Depuis que le terme « racisme systémique » a fait son entrée au Québec en 2016 par l’entremise de groupes demandant une commission sur le sujet, il semble avoir pris ancrage dans le vocabulaire médiatique et politique. Contester son usage serait même du « négationnisme », selon les termes de Philippe Couillard.
Le racisme existe au Québec comme dans toutes les sociétés. Il doit être combattu par l’éducation, des campagnes de sensibilisation et des politiques d’intégration. Il faut cependant éviter de le banaliser en l’invoquant à tout bout de champ. Il est surtout inquiétant de constater que certains l’utilisent pour « racialiser » les rapports sociaux en pointant les « Blancs » comme dominants, et tous les autres comme « racisés », soit des victimes du racisme et de la « suprématie blanche ». C’est cette conception unilatérale qui fait dire à certains que le système étant dirigé par des « Blancs », le racisme ne pourrait être que systémique. Cette redéfinition du racisme en racisme systémique n’est pas anodine. Elle permet de justifier l’affirmation que les actes et les propos haineux envers les « Blancs », par définition privilégiés, ne constitueraient pas du racisme.
Loin d’être une base de réflexion pour le vivre-ensemble, la notion de racisme systémique participe plutôt à diviser et à nourrir l’hostilité entre les groupes. Comme le dit Rachida Azdouz, spécialiste des relations interculturelles, « en accolant le mot ‘racisme’ à ‘systémique’, on rate la cible, on confond les concepts, on s’aliène des employeurs qui sont volontaires pour développer des pratiques d’embauche inclusives, mais qui refusent d’endosser l’étiquette raciste ». C’est plutôt le concept de discrimination systémique qui est retenu par les experts œuvrant dans le cadre de l’intégration des immigrants et immigrantes au marché du travail. C’est pour remédier à cette problématique qu’un plan d’action gouvernemental étoffé a d’ailleurs été publié en 2008 sous le titre La diversité : une valeur ajoutée pour favoriser la participation de tous à l’essor du Québec.
Une réalité complexe
Pour la discrimination à l’emploi, l’étude du sociologue Paul Eid est la plus citée. Elle dit qu’à compétence égale, un Bélanger ou un Tremblay a 1,7 fois plus de chances d’être invité à un entretien d’embauche dans les entreprises qu’un Sanchez, un Ben Saïd ou un Traoré. Par contre, dans les organismes publics, la même étude a montré un risque de discrimination égal à ZÉRO. Le fait que la loi d’accès à l’égalité en emploi s’y soit révélée efficace, cela devrait inciter à mettre en œuvre les mêmes mesures dans le secteur privé.
Malgré tout, le préjugé à l’effet qu’il y aurait une forte discrimination dans les organismes publics circule abondamment dans les médias et les réseaux sociaux. Or, la sous-représentation des minorités visibles dans les organismes publics s’explique plutôt par le fait qu’elles sont arrivées en grand nombre au Québec au moment où les gouvernements sabraient dans la fonction publique, réduisant ainsi les opportunités d’emplois pour les nouveaux arrivants.
Quant au chômage, Statistique Canada (2011) indique un taux plus élevé chez les immigrants et immigrantes, et davantage chez les minorités visibles (2 fois plus que le reste de la population). Cependant, ces différences tendent à s’estomper avec le temps. Ainsi, les chiffres du ministère de l’Immigration (MIDI) de 2015 montrent qu’après 10 ans, le taux de chômage chez les hommes immigrés est identique à celui des natifs, soit 8,3%. Il reste cependant plus élevé chez les femmes, du fait qu’elles sont davantage que les hommes arrivées dans le cadre d’un regroupement familial, et non pas en fonction de leur aptitude à se trouver un emploi.
Le problème d’embauche des immigrants et immigrantes est bien réel au Québec. Mais le Québec est-il en proie à un racisme systémique ? Statistique Canada indique pour l’année 2011 un taux de chômage de 3,7% chez les Noirs ou de 4,5% chez les Arabes entre 35 et 44 ans, nés au pays et ayant un diplôme universitaire. Alors comment expliquer des chiffres alarmistes et des accusations de racisme systémique lancés dans les médias et les réseaux sociaux depuis plusieurs mois ? Y aurait-il un agenda politique pour nourrir l’idée d’un Québec raciste, alors que les enquêtes de Statistique Canada et de nombreux sondages montrent que le Québec, comparé au reste du Canada, est loin d’être « l’enfer » des minorités visibles ?
Au-delà des explications simplistes, le taux de chômage plus élevé chez les immigrants et les immigrantes s’explique en partie par des choix politiques visant à maintenir un haut taux d’immigration, couplés à de faibles moyens d’intégration. Or, lorsqu’on accepte trop d’immigrants et d’immigrantes dans une période de décroissance économique et de coupures budgétaires, il est presque inévitable que les nouveaux arrivants se retrouvent en situation précaire.
D’autres facteurs s’ajoutent : la reconnaissance des diplômes et de l’expérience de travail, l’absence de réseau professionnel ou le temps nécessaire à l’apprentissage des codes sociaux, car il faut du temps à l’immigrant-e pour s’intégrer au monde du travail. De plus au Québec, on favorise les immigrants et immigrantes parlant français, alors que ceux-ci s’installent dans la région métropolitaine de Montréal où sont de plus en plus exigées les deux langues. Dans ces conditions, faut-il s’étonner qu’ils aient plus de difficultés à se trouver du travail qu’en Ontario ? Est-ce parce que le Québec est plus discriminatoire envers ses immigrants et immigrantes ou parce que les unilingues francophones sont davantage discriminés au Québec ?
Tolérance zéro face aux discriminations et au racisme
Le dernier sondage CROP/Radio-Canada de mars 2017 montre que le Québec ne se distingue pas du reste du Canada par un excès de xénophobie, contrairement à ce que laissent entendre nombre de politiciens et de médias canadiens. Par contre, ce sont les religions et les signes religieux qui sont moins bien acceptés au Québec. Ces prises de position confirment l’attachement des Québécois et des Québécoises au modèle de laïcité tel qu’il a émergé lors de la Révolution tranquille, notamment pour protéger les droits des femmes.
Il y a cependant encore beaucoup de travail à accomplir pour éliminer les discriminations ethnoculturelles, car tout comme pour la violence faite aux femmes, c’est « tolérance zéro » qui doit être l’objectif à atteindre en matière de discrimination et de racisme. Pour cela, deux voies se présentent à nous. La première est celle des dénonciations, de la confrontation et de la culpabilisation de la société québécoise, ce qui ne peut qu’exacerber l’hostilité et nourrir les extrêmes. La deuxième est celle des spécialistes, des experts, des travailleurs sociaux œuvrant à installer les structures d’accueil pour l’insertion des immigrants et immigrantes et cela dans une société d’accueil qui se sent respectée. Pour ce qui est de la lutte contre la discrimination systémique, un plan d’action gouvernemental existe déjà. Il s’agit maintenant de l’appliquer.
Version intégrale d’un article raccourci paru dans Le Devoir du 8 mai 2017.