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vendredi 10 mars 2017 Des créatrices afro-américaines à Paris au temps des Années Folles
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Durant près de trente ans, j’ai consacré ma vie à faire connaître les créatrices du domaine des arts. Par le biais de conférences illustrées et de deux livres, j’ai voulu les replacer dans la grande Histoire des Arts. Car, comme je l’ai maintes fois expliqué, il y avait eu négligence et même mépris à leur endroit. Et finalement, oubli. Quand j’ai présenté par le passé les Créatrices du XXe siècle*, ainsi qu’une série consacrée au Paris des Années Folles*, je me suis appuyée sur une documentation la plus exhaustive possible. Mes recherches étaient approfondies et je pensais avoir ratissé large. Erreur. Récemment, j’ai réalisé, et de façon très inattendue, que moi aussi et bien malgré moi, j’avais péché par ce que j’avais tant dénoncé : l’omission, et forcément l’occultation. C’est un documentaire qui m’en a fait prendre conscience. Tout à fait par hasard, donc, je suis tombée cet hiver sur un document visuel passionnant intitulé J’ai deux amours. Non, ce n’est pas un film biopic sur Joséphine Baker, interprète célèbre de la chanson du même nom. Il raconte plutôt l’histoire vraie de la diaspora afro-américaine de Paris, animée par des musiciens qui introduisirent, dans les années 1920, le jazz en France. J’y ai découvert aussi de magnifiques peintures de Palmer Hayden, Archibald Motley, William H. Johnson ou Hale Woodruff. Des contemporains aussi talentueux que les réputés peintres et sculpteurs français, espagnols, russes ou italiens qui arpentaient les mêmes rues qu’eux à Paris. Je ne les connaissais pas. Mais je n’étais pas rendue au bout de mes surprises. À mi-parcours du documentaire, l’évocation d’artistes afro-américaines ayant également séjourné, à un moment ou l’autre, dans ce Paris de l’entre-deux-guerres, m’a sidérée. Je n’avais jamais rien lu ni vu sur elles, alors que j’avais longuement exploré l’univers d’autres Américaines comme Gertrude Stein, Natalie Barney, Sylvia Beach qui, à la même époque, en menaient plutôt large sur la Rive Gauche. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Nancy Elizabeth Prophet, Augusta Savage et Loïs Mailou Jones : de grandes créatrices. Un choc ! Munie de cette clé indispensable, je n’ai pas hésité à aller explorer Internet en googlelant leurs noms. Et j’ai ouvert un coffre aux trésors. Elles y sont, et il n’est que de naviguer de site en site pour mieux les connaître et découvrir leurs œuvres magnifiques. Je vous les présente, forcément brièvement, dans le cadre de cet article. La Renaissance de Harlem Dès le début du XXe siècle, sous l’impulsion d’écrivains et de journalistes, Harlem trouve un souffle nouveau. Fuyant les ségrégationnistes du Sud, beaucoup de Noirs, souvent très pauvres, et beaucoup d’artistes s’y installent. On a parlé de Renaissance pour qualifier cette période dynamique qui attire de plus en plus d’Afro-Américains dans ce quartier de New York. Des militants comme W.E.B. Du Bois, et d’autres, fondent la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). Des associations et des magazines récemment créés aident de jeunes auteurs à s’exprimer. Et des mécènes, issus de la petite bourgeoisie noire qui s’émancipe, participent à la création d’écoles et d’universités à Harlem. Des bourses sont offertes aux étudiants pour aller s’inscrire dans les grandes universités américaines. Et des artistes en obtiennent aussi, qui leur permettent de s’expatrier à Paris pour se perfectionner auprès de grands maîtres. Dont des créatrices. Je souligne au passage le nom d’une femme qui joua un rôle crucial dans ce renouveau : Gwendolyn B. Bennett (1902-1981). Chroniqueuse littéraire et artistique, et membre de la Harlem Artists Guild, elle fut l’une des personnes les plus influentes de Harlem. Elle permit à de nombreuses et nombreux jeunes auteurEs de percer. Douée elle-même en arts plastiques, elle était partie à Paris durant deux ans (1924-26) pour étudier à la Sorbonne et à l’Académie Julian. Elle n’apparaît pas dans le documentaire. Nancy Elizabeth Prophet (1890-1960)
D’ascendance algonquine par son père, et afro-américaine par sa mère, Nancy Elizabeth Prophet était originaire du Rhode Island. Elle travailla longtemps comme sténographe dans une étude d’avocats noirs, tout en suivant des cours au Rhode Island School of Design (RISD), à Providence (RI). Diplômée à 28 ans, elle voulait devenir portraitiste, mais les temps difficiles et la discrimination ambiante freinèrent ses ambitions. À 32 ans, avec un peu d’argent que lui donne la très riche mécène et collectionneuse d’art Gertrude Vanderbilt Whitney, elle s’installe à Paris pour y étudier la sculpture à l’École des Beaux-Arts. Elle y passera 10 années très difficiles, dont son Journal témoigne encore aujourd’hui. « Tenaillée par la faim et l’inquiétude », comme elle l’a écrit, elle produit quelques bustes magnifiques, dont Silence, en marbre, Negro Head en bois sculpté, Congolais, Discontent, Tête de Noir, Untitled, en bois eux aussi. À son retour aux États-Unis, W.E.B. Du Bois l’aide à participer à plusieurs expositions et, recommandée par Henry Ossawa Tanner, le pionnier des peintres noirs vivant à Paris, elle remporte le Harmon Prize for Best Sculpture. Cela lui vaut d’exposer dans plusieurs galeries new-yorkaises. En 1934, l’Université d’Atlanta et le Spelman College lui offrent d’enseigner aux jeunes mais, après la Deuxième Guerre mondiale, la ségrégation raciale met fin à cette carrière et la repousse vers le Rhode Island. Elle ne pourra plus y reprendre sa carrière de sculpteure et sera obligée de travailler en manufacture et comme domestique. Elle meurt oubliée et pauvre. Le RISD Museum possède trois de ses œuvres, le Whitney Museum et le Brooklyn Museum une chacun. Mais beaucoup d’entre elles sont aujourd’hui perdues ou détruites. Augusta Savage (1892-1962) Originaire de Green Cove, en Floride, Augusta Savage, eut un parcours artistique difficile, et elle mit du temps avant de pouvoir exercer pleinement son art. Veuve très tôt et en charge d’une fille, elle dut travailler longtemps comme blanchisseuse, tout en exposant et en vendant ses sculptures en argile dans des foires de comtés. À 29 ans, elle décroche enfin une petite bourse qui lui permet de s’installer à New York. Inscrite gratuitement à la Cooper Union, dans la section Arts, elle obtient son diplôme trois ans plus tard. Mais sa demande de bourse pour aller étudier un été à Paris, commanditée par le gouvernement français, est rejetée parce qu’elle est noire. L’incident, couvert par la presse, alerte Henry Ossawa Tanner qui l’invite à Paris. Elle obtient finalement un premier contrat officiel avec la bibliothèque de Harlem et exécute un buste de W.E.B. Du Bois, très bien accueilli. D’autres commandes de bustes suivent. Sa réputation grandit, et c’est alors qu’une bourse du Julius Rosenwald Fund lui offre enfin la possibilité d’aller vivre à Paris pendant deux ans. Elle a 37 ans. Elle s’inscrit à la célèbre Académie de la Grande Chaumière, située en plein cœur de Montparnasse. Son séjour lui permet d’exposer et d’être primée dans deux Salons. Elle sculpte des nus, des femmes et des danseurs. Malheureusement, de la vingtaine d’œuvres produites durant sa période parisienne, beaucoup sont perdues. Son retour aux États-Unis coïncide avec la Grande Dépression et le déclin des ventes d’art. Les commandes sont rares. Elle ouvre le Savage Studio Of Arts and Crafts à Harlem, où elle formera de nombreuses et nombreux jeunes artistes, dont plusieurs feront une belle carrière. Elle devient, en 1934, la première Afro-Américaine élue à la National Association of Women Painters and Sculptors. En 1939, l’organisation du New York World’s Fair lui octroie une bourse pour créer une sculpture dédiée à la musique afro-américaine. Elle choisit de symboliser un spiritual et crée Lift Every Voice and Sing ou The Harp, un extraordinaire monument de 16 pieds de hauteur, qui sera exposé dans la cour du Contemporary Art Building. Faute de financement pour le couler dans le bronze, c’est en plâtre qu’il fut érigé. Augusta Savage n’eut pas davantage les moyens de le faire entreposer. Il fut donc détruit à la fin de la Foire. Sur Internet, on peut voir des photos d’époque de cette œuvre magistrale. Quelle perte ! Déprimée, Augusta cessa de produire et se retira définitivement dans une ferme près de Woodstock. Elle n’avait que 53 ans. Son Gamin (1930) se trouve au Musée de Cleveland. Loïs Mailou Jones (1905-1998) Des trois femmes évoquées ici, la peintre Loïs Mailou Jones est celle dont la reconnaissance artistique est la plus marquante. Originaire de Boston, Loïs Mailou, contrairement à ses deux collègues, a été éduquée dans un milieu relativement aisé. Son père était avocat et sa mère cosméticienne. Encouragée très tôt à développer son talent, elle étudia avec des professeurs reconnus de Martha’s Vineyard et au High School of Practical Arts de Boston. À 17 ans, elle organise sa première exposition solo et entre à l’école du Museum of Fine Arts de Boston. Elle se perfectionne dans le dessin et l’aquarelle, et commence sa carrière en créant des motifs pour plusieurs compagnies de textiles de New York. Parallèlement à ses créations, dès 1929 elle enseigne le design et l’aquarelle à l’Université d’Harvard de Washington. Un poste qu’elle conservera jusqu’en 1977. Elle y formera des jeunes femmes qui, elles aussi, se consacreront aux arts plastiques comme Elizabeth Catlett (1915-2012) et Georgia Mills Jessup (1936-2016). Elle prend une année sabbatique et part vivre à Paris en 1937. Elle s’inscrit à l’Académie Julian, et fréquente quelques artistes symbolistes et cubistes. Tout comme eux, elle se passionne pour les masques africains, découverts par les Européens lors des Expositions universelle et coloniale de Paris. C’est alors qu’elle peint Les Fétiches (1938), une huile magnifique, où elle a intégré toutes les tendances modernes à son style. C’est son œuvre la plus connue. Elle appartient aujourd’hui au Smithsonian American Museum de Washington, un musée spécifiquement consacré à la culture afro-américaine. Elle se marie sur le tard (1953) à un dessinateur haïtien, Louis Vergniaud Pierre-Noël, qu’elle connaissait depuis de longues années. Elle se rendra souvent dans le pays de son mari, où elle peindra de nombreuses toiles. Ses œuvres, des aquarelles et des huiles, sont d’inspiration africaine (les masques), ou bien représentent des paysages américains, des scènes parisiennes, le Sud de la France, l’Italie et Haïti. Elles sont aujourd’hui très bien cotées et se trouvent dans des collections privées et dans celles des grands musées, au Metropolitan Museum de New York, au Musée de Boston, au National Museum Of Women in the Arts de Washington, au Smithsonian American Art Museum. Tout au long de sa longue carrière, Loïs Mailou Jones participa à des expositions dans les grands musées et galeries importantes. Et certaines, récemment, lui ont été consacrées, notamment à Boston (2015) et Atlanta (2016). Décédée à l’âge de 93 ans, en 1998, elle peignait encore dans ses dernières années. Elle considérait que la reconnaissance de son art était une preuve de l’apport des Noirs à l’Histoire de l’Art. Il est clair que le livre réunissant les créatrices afro-américaines du XXe siècle reste à faire. Références . Pour en savoir davantage sur ces trois artistes remarquables et leurs œuvres, Google nous donne accès à une riche documentation. Conférences L’auteure a donné plusieurs séries de conférences sur "Les Créatrices du XXe siècle" au Gèsu (2004), au Musée de la civilisation à Québec (sept. 2005-avril 2006). Elle a aussi abordé le même sujet à l’occasion de ses conférences et de son enseignement à Université du 3e âge (Sherbrooke, Granby, 1993-1996), ainsi qu’aux "Belles Matinées et Soirées" de l’Université de Montréal (1985-87, 2000). Concernant "Paris au temps des Années Folles", elle a traité de ce sujet dans le cadre de l’Université du 3e âge (1995-1996). Sa série de conférences-ateliers d’une durée d’un an, s’est complétée par un voyage de groupe à Paris avec ses étudiantEs. L’auteure Mis en ligne sur Sisyphe, le 24 février 2017 |
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