Lancer un mouvement d’hommes contre la prostitution : l’énergie m’en vient quand un mot me heurte en pleine rue.
Paris, 2010. Je marche près du Centre Pompidou quand une affiche me saute aux yeux. C’est une publicité pour une série sur Canal+, Maison close. De belles jeunes femmes dans un décor de luxe, avec le slogan « Les hommes rêvent d’y entrer, elles se battent pour en sortir. »
C’est sans doute une histoire d’autrefois, dans la France d’avant 1946, date de la fermeture des bordels légaux. Cette nostalgie m’agace, car elle sert de prétexte à des images dont la complaisance masque le sordide, mais autre chose m’intrigue. Je m’arrête, relis le slogan… et vois rouge. À cause du premier mot : « Les hommes rêvent d’y entrer… »
« Les » hommes ? Tous les hommes ? Toujours et partout ?
« Les » hommes – un article défini, qui signifie les hommes en général, l’ensemble des hommes –, et non « des » hommes – un article indéfini, désignant une partie des hommes.
Que des hommes rêvent d’entrer dans un bordel pour acheter un acte sexuel, c’est un fait. Que ce fantasme soit un universel masculin, c’est faux.
Non, les hommes ne sont pas « tous les mêmes ». Non, ils n’ont pas tous des fantasmes de voyeurisme et de domination. Oui, il y a « des » hommes, d’autres hommes – ils s’expriment dans ce livre – pour qui un bordel est un lieu de violences, puisque des femmes y sont vendues comme des marchandises, tenues de se conformer aux caprices de ceux qui paient, tandis que leurs propres désirs sexuels sont niés. Le contraire d’un endroit de plaisir. Un cauchemar, même avec des tentures de velours rouge.
Pourtant, dans la France de 2010, on impose l’idée inverse. Des dizaines de milliers d’affiches martèlent cette propagande : « Les hommes rêvent d’y entrer… »
D’y entrer comme clients, et non comme prostitués.
D’y entrer pour choisir une femme qui leur plaît et acheter l’accès à son sexe. Elle acceptera. Elle n’a pas le choix.
Qui peut échapper à ce matraquage ? Ces images sont partout.
Sur les trottoirs des villes. Dans une bande-annonce au cinéma, sur la chaîne, sur son site. Un univers de peluche cramoisie et de sofas moelleux, où l’argent permet de donner libre cours à ses désirs. Les désirs de qui ? « Les hommes rêvent d’y entrer… » Voilà comment on façonne les mentalités, avec des images séduisantes au service d’idées réactionnaires.
En regardant cette affiche, je sens monter en moi l’écoeurement, l’indignation, la révolte. Malgré le slogan en deux parties faussement symétriques, malgré la mention de femmes en lutte, c’est le point de vue des profiteurs du système qu’on nous impose, et non celui des femmes qui « se battent pour en sortir ». On nous invite à franchir
la porte de ce bordel. Une voix, dans la bande-annonce, susurre : « Bienvenue au Paradis… » Pour des femmes, c’est l’enfer.
N’y a-t-il donc personne pour se choquer de cette énormité ? Aucun homme pour se dresser en rétorquant : « “Les hommes ?’’ Non ! Pas tous ! Pas moi ! » Aucun groupe d’hommes pour crier : « Ça suffit ! Ne parlez pas en notre nom ! »
Et nous autres, pourquoi laissons-nous la publicité imposer la dictature de ses slogans ? Formater nos fantasmes sur un modèle associant chez l’homme voyeurisme, domination et argent, chez la femme exhibitionnisme et passivité ?
Maison close, bouches closes : aucune protestation ne se fait entendre qui puisse atteindre le grand public. Combien de temps allons-nous endurer cette propagande qui justifie l’esclavage sexuel par de prétendues pulsions, besoins ou désirs masculins ?
Je rentre chez moi en mûrissant une idée.
« Les » hommes ? Non : des hommes ! Certains hommes.
Et les autres ? Alors que les premiers estiment normal d’acheter un acte sexuel, les seconds s’y refusent. Des hommes ont déjà payé ou veulent se réserver cette possibilité, d’autres disent non à la
prostitution.
Certains hommes font partie du problème, d’autres peuvent contribuer à le résoudre.
La prostitution existe parce que l’humanité tolère cette violence : l’achat d’un acte sexuel à une personne qui ne le désire pas. Elle se perpétue parce que des hommes qui la refusent se taisent ou restent isolés.
Qu’attendent-ils ? Pourquoi ne se rassemblent-ils pas pour faire entendre leur opposition ?
Ces hommes, j’en connais beaucoup. Une idée me vient : un
réseau international d’hommes engagés contre le système prostitueur. Réunis, ces résistants changeront ce monde.
C’est le début d’une aventure…
Ce texte est le premier chapitre du livre Zéromacho. Des hommes disent non à la prostitution !
Florence Montreynaud, Zéromacho. Des hommes disent non à la prostitution !, M éditeur, 2018. Collection Mobilisations, 208 pages. Format : 5,5 x 8,5 pouces. Prix : 19,95$ /18 €. ISBN : 978-2-924327-82-1