J’ai hésité à écrire ce billet, j’hésite à prendre position sur le sujet de la prostitution, car je ne considère pas être la mieux placée pour le faire. Cependant, dernièrement, j’ai défendu à plusieurs reprises les féministes abolitionnistes de l’exploitation sexuelle.
Oui, je défends les abolitionnistes, dans la mesure où leur position est déformée par leurs détracteurs : contrairement à ce que prétendent les pseudo-féministes qui s’en prennent aux abolitionnistes en les traitant de "SWERF" (Sex Worker Exclusionary Radical Feminist), elles ne haïssent pas les prostituées. Vous comprendrez qu’en tant que "TERF" (Trans Exclusionary Radical Feminist), je ne peux avoir que de la sympathie pour des femmes qui, comme moi, se font étiqueter avec une expression faite pour les diaboliser et les faire taire, par des gens qui déforment complètement leurs positions.
En fait, j’ai souvent vu des personnes, se réclamant du féminisme inclusif des travailleuses du sexe, injurier des abolitionnistes et il arrive même qu’elles soient victimes de violence physique de leur part (un cas a été médiatisé en France il y a une semaine) ; inversement, je n’ai jamais vu de féministe abolitionniste être violente envers les prostituées, même pas verbalement. Je sais que c’est seulement ce que j’ai vu, mais ceci explique cela : les abolitionnistes suscitent plus ma sympathie que les personnes qui sont violentes envers les abolitionnistes.
D’ailleurs, ceux qui les traitent de "SWERF" ignorent (volontairement ?) que beaucoup d’entre elles sont elles-mêmes des survivantes de l’exploitation sexuelle : se dire pour la liberté des femmes et pour la sécurité des prostituées, mais attaquer des femmes qui dénoncent l’exploitation dont elles ont été victimes, c’est gênant, non ? Surtout quand ça vient de personnes qui traitent ces femmes de fausses féministes en se présentant elles-mêmes comme les vraies féministes.
Maintenant, admettons qu’il existe des femmes qui choisissent de vendre des services sexuels, qui le font en étant en sécurité, et en ayant toujours la possibilité de faire autrement si elles souhaitent arrêter.
Il y a un certain profil de femmes qui disent que les abolitionnistes briment leur liberté, et qui se présentent justement comme ça : des femmes qui ont choisi de faire ça et qui considèrent que les abolitionnistes leur font violence. Vous savez quel effet elles me font ? Ce sont les "Dalila Awada" de la prostitution !
Je m’explique : Dalila Awada est une femme privilégiée parce qu’elle a les moyens d’aller à l’université, qu’elle a un grand nombre de tribunes, à la télévision et à la radio, qu’elle a des centaines d’admirateurs, et qu’elle a même eu les moyens de poursuivre quelqu’un en diffamation, chose impossible à l’IMMENSE majorité des Québécois-es (même à supposer que ses avocats aient travaillé pro-bono, argument qu’on m’a déjà objecté en me disant qu’elle n’est pas riche : vous en avez, vous, des avocats qui sont prêts à vous représenter pro-bono ? Ben c’est ça, moi non plus... c’est un privilège !
Dalila Awada se présente comme une victime de l’oppression de ceux qui disent que ce signe religieux, son voile, est une pratique sexiste. Parce que la pauvre, elle, elle le porte volontairement, son voile, et ça la contrarie qu’on dise qu’il est sexiste, et en plus elle pourrait être obligée de l’enlever temporairement au travail si elle voulait enseigner (quelle horreur, devoir respecter des contraintes vestimentaires pour son emploi, comme l’immense majorité des gens qui sont sur le marché du travail...)
Et il faudrait que ce soit à elle qu’on donne la priorité, et que ça nous fasse arrêter de dénoncer le port du voile, alors que des milliers de filles sont élevées de façon à intérioriser le fait que leur corps est obscène, que si elles ne se couvrent pas de la tête aux pieds parce qu’elles sont des filles, alors elles vont aller en enfer, ou encore elles vont donner le droit aux garçons et aux hommes de leur manquer de respect, ou même ça va les rendre impures. Alors que des milliers de filles sont socialisées de façon à comprendre qu’elles doivent se cacher, quitte à s’exclure des activités qui demandent une tenue peu encombrante, pendant que leurs compagnons masculins, eux, n’ont pas de telles entraves. Alors même que des femmes sont menacées de violence et même victimes de violence si elles enlèvent leur voile. Que Dalila Awada s’attende à être la personne pour qui on a le plus de peine, au point de ne pas dénoncer ces problèmes pour ne pas la heurter, c’est odieux de sa part.
Eh bien, les femmes qui se présentent comme des prostituées bien au-dessus de leurs affaires, qui gardent leur argent et qui aiment ce qu’elles font, qui prétendent qu’on leur fait violence en dénonçant l’exploitation dont sont victimes des milliers de femmes et d’enfants (incluant des garçons) me font exactement le même effet. Qu’elles disent que des gens leur font violence en dénonçant des problèmes mille fois plus graves que la contrariété qu’elles peuvent ressentir quand on critique leur métier, c’est odieux de leur part.
Il leur arrive même de blâmer les abolitionnistes pour les risques liés à leur métier, comme celui d’être violentées, ou même tuées, de ne pas avoir des conditions d’hygiène adéquates, ce qui est tout aussi odieux. Premièrement, parce que ce sont des proxénètes et des clients qui violentent les prostituées, pas des féministes abolitionnistes. Deuxièmement, parce que ça fait justement partie de ce que les abolitionnistes dénoncent : les risques que courent les personnes prostituées.
Et ne venez pas dire que les abolitionnistes empêchent les prostituées et les actrices porno de faire leur travail, je vous en prie ! Les abolitionnistes n’ont absolument pas le pouvoir de faire ça ! Tout au plus, elles contrarient des prostituées et des clients en critiquant leurs activités. Critiquer les façons d’agir des gens n’est pas de la violence.