).

Le vote du rapport pourrait déboucher sur une recommandation du Conseil à l’adresse des États membres. Mais les recommandations ne sont pas contraignantes, et il est certain que la rédaction d’une convention du Conseil de l’Europe, favorable à la GPA, prendrait du temps.

Ce qu’il est très important de saisir dans ce qui se joue à présent, c’est un très probable passage de relais à la Conférence de la Haye. Cette dernière est une organisation intergouvernementale mondiale, ayant pour objet l’unification des règles de droit international privé (qui vont du commerce à la filiation).

Depuis maintenant plus de cinq ans, la Conférence a entamé un travail visant à élaborer un nouvel instrument sur des « Questions de droit international privé concernant le statut des enfants, notamment celles découlant des conventions de maternité de substitution à caractère international ». Qu’il s’agisse d’une pratique supposée éthique ou ouvertement commerciale n’a ici aucune importance, car la seule chose qui compte est la possibilité d’harmoniser les règles de droit qui la concernent. S’il y a passage de relais, les scrupules éthiques dont semblent se prévaloir la rapporteure du Conseil de l’Europe pourront être abandonnés, dans la mesure où ils ne rentrent pas dans les préoccupations de la Conférence de la Haye.

La volonté de coordination des démarches des deux organisations est aujourd’hui aisée à constater. À l’automne, la Commission du Conseil de l’Europe a auditionné la collaboratrice juridique principale du Bureau permanent de la Conférence de la Haye (cf. Carnet de bord, le 11/09/2015), qui pilote le projet filiation/maternité de substitution. Il y a quelques jours, lors de la réunion du groupe d’experts rassemblé par la Conférence de la Haye sur le sujet, c’est la Secrétaire en chef de la Commission des affaires sociales de l’APCE qui y assiste, en tant qu’observatrice. À ses côtés, au même titre, des représentants de deux organisations non-gouvernementales (cf. Rapport du groupe d’experts, fév. 2016).

On ne connaît rien des critères selon lesquels la Conférence choisit ses invité.e.s. En l’occurrence, on remarque que les deux ONG invitées sont très favorables à la GPA, et en demandent la réglementation.

On ne connaît pas non plus les critères selon lesquels la Conférence de la Haye choisit ses consultants. C’est avec d’autant plus d’intérêt que l’on remarque leur profil : pour l’un, il s’agit d’un juriste américain spécialiste en droit des affaires et en droit privé international ; pour l’autre, c’est un avocat britannique spécialisé en droit de la famille, y compris maternité de substitution, notamment dans une perspective transfrontalière.

Choisir comme consultant.e.s des personnes directement intéressées, à titre professionnel, par la réglementation de la GPA, s’inscrit dans la continuité de la démarche de la Conférence de la Haye, orientée dès le départ, de manière délibérée et exclusive, vers les parties ayant un intérêt direct et financier dans cette pratique : les professionnels de la santé , les praticiens du droit et les agences de maternité de substitution ont été les seuls (à l’exception des États membres) à qui la Conférence s’est adressée pour s’enquérir de l’opportunité de produire un instrument international de réglementation. Quand on sait que le sens de cette initiative est d’uniformiser les règles de droit international privé, on comprend que poser la question aux parties lésées ou instrumentalisées par la pratique supposerait d’en envisager l’arrêt. Ainsi ne sont consultées que les parties qui en tirent profit, même si le rapport préliminaire (de mars 2012) mentionne « la possible vulnérabilité de toutes les parties aux conventions de maternité de substitution internationales, vulnérabilité qui suscite des préoccupations relatives à l’exploitation et aux difficultés qui peuvent découler de l’absence de réglementation des intermédiaires, notamment la traite des femmes et des enfants, mais aussi aux conventions « indépendantes ».

La Conférence de la Haye ne s’interroge pas sur la compatibilité de la GPA avec la dignité humaine, mais la considère comme une pratique installée, qui se déroule selon des règles différentes d’un pays à l’autre, et qui suscite, par ces différences, des difficultés pour les parties concernées.

Dans ce rapport préliminaire (mars 2012), le Bureau de la Conférence fait remonter la maternité de substitution à la Bible, qui serait ainsi devenue une source de droit privé international, puisque le rapport : Le concept de maternité de substitution n’est pas nouveau ; les conventions de procréation pour autrui remontent même à l’époque de la Bible ». En note, l’explication de cette référence ne laisse pas de surprendre « Par ex., Genèse (chapitre 30) : Rachel, qui est stérile, donne sa servante à Jacob comme concubine afin qu’elle engendre un enfant qui sera considéré socialement comme l’enfant de Rachel et de Jacob. Voir dans le Glossaire en annexe la définition du terme « convention de procréation pour autrui » (p. 6, note 17).

Pour la Conférence de la Haye, la Bible est une référence en matière de maternité de substitution. Et, même s’ils se réfèrent aussi aux textes internationaux de lutte contre la traite des êtres humains, les rédacteurs du rapport ne semblent à aucun moment se questionner sur la pertinence de citer l’exemple d’une servante « donnée » par sa maîtresse à son maître : le viol ne les préoccupe pas, ni la servitude, ni la grossesse forcée, ni le sort de l’enfant séparé de sa mère. Ce n’est pas un anachronisme, ce n’est pas juste une maladresse, c’est une parfaite indifférence pour le sort des femmes et des enfants en tant que sujets de droits dans le sens de droits humains.

Cette indifférence est clairement présente dans le texte produit par le groupe d’experts réuni en février (2016), et qui a bénéficié de la contribution des consultants mentionnés précédemment. Dans son rapport, le groupe constate la diversité des règles de droit applicables en matière de filiation et de maternité de substitution. Par rapport à cette pratique, « Le Groupe prend acte du fait que les conventions de maternité de substitution sont interdites dans plusieurs États, autorisées dans certains États et simplement non réglementées dans d’autres. Le Groupe est conscient des préoccupations, au niveau international, qui ont trait aux considérations d’ordre public eu égard à toutes les personnes impliquées dans les conventions de maternité de substitution, notamment, à titre d’exemple, l’incertitude du statut juridique de l’enfant ou l’éventuelle exploitation des femmes, y compris des mères porteuses » (p. 3).

On apprécie la prudence avec laquelle on concède qu’il puisse y avoir une « éventuelle exploitation des femmes », quand on sait que la servante de Rachel est un exemple pour cette organisation.

On se demande néanmoins pourquoi le Bureau n’a pas tenu compte de la contribution qu’un groupe d’associations européennes féministes et de défense des droits humains lui a fait parvenir (mars 2015) pour montrer que le recours aux mères porteuses est une pratique d’exploitation contraire aux droits humains. Pourquoi aucune association de défense des droits des femmes n’a été consultée. Pourquoi la position du Parlement européen est ignorée, alors que l’UE est membre à part entière de la Conférence de la Haye.

Malgré les constats qu’il fait, le groupe d’experts demande explicitement à poursuivre les travaux. Pourquoi ? Au bénéfice de qui ? La Conférence de la Haye va-t-elle bientôt proposer une convention éthico-profitable sur la maternité de substitution ?

 Article paru dans "Figaro Vox Société", le 7 mars 2016, et publié sur Sisyphe par l’auteure.

 Lire aussi : Le Conseil de l’Europe doit travailler pour les droits des femmes. Rassemblement le 15 mars, la Marche mondiale des femmes, France.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 mars 2016



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Ana-Luana Stoicea-Deram, formatrice à l’Institut de Recherche et de Formation à l’Action Sociale de l’Essonne (IRFASE)


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