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dimanche 11 mars 2018 Relire "La Couleur pourpre" d’Alice Walker
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Romancière, essayiste, poète, et militante féministe, Alice Walker est née dans une famille paysanne, dernière de huit enfants, en Géorgie (USA), le 9 février 1944. Ses écrits mettent en valeur la lutte des femmes contre le sexisme, le racisme et toutes les formes de violence qu’elles subissent, dont les mutilations génitales. Elle a enseigné à Wellesley et Yale, et collabore régulièrement à la revue féministe Ms. En 1982, Alice Walker publie, La Couleur pourpre (1) qui lui vaut, l’année suivante, le prix Pulitzer pour la fiction et l’American Book Award. Elle est ainsi la première femme noire à avoir obtenu le prestigieux Pulitzer. Le livre a reçu un accueil critique et public exceptionnel. Tiré originellement à 60,000 exemplaires, il a fait l’objet de plus de 25 éditions poches et demeure l’un des plus grands succès de l’histoire littéraire américaine. En 1985, Steven Spielberg le porte à l’écran avec, entre autres, Whoopi Goldberg, dans le rôle principal de Celie, et Oprah Winfrey dans celui de l’indomptable Sofia. Avancer contre le vent Ce roman bouleversant raconte l’histoire de Celie, qui lutte à la fois contre l’inceste et la violence, le racisme des Blancs et la misogynie mur à mur des uns et des autres. L’auteure y dépeint l’énergie incroyable des liens tissés entre femmes. dans "La Couleur pourpre" (1985) Le roman commence par la première lettre de Célie à son "Cher bon dieu". Elle lui raconte au jour le jour tous ses malheurs dans l’espoir que le "Tout-Puissant" redresse la situation. D’entrée de jeu, elle lui confie que son beau-père la viole à répétition, lui a enlevé, pour les vendre, les deux enfants qui en sont nés. Elle lui dit aussi craindre que Nettie, sa petite sœur, ne subisse le même sort. Au fil des lettres, on découvre le mariage forcé de Celie à Albert. Un veuf avec quatre enfants qu’elle appelle "Monsieur" (Mr), qui la bat, l’humilie et en fait son esclave domestique :
La belle Nettie était le premier choix d’Albert, et il la convoite, même après avoir épousé Celie. Mais quand il veut passer à l’acte, la jeune fille réussit à échapper au viol et s’enfuit. Et pendant des années, Celie ne reçoit aucune nouvelle de sa soeur. Elle comprendra plus tard que Monsieur a subtilisé mesquinement les lettres que Nettie lui a envoyées d’Afrique, où elle est devenue missionnaire. Il ne lui reste donc plus qu’à lui écrire "aux soins" de Dieu ! N’ayant forcément pas de réponse, elle finit par conclure :
Contre toute attente, on voit la docile Celie se libérer progressivement de l’emprise d’Albert, grâce à l’amour d’une femme merveilleuse et miraculeuse. Shug Avery, la flamboyante chanteuse de blues, amante de son mari et fille maudite du pasteur, lui apprend à se faire confiance, à s’aimer, à prendre sa vie en main.
Elle se soulève un peu et elle m’embrasse sur la bouche.
À la fin, Celie trouve la force de quitter son mari et déménage à Memphis pour vivre avec Shug. Elle y ouvre une manufacture de pantalons dont l’originalité et les couleurs flamboyantes invitent celles et ceux qui les portent à la joie et à l’indépendance ! Un roman épistolaire La Couleur pourpre subvertit le code utilisé jusque-là dans le roman épistolaire. Alice Walker s’approprie une forme traditionnellement masculine et fait de l’existence et de l’expérience des femmes le centre de son oeuvre. Elle affirme son autorité en signant son livre : "A.W., auteure et médium". Elle suggère ainsi que son but n’est pas seulement de créer et de privilégier une image littéraire des femmes, plus particulièrement des femmes noires. Elle veut surtout donner une voix à toutes celles qu’on a réduites au silence dans leur vie et dans la littérature (2). Pour Walker, l’art est libérateur et donne un sens à la vie ; c’est un acte de reconstruction du passé, des femmes et de la communauté humaine. Le choix de la forme épistolaire lui permet aussi de lier l’écriture à un mode d’expression oral de tradition nettement afro-américaine. La façon dont l’héroïne de La Couleur pourpre écrit comme elle parle ouvre grand les portes de l’humour et de la poésie. Le rôle prépondérant accordé à l’amitié féminine se démarque radicalement de la description des liens sentimentaux exprimés habituellement dans les romans où les femmes vivent des vies conventionnelles étouffées par l’ordre patriarcal. Les héroïnes de Walker transforment la base essentielle des relations, des codes et des valeurs de leur monde et en même temps raffermissent les liens qui les unissent.
Les femmes de ce roman forgent une multitude de liens complexes entre elles, des plus ludiques aux plus tragiques. On voit l’une d’elles se laisse violer par son beau-père pour protéger sa jeune sœur, une autre se sert de ses charmes pour faire libérer de prison sa rivale. Mais, finalement, toutes s’entraident dans leur travail et le soin des enfants. Subvertir les rapports de domination Ces nouvelles relations sociales, axées sur la coopération et la réciprocité, minent petit à petit les rapports hiérarchiques de pouvoir entre les hommes et les femmes, entre les communautés blanches et noires. Les femmes mettent en commun le soin des enfants, le travail et, parfois, les hommes. Walker explore différents modèles de relations, du couple hétérosexuel au couple homosexuel, et à la triade femme/homme/femme, jusqu’au remplacement de la famille nucléaire par la famille élargie constituée par le réseau des femmes. Dans ce modèle, celles-ci ont accès au domaine public, alors que les hommes partagent de plein gré les tâches domestiques. Oprah Winfrey dans le rôle de Sofia, "La Couleur pourpre (1985) Le roman montre aussi la résistance des hommes à se départir de leur pouvoir sur les femmes. Il raconte l’attaque sauvage d’une femme noire par les Blancs, sous prétexte qu’elle menace l’ordre établi. La libre et farouche Sofia ne se sent jamais victimisée ni complice de sa propre oppression. Rien d’autre ne peut tempérer sa souffrance et sa colère qu’une radicale transformation de la société. Il est clair que, pour Walker, la libération doit d’abord passer par la métamorphose quotidienne des liens interpersonnels avant de pouvoir réussir collectivement à vaincre toute forme de domination. Les héroïnes de La Couleur pourpre, sont rebelles et se placent hors du contexte patriarcal des normes familiales. Elles remettent même en question le maternage, en encourageant toute femme consentante à y contribuer, qu’elle ait déjà enfanté ou non. Elle jette ainsi les bases d’une conscience de soi, valorisant et affirmant la primauté des liens entre femmes. Les valeurs éprouvées de l’amitié – réciprocité, respect, partage du pouvoir et confiance – tendent à devenir, dans l’œuvre d’Alice Walker, les principes directeurs d’une nouvelle communauté humaine. La religion et l’infériorisation des femmes L’intérêt particulier de La Couleur pourpre vient de la préséance accordée aux liens entre femmes sur les liens interraciaux ou de classe. Contrairement aux théories qui continuent à prétendre que "sans révolution, pas de libération des femmes". Et cela, même si l’histoire ne cesse de prouver l’inverse, chaque révolution renvoyant les femmes à leurs casseroles, en dépit de leur participation massive et enthousiaste. Pour la romancière, c’est de toute évidence dans la lutte contre la discrimination et la violence sexuelles que les femmes peuvent atteindre la libération. Elles rompent ainsi radicalement avec l’idéologie patriarcale, à la racine de toutes les autres formes d’oppression. Dans le roman, on voit la passion transcender les vœux du mariage, l’attirance entre femmes pousser à rejeter la contrainte à hétérosexualité, le désir éprouvé pour plusieurs partenaires remettre en question le couple monogame, etc. Au fil des pages, Walker démasque l’hypocrisie et les préjugés religieux qui, de tout temps, ont infériorisé les femmes. Elle privilégie, pour sa part, une vision de la spiritualité fondée sur la croyance en l’unité de la vie et à la possibilité pour chaque être d’expérimenter plaisir et bonheur. Elle sait conjuguer admirablement le cheminement intérieur et individualiste de ses personnages féminins et leur lutte contre le pouvoir masculin qu’il soit blanc ou noir. Elle passe tout aussi habilement d’une forte charge émotionnelle, à l’humour, à la tendresse ou à la dénonciation corrosive. Même si l’action se déroule dans la première moitié du XXe siècle, cette œuvre n’a rien perdu de son actualité et de la force de choc de sa conception du monde. Un roman phare à lire ou à relire, en ce 8 mars 2018 de la prise de parole et de la solidarité internationale des femmes. À l’instar de Celie et Sofia, qui créent une magnifique courtepointe avec des retailles de tissus de toutes les couleurs, nous pouvons, chacune d’entre nous, transformer le monde en unissant nos forces. Notes 1. Alice Walker, La Couleur pourpre, Paris, Robert Laffont, 1982. Livres d’Alice Walker Romans et nouvelles • The Third Life of Grange Copeland (1970) Poésie • Once (1968) Essais • In Search of Our Mothers’ Gardens : Womanist Prose (1983) Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 mars 2018 |
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