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lundi 6 mars 2017

La Bibliothèque des femmes de Vancouver ouvre ses portes dans un contexte de réaction antiféministe

par Meghan Murphy, journaliste et écrivaine, Feminist Current






Écrits d'Élaine Audet



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La deuxième vague féministe a donné lieu à un authentique mouvement de création de librairies féministes. Des espaces, des maisons d’édition, des écrits et des événements dédiés aux femmes ont été dès les débuts considérés comme faisant partie intégrante du féminisme. Dans ce contexte, les librairies des femmes ont été valorisées non seulement comme moyens de rendre accessibles l’écriture et le travail des femmes, mais aussi comme lieux où des femmes pouvaient se réunir, rencontrer d’autres femmes et se politiser.

À son apogée, ce mouvement a compté plus de 150 librairies de femmes en Amérique du Nord. La toute première d’entre elles – la Librairie Amazon de Minneapolis – a été inaugurée sur le porche d’entrée d’une commune en 1970, et en 1997, on comptait 175 de ces librairies, généralement animées par des bénévoles et des collectifs. Mais deux décennies plus tard, elles avaient presque toutes fermé leurs portes.

À Vancouver, la maison Women in Print, active pendant 12 ans, a fermé en 2005 et la Librairie des femmes de Vancouver a mis fin à ses activités en 1996, après plus de 20 ans. Mais le besoin de ces librairies n’est pas disparu. En fait, il semble évident que ces espaces sont plus essentiels que jamais, car le mouvement féministe fait face à une hostilité croissante venant de la droite, de la gauche et des médias.

***

La nouvelle Bibliothèque des femmes de Vancouver a ouvert ses portes, vendredi soir le 3 février 2017, dans un petit local du quartier Eastside. Des femmes de tous âges et de milieux variés venues y célébrer l’évènement et socialiser ont été surprises de s’y heurter à des manifestants et manifestantes qui non seulement les ont harcelées verbalement, mais ont tenté de les empêcher physiquement d’entrer dans l’immeuble.

Une féministe engagée du quartier, Jindi Mehat, m’a dit être arrivée vers 21 h au local de la bibliothèque, au 1670, rue Franklin. Il y avait des gens debout devant la porte ; une bannière les identifiait comme "Trans Communist Cadre", et la situation était tendue, dit-elle. Mehat et une amie sont entrées à l’intérieur, pour découvrir que les choses étaient "pires encore" dans la bibliothèque.

"J’ai entendu un homme clamer très fort : ‘J’aimerais bien qu’elles retirent des tablettes tous les livres écrits par des SWERF* et des TERF*. J’ai trouvé vraiment choquant de l’entendre cracher ce genre de propos dans un espace féministe, parce qu’il s’agit d’expressions vraiment misogynes." (* Les antiféministes qualifient respectivement de SWERF et de TERF les féministes qu’ils accusent d’exclure les prostituées et les trans.)

Jindi Mehat est entrée dans la salle où se trouvait la collection de la bibliothèque et vit deux femmes qui se tenaient debout devant les livres, les mains sur les hanches, en occupant physiquement le plus d’espace possible pour empêcher les gens de s’approcher des étagères. "Je ne me suis pas immédiatement rendu compte que c’est ce qu’elles faisaient", m’a-t-elle dit. "J’ai pensé qu’elles se tenaient peut-être simplement là sans être conscientes de toute la place elles occupaient dans cet espace exigu."

"J’ai très poliment dit "Excusez-moi "à une des femmes, puis ai essayé de passer derrière elle pour me rapprocher des livres et les regarder. Elle m’a alors dit, à voix basse : "Si vous me poussez une fois de plus, vous allez le regretter." 

Mehat envisagea alors de repartir, disant : "J’étais assez inquiète qu’il y ait de la violence. Certains des manifestants étaient clairement ivres."

Jen Kim, une militante féministe membre de la Guerrilla Feminist Collective, a vécu une expérience intimidante similaire. Arrivée vers 20h30, elle s’est dirigée vers l’entrée du bâtiment, où une personne tenant une pancarte l’a empêchée physiquement d’accéder à la porte, en la poussant agressivement. "Elle s’est servie de toute sa force et j’ai failli tomber", m’a dit Kim, mais elle a continué à essayer de se frayer un chemin autour des manifestants. "J’ai réussi à passer lentement devant eux et à ouvrir la porte, craignant qu’ils ne la poussent et la ferment sur ma main ou mon bras. "Pendant ce temps, un autre homme se tenait tout près de Kim, en lui criant des insultes. Elle a finalement réussi à entrer dans l’immeuble, malgré la personne qui bloquait la porte.

Au plus fort de l’altercation, il y avait à l’extérieur 29 manifestants, qui buvaient de la bière. Environ six à huit d’entre eux sont entrés dans l’immeuble, et certains se sont mis à fumer dans cet espace non-fumeurs où se trouvent un certain nombre de studios d’artistes. Une femme a crié : "Non aux SWERF, non aux TERF", et une autre a accusé les fondatrices de la bibliothèque de "violence".

Une aînée féministe a demandé aux manifestants d’expliquer cette accusation, en leur disant : "Je fais partie du mouvement féministe depuis très longtemps, plus longtemps que la plupart d’entre vous, et je vous appuie et j’appuie [cet espace]. Je pense que vous devriez examiner la bibliothèque et je pense que vous devriez discuter avec ses responsables avant d’utiliser de tels mots, sans vraiment comprendre la situation."

Aucun des manifestants n’a justifié le recours au mot "violence" pour décrire l’existence d’une petite bibliothèque de femmes animée par des bénévoles ; ils et elles se sont plutôt lancé-es dans diverses accusations basées sur des interprétations fallacieuses et confuses de l’analyse féministe.

"Cela n’a aucun sens de qualifier d’exclusifs des femmes qui adoptent une vision globale de la prostitution et lui reconnaissent un contexte de racisme, de colonialisme, de capitalisme et de misogynie – sans s’en tenir aux ‘camgirls’ blanches occidentales de classe moyenne ", explique Mehat. C’est tout à fait incohérent. Et ce sont ces mêmes gens qui prétendent qu’on les réduit au silence ? Eh bien, qu’est-ce qu’ils faisaient ici ? Ils essayaient de faire taire, d’intimider et de harceler des féministes", ajoute-t-elle.

Un manifestant masculin a arraché du mur de la bibliothèque une affiche du SCUM Manifesto, de Valerie Solanas. Apparemment confus au sujet du contenu de ce livre et de son autrice, il a défendu son geste en prétendant que ce manifeste était l’œuvre d’une femme "qui agressait des femmes trans ». (Valerie Solanas n’a jamais fait pareille chose. En fait, aucune féministe dans l’histoire n’a jamais fait pareille chose.)

Vers la fin de la soirée, les manifestants ont versé du vin rouge sur les étagères et sur les livres, volé de l’alcool et déclenché le dispositif d’alarme anti-incendie, ce qui a coûté une amende pouvant atteindre 500$ aux bénévoles responsables de la bibliothèque. Le panneau de trottoir peint à la main annonçant la bibliothèque a été volé le lendemain.

"Nous avons été vraiment effrayées", a déclaré Keira Smith-Tague, membre du groupe Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter, qui participait à la soirée. "Surtout qu’il y avait là des hommes qui nous intimidaient physiquement."

Jeannine Mitchell, une des fondatrices de la première Vancouver Women’s Bookstore, a aussi assisté au lancement, mais elle est arrivée après que la police eût été appelée et que les manifestants aient quitté l’immeuble.

"La dernière chose à laquelle je m’attendais était des piquets de protestation à l’extérieur", m’a-t-elle dit. "Lorsque nous avons créé la Librairie [des femmes de Vancouver], les gens avaient des opinions différentes sur le féminisme, mais tout le monde était heureux que nous ouvrions, c’était une ressource pour la collectivité." Mitchell m’a dit qu’il y avait près de 30 personnes, dont des hommes, à l’extérieur quand elle est arrivée. Elle a été choquée par le caractère extrême de pancartes, dont certaines prétendaient que les fondatrices de la bibliothèque détestaient les femmes et étaient fascistes. "Cela semblait caricatural, a-t-elle dit. Accueillir le projet communautaire de quelqu’un d’autre avec un tel excès de colère et de haine semble être une façon étrange de traiter des ressources destinées à aider des femmes", a-t-elle ajouté.

Alors que la liste des exigences des manifestants a été partagée en ligne par un groupe appelé Gays Against Gentrification (GAG), cette organisation nie avoir participé à la manifestation. Son texte, transmis aux femmes sous la forme d’une circulaire rose lors du lancement, débite plusieurs fausses représentations et grossiers mensonges sur la politique féministe et les objectifs de la bibliothèque, et poursuit en diffamant l’une des fondatrices dont il exige la démission.

Une des cofondatrices de la bibliothèque, Bec Wonders, m’a dit que, contrairement aux allégations des manifestants, le catalogue de la bibliothèque est très diversifié en termes d’autrices et de perspectives. Mais même si les manifestants avaient dit vrai, il est dangereux de réclamer le bannissement de livres. Dans l’Allemagne nazie, les livres qui représentaient des opinions ou une idéologie dissidentes ont été ciblés et brûlés en public. La droite chrétienne continue encore aujourd’hui à militer en vue de faire interdire ce qu’elle qualifie d’"œuvres blasphématoires". Ces manifestants, qui aiment lancer constamment l’accusation de "fascisme", semblent ignorer à quel point ils frôlent cette attitude en luttant pour faire interdire et censurer les œuvres qui remettent en question leur discours et leurs mantras préférés.

Dans le cas présent, la liste des livres que le groupe veut faire interdire semble avoir été assemblée à la hâte, à partir d’un examen très sommaire de titres.

Parmi les 20 oeuvres que les manifestants veulent voir bannies de la bibliothèque, on remarque notamment : Radical Acceptance, de Tara Brach, un livre qui enseigne la guérison par le bouddhisme et la méditation ; First Buddhist Women : Poems and Stories of Awakening, de Susan Murcott ; et The Female Man, un roman de science-fiction de Joanna Russ. Leur liste noire comprend également des livres critiques de l’exploitation, l’agression et la mise en marché de femmes par des hommes, y compris : Pornography : Men Possessing Women, d’Andrea Dworkin ; Not A Choice, Not A Job : Exposing the Myths about Prostitution and the Global Sex Trade, de Janice Raymond ; et Female Sexual Slavery (L’esclavage sexuel de la femme), de Kathleen Barry (le mot Slavery est inexplicablement orthographié « Sl * v * ry"dans la circulaire).

Wonders a trouvé cette liste inconsistante : "Il n’y a là ni dialogue ni critique." Laurent en convient : "On constate facilement que cette liste reflète une approche vide de sens. Ils y ont mis tout ce qui reflétait une association avec la deuxième vague – même si leurs contenus n’avaient rien à voir avec les choix politiques de la deuxième vague. C’est difficile de la prendre au sérieux…"

En dépit des allégations selon lesquelles la bibliothèque "exclurait des personnes trans et des prostituées", la bibliothèque attaquée ne fait ni l’une ni l’autre. Elle est ouverte à tout le monde (bien que les adhésions soient réservées aux femmes), et leur site Web indique : "Nous accueillons toutes les femmes, indépendamment de leur religion, de leur classe, de leur genre, de leur race ou de leur sexualité."

Le catalogue de la bibliothèque regroupe une sélection diversifiée de textes issus de divers points de vue politiques, et dont bon nombre ne sont même pas politiques.

"Nous avons des textes de Leslie Feinberg, et d’autres d’Amber Dawn, nous avons des livres sur le ‘travail du sexe’ à l’échelle internationale", me dit Wonders. Le catalogue comprend également des œuvres de fiction, de poésie, des romans policiers, des livres multilingues, et Wonders dit que les animatrices veulent agrandir leur section pour enfants. Leur bibliothèque est encore restreinte (bien qu’elle augmente très rapidement au fur et à mesure qu’arrivent de nouveaux dons) ; elle est composée des collections personnelles des fondatrices et des collections d’autres femmes.

"Nous ne censurons aucun texte du moment qu’il est écrit par une femme ; nous allons donc placer sur nos tablettes tout don que nous recevrons", me dit Wonders.

"Notre site Web comprend également un bouton ‘liste de souhaits’, pour que les femmes puissent nous proposer des textes si elles ont envie de lire quelque chose… Nous essayons d’avoir une offre aussi variée que possible, avec autant de genres que possible. Quand il s’agit de textes ouvertement politiques, nous voulons offrir des points de vue opposés, mais il est important pour nous de ne pas censurer quoi que ce soit."

Même si beaucoup sont déconcertées quant aux motifs des manifestants de mettre toute leur énergie à tenter de faire fermer une bibliothèque, Smith-Tague indique que cette protestation s’enracine dans des "attitudes anti-femme", visant à faire taire les voix et l’histoire féministes :

"La résistance des femmes et le mouvement de libération des femmes ont, depuis leurs débuts, été délibérément effacés de l’histoire. Il est clair qu’il existe encore de nos jours des attitudes misogynes envers la promotion de la libération des femmes et les livres qui consignent une partie de cette histoire. La tentative de détruire notre projet en est un nouvel exemple."

Il est difficile de savoir qui était derrière la manifestation ou ce que ce groupe représente. Un manifestant a dit à Smith-Tague qu’ils n’étaient pas un groupe ou un collectif organisé, et un autre communiqué publié par GAG décrit les manifestants comme "un groupe d’individus épars". Bien que les échanges en ligne au sujet de la bibliothèque se soient répandus partout, je n’ai trouvé qu’un post d’Instagram* à ce sujet, sur le compte d’un homme nommé Jason Riach (que les témoins de l’affrontement identifient comme étant la personne qui a déchiré l’affiche du Manifeste SCUM et se trouvait parmi celles qui harcelaient verbalement les femmes à l’entrée de l’immeuble).

Indépendamment du message que les manifestants espéraient transmettre, leur hostilité envers l’histoire des femmes et envers la contribution de celles-ci à la pensée politique était palpable. Un protestataire portait même une pancarte où l’on pouvait lire "La Deuxième Vague est terminée". Alors que des théoriciens comme Marx sont encore loin d’être jugés dépassés pour les gauchistes contemporains, des femmes dont les écrits ont à peine 40 ou 50 ans sont déjà en voie d’être effacées, qualifiées de dépassées et insignifiantes.

"Il est tellement plus difficile pour les femmes d’acquérir une pertinence sociale", m’a dit Laurent. "J’ai lu Aristote et Platon, mais il faudrait que j’accepte qu’Andrea Dworkin ’n’est plus pertinente’ ? Je n’achète pas cette vision."

En effet, l’existence d’une bibliothèque des femmes cherche à contrecarrer l’idée que l’oeuvre, l’histoire et les idées des hommes ont intrinsèquement plus de valeur que celles des femmes.

Wonders souligne qu’au-delà du sexisme inhérent aux efforts visant à effacer et à rejeter une génération entière d’écriture de femmes, "les généralisations englobant tout un univers de littérature produite par les femmes ne tiennent pas la route au plan historique".

"Il est vraiment important de tenir des archives qui révèlent la plénitude de l’histoire des femmes", explique Laurent. "Dans la plupart des librairies, la section de livres féministes contemporains est dépourvue des principaux textes historiques ; avec notre bibliothèque, nous sommes en mesure de révéler et de démontrer l’ampleur de la littérature féminine."

En général, les manifestants n’ont fait preuve d’aucun intérêt pour un engagement productif avec la bibliothèque ou ses animatrices. Au contraire, ils et elles ont répété plusieurs prétentions sans fondement, ont lancé des a priori complètement faux et ont préconisé une censure arbitraire des écrits de femmes.

Compte tenu de la stupeur et de la confusion exprimées par les aînées féministes présentes à l’inauguration, il semble justifié d’écrire que ce ressac particulier en est un que nous n’avons jamais vu auparavant. Isolés et enhardis dans leurs communautés en ligne, des jeunes gauchistes se sont habitués à attaquer sans poser de questions, à censurer de façon irréfléchie, à adopter impulsivement une doctrine qui dénonce d’office quiconque ne se joint pas à leur secte. "Nous vivons à l’échelle mondiale une époque gravement diviseuse et dangereuse au plan politique", m’a dit Smith-Tague.

"Il existe actuellement des gens qui ont un pouvoir incroyable d’opprimer des personnes en Amérique du Nord. Le mois dernier, des centaines de milliers de femmes se sont rassemblées à l’occasion de la Marche des Femmes, et même si nous n’étions pas toutes d’accord sur toutes les questions, nous pouvions au moins comprendre que les enjeux sont très élevés en ce moment et que des alliances sont nécessaires. Pour moi, c’est exactement l’attitude à laquelle doivent se rallier les gens qui souhaitent s’organiser en vue de changements sociaux."

Smith-Tague a remis en question la décision de déployer des efforts pour "détruire une petite bibliothèque communautaire de femmes", en ajoutant : "Ces gens manquent manifestement d’une analyse de la réalité dans laquelle nous vivons et de ce qui est important en ce moment."

Même si cette manifestation et ces demandes de censure n’auront aucun effet sur la survie de la bibliothèque (en fait, à la suite de cette attaque, ses fondatrices me disent avoir été inondées de témoignages de soutien et de dons pour y tenir tête), il est pénible de voir ces tactiques employées contre un groupe faisant l’objet d’une marginalisation systémique. La société patriarcale a longtemps identifié comme menaçantes la culture et les paroles des femmes, en écrasant systématiquement et en sapant toute tentative d’échapper à notre statut subalterne, nous jouant les unes contre les autres pour empêcher toute solidarité entre sœurs. Peu importe ce que vous mettez sur votre bannière, peu importe les slogans que vous scandez pour défendre vos gestes, vous joindre à ces tentatives vous place fermement du côté de l’oppresseur.

Notes

* NDLR 08/02/2017 : La page Instagram et le message illustrés ci-haut étaient accessibles au public au moment de cette publication. Ils ont depuis été placés en accès réservé.
* Vidéo de la confrontation.
* Pour illustration et références, voir la version originale en anglais

 Article original : "Vancouver Women’s Library opens amid anti-feminist backlash".
 Le site Web de l’auteure.
 La Guerilla Feminist Collective, une organisation féministe radicale de Vancouver, a résumé sur sa page Facebook les exactions commises contre la Librairie féministe de Vancouver ce soir-là et une semaine plus tard, le 10 février, quand des manifestants sont revenus vandaliser les lieux.
 Traduction TRADFEM.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 février 2017



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Meghan Murphy, journaliste et écrivaine, Feminist Current

Meghan Murphy est écrivaine et journaliste indépendante, secrétaire de rédaction du soir pour le site rabble.ca, et fondatrice et directrice du site Feminist Current. Elle a obtenu une maîtrise au département d’Études sur les femmes, le genre et la sexualité de l’Université Simon Fraser en 2012.

Meghan a commencé sa carrière radiophonique en 2007, dans une caravane installée au milieu d’un champ de moutons. Son émission s’appelait « The F Word » et était diffusée à partir d’une toute petite île au large des côtes de la Colombie-Britannique. Elle a pleinement profité de la liberté que lui laissait cette radio pirate : buvant de la bière à l’antenne, lisant des passages d’Andrea Dworkin, et passant du Biggie Smalls. Elle est revenue à Vancouver, où elle a rejoint l’émission de radio nommée, coïncidence, elle aussi « The F Word », qu’elle a produite et animée jusqu’en 2012. Le podcast de Feminist Current est le projet « radio » actuel de Meghan, une façon de communiquer une analyse critique féministe progressiste à quiconque s’y intéresse. Feminist Current est une émission syndiquée à Pacifica Radio et hébergée par le réseau de podcasts Rabble.

Meghan blogue sur le féminisme depuis 2010. Elle n’hésite pas à penser à contre-courant et a été la première à publier une critique des défilés Slutwalk, en 2011. C’est l’une des rares blogueuses populaires à développer en public une critique à la fois féministe radicale et socialiste de l’industrie du sexe. Les critiques adressées par Meghan au #twitterfeminism, à la mode du burlesque, à l’auto-objectivation des selfies, et au féminisme du libre choix lui ont valu une foule d’éloges et d’attaques, mais surtout une reconnaissance comme écrivaine qui n’a pas peur de dire quelque chose de différent, en dépit de ce que le féminisme populaire et les grands médias décrètent comme ligne du parti.

Vous pouvez trouver ses écrits en version originale dans les médias Truthdig, The Globe and Mail, Georgia Straight, Al Jazeera,Ms. Magazine, AlterNet, Herizons, The Tyee, Megaphone Magazine, Good, National Post, Verily Magazine, Ravishly, rabble.ca,xoJane, Vice, The Vancouver Observer et New Statesman. Meghan a également participé à l’anthologie Freedom Fallacy : The Limits of Liberal Feminism.

Meghan a été interviewée par Radio-Canada, Sun News, The Big Picture avec Thom Hartmann, BBC Radio 5, et Al Jazeera, ainsi que dans de nombreux autres médias.

Isabelle Alonso a publié une interview d’elle sur son blog.


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