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jeudi 8 octobre 2020 Les femmes et les événements d’Octobre 1970
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Le matin du 5 octobre 1970, le Front de libération du Québec (FLQ) enlève l’attaché commercial britannique, James Richard Cross. La cellule libération du FLQ exige notamment la libération des 23 prisonniers politiques incarcérés, la diffusion et la publication de son manifeste, la mise à sa disposition d’un avion pour amener ses membres vers Cuba ou l’Algérie, que Postes Canada réembauche les 400 ex-employés de l’entreprise Lapalme. Le 8 octobre, le journaliste Louis Fournier lit le manifeste à la radio sur les ondes de la radio CKAC et Gaétan Montreuil à la télévision d’État, recueillant instantanément de nombreux appuis parmi la population du Québec. (1) Deux jours plus tard, la cellule Chénier du FLQ s’empare du ministre québécois du Travail, Pierre Laporte, et formule les mêmes conditions que ses camarades pour libérer son otage. Une seule femme, Louise Lanctôt fait partie de ces deux cellules. Sous prétexte qu’une insurrection armée était "appréhendée" au Québec, le 15 octobre, le premier ministre du Canada, Pierre Élliott Trudeau, appuyé par le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, et le maire de Montréal, Jean Drapeau, ordonne l’occupation du Québec par 8 000 militaires de l’armée canadienne. À 4 heures du matin, le vendredi 16 octobre, le gouvernement fédéral décrète la Loi des mesures de guerre. Une loi qui déclare le Front de libération du Québec comme "association illégale". La loi rend également passible de 14 ans de détention toute personne appuyant l’association illégale. Elle permet de procéder à des arrestations et à des perquisitions sans mandat, et de garder en détention les personnes arrêtées pendant trois semaines sans porter d’accusations. Il y aura 497 arrestations la nuit même, et environ 4 500 perquisitions avec saisies de plus de 30 000 documents lors de ratissages partout au Québec. La plupart des personnes arrêtées appartenaient à des groupes militants ouvertement en faveur de la justice sociale et de l’indépendance du Québec. Parmi elles, on compte une cinquantaine de femmes dont certaines très connues, comme la chanteuse Pauline Julien, l’écrivaine et militante indépendantiste Andrée Ferretti, ainsi que la future présidente du Conseil du statut de la femme, Claire Bonenfant. Des milliers de femmes et d’enfants ont été à jamais traumatisé-es par l’irruption brutale dans leur maison, en pleine nuit, de policiers anti-émeutes, casqués et mitraillette au poing, les traitant comme des criminels. Souvent, les enfants ont vu leurs parents brutalisés et emmenés menottés, avant d’être confiés sans ménagement à des voisines. Au bout des trois semaines permises par la Loi, 90 % des gens arrêtés étaient libérés sans qu’aucune accusation ne soit portée. Sur les 36 personnes accusées d’appartenance au Front de libération du Québec (FLQ), seules dix-sept d’entre elles furent appelées à subir un procès, dont sept femmes qui furent condamnées de six à 12 mois de prison. Les accusations contre les autres ont été suspendues pour manque de preuves (Nolle prosequi) et retirées complètement quelques années plus tard. (2) Bien qu’aucune mention de discrimination envers les femmes n’apparaisse dans le manifeste du FLQ, la façon concrète et puissante dont il exprime les revendications de l’ensemble du peuple québécois rejoint et touche beaucoup de femmes qui en ont repris plusieurs passages à leur compte. On se souviendra du disque Québékiss de Marie Savard, des prestations de Pauline Julien, Louise Forestier, Michèle Lalonde, Michelle Rossignol, Hélène Loiselle, Nicole Leblanc et Louisette Dusseault lors du spectacle Poèmes et Chants de la résistance, tenu en pleine application de la Loi des mesures de guerre. Le Front de libération des femmes du Québec Dans le sillage des événements d’octobre 1970, il faut souligner la présence très militante du Front de libération des femmes du Québec, un groupe féministe et nationaliste fondé en 1969. "Pas de libération du Québec sans libération des femmes, pas de libération des femmes sans libération du Québec !", scandent ses membres lors des rassemblements et manifestations indépendantistes. Le FLFQ appartient au mouvement féministe radical dont la priorité est le renversement du système patriarcal. Dans sa revue Québécoises Deboutte !, il contribuera à l’analyse et à la dénonciation de la violence et de la discrimination systémique envers les femmes dans tous les domaines. L’une de ses premières actions d’éclat a lieu au Monument National de Montréal, le 29 novembre 1969. Près de 200 femmes s’enchaînent les unes aux autres, pour protester contre le règlement du maire Drapeau qui interdit les manifestations publiques. Le groupe luttera sans relâche pour l’avortement libre et gratuit. Par des manifestations et l’occupation des locaux du ministère de la Santé et des services sociaux, le FLFQ revendiquera aussi la création de garderies populaires, financées par l’État, gérées conjointement par les monitrices et les parents. Une autre action du FLFQ, qui restera dans les mémoires, a lieu en 1971 lors du procès de Paul Rose pour l’enlèvement et la mort de Pierre Laporte. L’une des personnes appelées à témoigner, Lise Balcer, refuse de le faire, parce que les femmes n’ont pas le droit d’être jurées à cette époque au Québec. On lui ordonne de comparaître le 1er mars 1971 pour recevoir une sentence d’outrage au tribunal. C’est alors que, pour l’appuyer, sept militantes du FLFQ prennent d’assaut le banc des jurés en criant : "Discrimination !". Elles sont condamnées à un ou deux mois de prison pour outrage à un magistrat. Quelques mois plus tard, le 17 juin 1971, l’Assemblée nationale adopte une loi permettant aux femmes de siéger comme jurées. (3) Les femmes au coeur de toutes les luttes Le mouvement féministe fait partie intégrante du mouvement de contestation des années ’70. La Fédération des femmes du Québec (FFQ) compte alors plus de 100 000 membres. Les grands syndicats et les comités d’action politique de quartier ont des comités de condition féminine. Mais la tendance dominante demeure : la subordination de la libération des femmes à la réalisation de l’indépendance nationale et du socialisme. Il ne faut jamais oublier ces jours d’octobre, il y a cinquante ans, où trois niveaux de gouvernement, avec une démagogie consommée, ont suspendu les règles démocratiques et déclenché une répression disproportionnée, une "insurrection appréhendée", créée de toutes pièces par Pierre Elliott Trudeau et ses proches conseillers, dans le but d’écraser le mouvement indépendantiste. Moins de vingt personnes ont été condamnées à des peines de prison. On est bien loin des prétendus 3 000 révolutionnaires armés jusqu’aux dents justifiant la promulgation de la Loi des mesures de guerre. L’un des complices de P.E. Trudeau, le ministre Jean Marchand, dira que le recours aux mesures de guerre équivalait "à mobiliser un canon pour tuer une mouche !". (4)
Mis en ligne sur Sisyphe, le 7 octobre 2020 |
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