Quand s’organise la compensation de la misère des uns par le viol des autres…
La proposition de loi pour le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel est en cours d’un vote laborieux au Parlement français et en butte à des sénateurs en majorité hostiles à ce qu’on responsabilise les prostitueurs-acheteurs, à ce que l’on remette en question ce “droit de l’homme” à s’approprier le corps des femmes, d’enfants et d’hommes.
Cherchant à contrer l’abolition de la prostitution, qui est une des dernières marches vers l’égalité entre les femmes et les hommes et l’application du principe de non atteinte à la dignité des personnes, les pro-prostitution et les trafiquants de tous ordres cachent leurs intentions en faisant appel à la compassion.
Ainsi des formateurs-trices, des travailleur-ses sociaux-ales, des universitaires, des représentant-es de personnes handicapées, des officines suisses de formation d’assistant-es sexuel-les, voyant que la loi française n’autorisera pas d’assouplissement à la pénalisation du proxénétisme, tentent d’introduire par d’autres stratégies une activité qui n’est autre que de la prostitution et qui réduit la sexualité à une pure mécanique. Ils-elles s’inscrivent bien dans la marchandisation généralisée et la recherche de segments de marché à exploiter, les personnes handicapées, les personnes âgées… en prônant le soulagement de “leur manque” par une activité qui, de fait, les déshumaniserait et les transformerait en prostitueur-e-s (1).
Et cela, pendant que l’insupportable situation des réfugié-es en Europe et l’inacceptable massification d’êtres humains dans des camps de la honte sont le lit de tous les trafics, de toutes les violences. Des milliers d’enfants ont disparu dans l’exode obligé des populations victimes de la haine de l’autre et des femmes en particulier, de guerres, de dictatures sanguinaires, d’extrémismes religieux … Ils sont soumis à des trafics immondes dont l’exploitation sexuelle. Pour quels “clients” ? Au profit de qui ?
Près des camps ou à l’intérieur, l’organisation de la prostitution se développe et rappelle, comme si rien n’avait évolué, cette période de l’histoire soulignée par Silvia Federici (2). À la fin du 15ème siècle, les autorités politiques de certains pays européens tentèrent de “calmer” les travailleurs masculins les plus jeunes et les plus rebelles au moyen d’une politique sexuelle qui leur procurait du sexe gratuit.
Ainsi en France, les autorités municipales fermèrent les yeux sur le viol “pourvu que les victimes fussent des femmes de la classe inférieure”. Le viol en bande à Venise, par exemple, comme en France, de femmes prolétaires, devint une pratique courante… moyen pour les hommes prolétaires de récupérer leur dû – parce que leur précarité et leur pauvreté retardaient leur mariage - et de prendre leur revanche sur les riches - parce qu’ils violaient leurs domestiques.
Mais les riches pensaient de leur côté que ces violences évitaient que les hommes pauvres ne prennent leurs femmes. Une fois violées, beaucoup de femmes étaient obligées de quitter le lieu où elles vivaient et de se prostituer pour survivre. S. Federici explique combien cette “légalisation du viol” “créa un climat d’intense misogynie qui avilissait toutes les femmes sans distinction de classe et rendait ainsi la population insensible à la perpétuation de la violence contre les femmes…".
Un autre aspect de cette politique sexuelle fut l’institutionnalisation de la prostitution avec l’ouverture de bordels municipaux, considérée aussi comme remède efficace contre l’agitation des jeunes prolétaires.
Est-ce à cela que nous assistons dans ce début du 21ème siècle à Calais et ailleurs, à la mise à disposition d’hommes pauvres et ostracisés de corps plus vulnérables encore, enfants et femmes ?
La responsabilité de l’État français est engagée.
Exigeons que les pouvoirs publics agissent et refusent ces arrangements misogynes criminels ; exigeons une lutte réelle contre tous les intégrismes qui exacerbent la haine des femmes, contre leur chosification et leur mise à mort en tant qu’êtres humains par la prostitution,- toujours nourrie par le déracinement des populations-, contre le viol.
Mais prenons conscience aussi de l’urgence d’extirper de nos cerveaux leur colonisation par la domination masculine !
Les représentations sociales soutiennent encore ces idées d’une pulsion sexuelle masculine irrépressible et d’une responsabilité des femmes dans leur propre viol, ainsi que le montre le sondage réalisé pour l’association “Mémoire traumatique et victimologie” (3) de décembre 2015 : par exemple, 63% des personnes interrogées disent que pour un homme, c’est plus difficile de maîtriser son désir sexuel que pour une femme ; 21% pensent que lors d’une relation sexuelle les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées ; 19% sont d’accord avec l’affirmation selon laquelle lorsqu’on essaye d’avoir des relations sexuelles avec des femmes, beaucoup d’entre elles disent non mais que ça veut dire oui ; 17% estiment que forcer sa conjointe à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse n’est pas un viol ; et 40% déresponsabilisent les auteurs de viol lorsque les victimes se sont montrées séductrices ou vêtues légèrement…
Et plus surprenant encore, une grande partie de ces opinions et représentations sont partagées par les hommes et par les femmes. Servitude volontaire, conditionnement à l’assujettissement ?
Au travail ! Le corps des femmes n’est ni à la disposition des hommes, ni à celle de politiques de réduction des tensions sociales, ni un instrument d’intervention du travail social.
Mobilisons-nous pour que la loi de lutte contre le système prostitutionnel soit votée et appliquée !
Notes
1. Une formation à “l’accompagnement sensuel et l’assistance sexuelle des personnes en situation de handicap” est proposée à l’initiative des associations CH(s)OSE et Corps Solidaires (association suisse), et a été organisée par un professeur de l’IUT de Belfort, une conférence sur le thème de la sexualité chez les personnes âgées avec deux assistant-e-s sexuel-le-s suisses qui ont présenté leur ”métier”, un médecin gériatre et une doctorante en sociologie.
2. Caliban et la Sorcière, femmes, corps et accumulation primitive, Édition Entremonde, p.102-107. L’auteure s’appuie dans cette partie sur l’ouvrage de J.Rossiaud, la prostitution au Moyen-âge, 1988.
3. “Les représentations sur le viol”, sondage réalisé par IPSOS par internet sur un échantillon de 1001 personnes de plus de 18 ans représentatif de la population française.