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dimanche 21 septembre 2003


Mariage gai
L’amour en plus

par Josée Boileau, rédactrice en chef et éditorialiste, Le Devoir






Écrits d'Élaine Audet



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Victoire !, lançait mardi Martin Cauchon, ministre fédéral de la Justice, à la suite du rejet de la motion de l’Alliance canadienne sur la définition du mariage. Mais c’est la victoire des chiffres, non celle des esprits. Le besoin reste grand de parler de valeurs.

Il faudra un leadership fort pour calmer le jeu sur le mariage gai, mais l’affaire est bien mal partie. Paul Martin ne vient à bout de cacher son malaise sur cette question qu’en se retranchant derrière l’argument légaliste. "C’est vraiment la décision des cours", dit-il. Interdire le mariage aux homosexuels est discriminatoire, tranchent les tribunaux ? Eh bien, soupire M. Martin, endurons en attendant de trouver mieux (et aux dernières nouvelles, il chercherait fort !).

Un chroniqueur posait même hier que le vote serré des Communes n’a aucune pertinence puisque ce sont dorénavant les juges qui, par le truchement de la Charte canadienne des droits, gouvernent le pays. Comme si, entre deux jugements de la Cour suprême, la Charte empêchait les politiciens de prendre à bras-le-corps les enjeux sociaux ! Comme si les juges inventaient les requêtes pour mieux enquiquiner les élus ! Ce sont pourtant des personnes de chair et de sang qui ont amené le mariage gai devant les tribunaux. Il y avait là non seulement une cause à trancher mais une demande de citoyens envers leur société. Aux chefs de parti de répondre, et avec conviction — celle-là même qui anime Martin Cauchon mais qui manque terriblement, et c’est inquiétant, à M. Martin.

Ce sont pourtant les valeurs plutôt que les règles de droit qui aident à départager les concepts qui encombrent le débat : la pérennité du mariage, la procréation ; et l’inceste, la polygamie ; et le droit à l’amour pour tous... Car s’il est clair que le mariage a essentiellement, et depuis longtemps, souligné l’union d’un homme et d’une femme, il est tout aussi manifeste qu’il n’a jamais été une institution figée. Et que le grand ébranlement dans la notion de mariage ne tient pas à l’actuel débat sur les gais mais découle en droite ligne d’un changement radical : l’égalité entre les hommes et les femmes.

Le mariage, on ne le dit pas assez, prend sa source dans la notion de propriété et d’enfermement des femmes. Dans le monde romain, concubinat et mariage sont deux options reconnues socialement, et l’on y procrée allègrement. La différence tient en un mot : l’héritage. Seuls les enfants issus de l’épouse y ont droit. Ceci requiert d’avoir des biens, réservant ainsi le mariage aux classes aisées ; ceci commande aussi la fidélité féminine. Il faudra des siècles pour que le mariage sorte de cette assise qui repose sur des rapports d’inégalité.

Cela se fera petit à petit. Au Moyen ge, l’avancée viendra d’ailleurs de l’Église, dit le médiéviste Jacques Le Goff. Au mariage de convenance, réglé par le roi, le mariage chrétien opposera la nécessité du consentement de chacun des époux. Pour les femmes, l’innovation est capitale, même si l’état marital continue pour elles d’être un carcan.

Les pauvres commencent ensuite à imiter rois et noblesse : ils se marient, dans un but de procréation mais sans les contraintes de l’échange de biens, de terres, d’empires. Ce sont les balbutiements du mariage d’amour, que les spécialistes associent à la Renaissance mais qui ne triomphera qu’au tournant du XXe siècle, à la faveur du salariat et de l’exode rural. Les parents, le curé, restés au village, auront alors moins d’emprise sur une jeunesse de plus en plus autonome économiquement.

C’est le début de la quête du bonheur, la fin du mariage arrangé, qui gagnera toutes les couches de la société. La relation entre les époux, du coup, connaîtra des bouleversements si profonds qu’ils viennent à peine de s’achever, comme nous le verrons demain.

*

Les tenants du mariage hétérosexuel plaident la tradition. Or le mariage a déjà changé, et c’est cette transformation qui a ouvert le chemin aux mariages des couples de même sexe, les rendant tout à fait acceptables.

Le vrai bouleversement du mariage traditionnel ne date pas du jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, en juin dernier. Il a eu lieu bien avant, à l’aube du XXe siècle. Jusque-là imposé, arrangé, aussi platement contracté que l’achat d’une maison aujourd’hui, le mariage est soudain submergé par cette chose folle, souhaitable mais toujours restée secondaire : l’amour entre les époux. Pour peu que les mariages arrangés subsistent encore, on ne s’en vante plus sur la place publique. L’amour est dorénavant la seule porte socialement admise pour accéder au mariage.

C’est une révolution. Le XXe siècle voit la naissance de l’individu détaché de sa communauté, et l’amour est le geste individuel par excellence. Il en résultera un changement profond de la dynamique même du mariage : la femme y devient peu à peu l’égale de l’homme alors que, depuis les débuts de l’institution, elle était sous son contrôle.

Peu à peu, elle gagne le droit de conserver son nom si elle se marie ; elle se voit reconnaître la même autorité que son époux au sein de la famille ; elle voit être levées les entraves à sa participation à la vie publique et professionnelle (ainsi des hôtesses de l’air, qui devaient quitter leur emploi si elles se mariaient, un interdit levé seulement dans les années 60 !). Mieux encore, la femme verra reconnaître publiquement, avec les mêmes droits que les "légitimes", ses enfants nés hors des liens du mariage. La procréation est définitivement détachée de la conjugalité.

Chacun de ces gains est récent, chacun ébranle les fondements de l’institution. La demande des couples gais de se marier serait impensable si cette transformation n’avait pas eu lieu. Mais dorénavant, la forme moderne du mariage se conforme aux rapports affectifs égaux qui ont cours entre les homosexuels.

À l’inverse, l’égalité dans le mariage bloque la voie au mariage incestueux ou à la polygamie. L’Église catholique craint cette dérive, et, n’a pas tort : d’un point de vue technique. toutes les lois se changent ! Mais ni l’inceste ni la polygamie ne sont basés sur des rapports égalitaires : il s’agit d’un abus de pouvoir dans le premier cas, d’exploitation des femmes dans le second. Avoir une vision nette de ce qu’est devenu le mariage permet de contrecarrer de telles perspectives.

Mais le vrai sous-texte de la déclaration de l’Église, c’est bien sûr la crainte de la dépravation sexuelle. L’Église est pourtant la mieux placée pour savoir que le mariage est l’exact envers de la licence sexuelle, elle qui a utilisé ce cadre pour contrôler la sexualité ! Aujourd’hui, plaisir et mariage ne sont plus incompatibles. Néanmoins, le mariage reste un engagement public, solennel, à réfréner sa sexualité pour ne se consacrer qu’à l’autre. Que l’adultère existe, que les divorces abondent, tout cela ne change rien à cet engagement premier.

C’est d’ailleurs à ce titre que le mariage garde une puissante charge symbolique. La révolution sexuelle lui a vite enlevé le monopole de l’amour. Mais contrairement aux amours qui passent, à l’union libre (qui est un engagement privé) et à l’union civile (qui tient davantage du droit), le mariage continue d’être la promesse affichée d’une durée, de celle qui assure la stabilité d’une société parce qu’elle prend effet non avec le passage du temps (comme on l’exige avant d’accorder des bénéfices aux conjoints de fait) mais dès la cérémonie célébrée. Et le statut alors accordé est universellement reconnu.

Cela ne dénigre pas les autres types d’union mais permet de comprendre que des couples gais (et non pas tous, tout comme chez les hétéros) aient envie de cette reconnaissance publique. La leur refuser, c’est les condamner, dans l’imaginaire collectif, à la sexualité des saunas, au déni de tout autre lien possible.

Ce texte est paru en deux parties sous le titre L’amour en plus dans Le Devoir, les 18 et 19 septembre 2003. Reproduction autorisée par l’auteure et par Le Devoir

Mis en ligne sur Sisyphe le 23 septembre 2003.

Le Devoir

Le mariage, reflet de la société, par Ann Robinson. Sujet d’un débat sur La Parole citoyenne de l’ONF.



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Josée Boileau, rédactrice en chef et éditorialiste, Le Devoir

L’auteure est journaliste et éditorialiste au quotidien montréalais Le Devoir



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