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dimanche 8 avril 2007 Quand les femmes se savent capables de tout
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Le jour où l’une d’entre nous découvre soudain n’être ni "inférieure", ni "anormale", ni "un défaut de fabrication de Dieu" ni "dépourvue de créativité et de talents artistiques", ni "incapable d’amitié", mais qu’un même regard masculin au cours des siècles lui a inculqué cette image négative d’elle-même, elle ne peut s’empêcher de se demander si d’autres femmes dans le passé ont fait, aussi, cette merveilleuse découverte de se savoir capables de tout comme l’autre moitié de l’humanité. Avec, en plus, le pouvoir de donner la vie. L’encre "antipathique" de l’oubli Quand, avec l’avènement du féminisme moderne, une multitude de biographies et d’anthologies sur les femmes du passé ont commencé à paraître, nous sommes restées interdites devant tout ce qu’on nous avait caché, devant l’étendue de ce que les historiens n’avaient pas jugé bon de dire au sujet de nos précursœurs. Si on a pu effacer tant de femmes de la conscience collective, qu’adviendra-t-il de nous ? Les historiens retranscriront-ils nos réalisations avec une encre antipathique, invisible aux générations futures, les conditionnant à percevoir le système patriarcal de valeurs comme le seul possible, encore et toujours ? Dale Spender raconte qu’elle cesse de croire à la quasi-absence des femmes dans l’histoire, ainsi que l’enseignaient toutes les institutions, lorsqu’elle apprend qu’en 1911 les féministes avaient en Grande-Bretagne vingt et une revues, une librairie, une imprimerie et une banque gérée par et pour des femmes (1). Une fois prouvé qu’il y a toujours eu des femmes actives, ayant des liens entre elles, reste à comprendre pourquoi leurs contributions ne figurent pas dans l’histoire. Petit à petit, il devient clair que les hommes ont réussi à imposer leur expérience et leur système de références comme étant les seuls valables. Il est tout aussi évident qu’ils n’avaient pas intérêt à ce que les femmes prouvent qu’il est possible de vivre et de penser autrement qu’eux. Alors qu’ils accomplissent seulement le tiers du travail productif dans le monde, ils n’ont cependant pas hésité à proclamer que leur expérience partielle était la seule digne d’être retenue, niant avec dédain l’expérience des femmes. L’histoire montre que, de façon générale, les hommes n’ont jamais pu construire leur identité sans nier celle des femmes. Leur envie et leur peur immémoriale de la sexualité des femmes et des mystères de la gestation provoquent sans doute un tel comportement (2). L’invisibilité et l’insignifiance de ces dernières semblent absolument essentielles à l’existence masculine. Elles doivent exister seulement en tant que faire-valoir, miroir grossissant dans lequel ils pourront en tout temps se reconnaître supérieurs. Ce n’est pas parce que les femmes n’ont pas laissé de contributions importantes à l’histoire qu’elles en sont absentes, mais bien parce que les hommes les en ont exclues, censurant toute autre expérience que la leur. Cet effacement de l’histoire fait de nous un groupe homogène et permet de dire "nous les femmes" sans référence à quelque essentialisme que ce soit. En prétendant qu’aucune femme n’a laissé une œuvre digne d’être retenue, les historiens nous empêchent de nous construire une identité en puisant dans notre passé tel qu’ils le font eux-mêmes. Nous naissons toutes, intellectuellement, par génération spontanée. S’approprier le savoir De toutes les exclusions subies par les femmes, l’exclusion du savoir me semble la plus déterminante. Nous venons au monde sans mémoire et sans tradition écrite. Or, on sait que, depuis Sappho, dont on a brûlé la plupart des poèmes, très peu d’écrits féminins nous sont parvenus. D’hier à aujourd’hui, on a publié ou conservé peu de leurs livres, les empêchant ainsi de passer à la postérité. « Il nous faut créer de telle façon que notre créativité ne puisse plus être réduite au silence. Ceci supposera la conscience profonde que les années de feu et les rites d’autodafés de livres continuent aujourd’hui à éliminer les créations de femmes sous la forme sophistiquée de mauvaises critiques, de publicité et de distribution au compte-gouttes, laissant les livres féministes s’épuiser, leur refusant la publication » (3). Peu de femmes ont donc eu accès à l’éducation ou à la publication. Aujourd’hui, les hommes possèdent 99% des ressources, et tout laisse croire qu’il en fut de même dans le passé. Le savoir figure parmi les ressources qu’ils se sont le plus exclusivement appropriées. Les femmes ont toujours éprouvé de la méfiance pour l’intellectualisme et les théories si souvent utilisées afin de justifier l’oppression et les intimider. « Des riches, nous avons entendu que les pauvres sont responsables de leur pauvreté, des Blancs que les Noirs n’ont qu’eux-mêmes à blâmer pour leur statut social minable, et des hommes que les femmes sont satisfaites de leur destin et ont choisi leur propre subordination » (4). D’hier à aujourd’hui, on utilise la théorie pour séparer les détenteurs et détentrices du savoir de ceux et celles qui en sont dépourvus. En dépit de leur méfiance justifiée envers tout intellectualisme, les femmes n’ont d’autre choix que de se réapproprier la recherche théorique en l’utilisant dans leur propre intérêt pour ne plus subir l’exclusion et l’occultation de leur culture. L’attitude de nos contemporains face aux femmes intelligentes n’a guère changé depuis qu’Aristote déclarait tranquillement que si les femmes ne deviennent jamais chauves, c’est qu’elles ne se servent jamais de leur cerveau. Compter les unes pour les autres Comment les femmes peuvent-elles échapper au destin de leurs prédécesseures et transmettre leurs connaissances, leurs œuvres, leur art de vivre et d’aimer aux futures générations de femmes ? Comment briser le cercle vicieux qui permet aux hommes de continuer à les exclure du savoir ? Comment mettre fin au monopole culturel et intellectuel masculin, à la division sexuelle du travail, à la séparation du corps de l’esprit, et au viol constant de l’intégrité féminine ? Et surtout, comment dépasser les rivalités attisées entre elles pour les empêcher de se lier et de contester les valeurs établies ? Quand une femme refuse de reconnaître la suprématie masculine et le modèle unique de la maternité, on la repousse dans un ghetto où elle ne pourra pas nuire et on se sert de l’exemple de son isolement comme repoussoir pour garder l’ensemble des femmes dans le droit chemin du servage. Mais cette stratégie est à double tranchant, car la virginité, par exemple, représente une voie vers l’indépendance envers les hommes. Ce choix porte en soi un germe d’intégrité qui libère des valeurs de soumission. Luce Irigaray, pour qui c’est un état de « solitaire béatitude », a compris l’importance du droit des femmes à la virginité, réclamant qu’on ajoute au code civil un article à cet effet, les hommes considérant toujours toute femme seule comme « disponible » pour eux (5). La vierge symbolise la femme intacte dans tout son passé et son potentiel affectif originel. Pour les hommes, remarque Beauvoir, « la virginité n’a d’attirance érotique que si elle s’allie avec la jeunesse » (6). Le mépris des hommes envers les vieilles filles viendrait, selon elle, de la peur que ces femmes aient échappé à leur pouvoir ou qu’elles possèdent trop de pouvoir en propre. « Arriver à la conclusion que le vrai but des femmes dans la vie est de vouloir compter beaucoup les unes pour les autres et que, pour elles, les hommes ne sont qu’une incidence dans leur vie est bien sûr très terrifiant » (7). Notes 1. Dale Spender, Women of Ideas and Men Have Done to Them, London, Routledge, 1982, p. 4. Mis en ligne sur Sisyphe le 29 août 2003. AUTRES EXTRAITS « Courtepointe de l’amitié entre femmes » « Sappho, l’amour et la poésie » « Hildegarde Von Bingen, la conscience inspirée du XIIe siècle » Extrait du livre d’Élaine Audet, Le Cœur pensant. Courtepointe de l’amitié entre femmes, Québec, Le Loup de Gouttière, 2000. On peut se procurer ce livre dans les bonnes librairies ou le commander à l’adresse sur cette page. |