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jeudi 20 novembre 2003


FSE
L’altermondialisme au féminin

par Françoise Escarpit, journaliste






Écrits d'Élaine Audet



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Le mouvement féministe entend renforcer sa visibilité dans les luttes pour une autre Europe dans un autre monde. Elles, "l’origine du monde",* les nanas, les bergères, les pétasses, les nénettes, les meufs..., sont arrivées, sous leurs parapluies, seules, par deux ou par groupes, venues de l’Europe entière, nord et sud. Hier matin, elles ont très vite rempli le chapiteau de plus de 2 000 places du parc de la Bergère, à Bobigny, aux côtés de quelques hommes. Pour les discours d’ouverture, avant de s’atteler à de multiples séminaires et ateliers, et de se faire entendre dans les rues.

Le Forum social européen (FSE) n’était pas encore officiellement ouvert que l’Assemblée européenne pour les droits des femmes l’avait inauguré de belle manière, rappelant que les femmes doivent faire partie du mouvement altermondialiste qui, lui-même, doit faire sien le combat des femmes. " Sinon, se demande Nelly Martin, du comité France, de quel monde nouveau parlons-nous qui ignorerait la moitié du genre humain ? " Nadia l’Italienne a évoqué la globalisation libérale et sa politique de " privatisations de secteurs économiques clés et de services essentiels ", où les femmes sont mal payées, précarisées, exclues. De Grèce, la constatation que " le système patriarcal est en bonne santé " et que la logique libérale du profit nourrit nationalismes et militarismes, et a fait du trafic des êtres humains - 500 000 femmes en sont victimes en Europe - " la troisième source de profit dans le monde ".

Applaudie par les jeunes garçons et filles venus des cités, Fatia l’Algérienne a condamné l’ordre moral et religieux se développant en Europe. Elle a critiqué la montée de l’intégrisme islamique qui " fait disparaître les femmes de l’espace public ", " le contrôle social " qui s’exerce sur elles " de la part du père, du frère, des voisins ou des amis ", et les sanctions qui sont prises contre les rebelles, pouvant aller " jusqu’à l’agression sexuelle ou au meurtre ". Une exigence de la déléguée portugaise, inquiète de l’absence de références à la violence faite aux femmes et à la santé reproductive, l’inscription, dans la constitution européenne, des droits des femmes, absents dans le projet actuel. Pour la Serbe Miriana qui considère que " le féminisme est une stratégie pour la libération ", la construction de l’Europe est un défi pour les femmes. Du Sénégal, une voix a rappelé que ce sont les femmes migrantes et demandeuses d’asile, " nombreuses et invisibles ", qui sont les principales victimes de l’arbitraire, de la précarité et de la misère. Et de Suède, une autre voix affirmant que l’on ne peut plus accepter que les femmes soient considérées comme une minorité.

À tous ceux qui voudraient s’attribuer la paternité (ou la maternité ?) du mouvement altermondialiste, il convient de rappeler que longtemps, bien longtemps, avant Porto Alegre et ce qui a suivi, les femmes luttent pour un monde meilleur. Altermondialistes avant la lettre. En 1944, le droit de vote leur avait été accordé en France. En 1945, la charte des Nations unies a reconnu à toutes les femmes les mêmes droits que la moitié masculine de l’humanité. Mais elles ont compris, dans leur expérience quotidienne, qu’au-delà des principes, il leur faudrait continuer de se battre au sein de sociétés profondément patriarcales où les inégalités de genre restent ancrées dans toutes les cultures. Elles ont compris que seuls la solidarité, le débat, l’éducation, la mobilisation viendraient un jour à bout des discriminations, et que, dans une telle bataille, il n’y avait plus de frontières.

Les femmes zapatistes du Chiapas qui, en 1994, ont refusé la tradition " quand elle est mauvaise " et ont imposé leurs règles dans le mouvement, sont les soeurs des " Ni putes ni soumises ". Ni les unes ni les autres n’ont encore gagné mais leur lutte les a rendues visibles. Les militantes du Mouvement du planning familial des années soixante et les " salopes " du procès de Bobigny sont les grands-mères de celles qui, en Bulgarie, en Pologne, au Portugal et en Irlande, réclament le droit à l’avortement. Les femmes d’Afrique, d’Asie et d’Amérique savent l’importance de l’eau et de l’installation de réseaux d’eau potable et d’assainissement car elles voient les enfants auxquels elles ont donné le jour mourir de maladies gastro-intestinales évitables. La solidarité est leur quotidien parce qu’elles ont appris, dans les conflits et la misère, la mise en commun, " les marmites populaires " au Chili, la distribution de lait au Pérou, les ateliers de confection en Inde... Quand les prostituées des trottoirs de Mexico ou de Manille promeuvent l’usage du préservatif auprès des jeunes, elles rejoignent les militantes et les militants des mouvements européens de lutte contre le sida. Au coeur des guerres qu’elles n’ont pas décidé, les femmes continuent d’élever leurs enfants et de faire tourner la machine économique quand les hommes se battent, comme en 1914 en France et, aujourd’hui, en Afrique et ailleurs dans le monde.

En 1995, au Québec, une Marche des femmes contre la pauvreté, organisée par la Fédération des femmes du Québec, avait connu un énorme succès. Huit cent cinquante femmes avaient marché pendant dix jours pour des revendications essentiellement économiques. L’idée, qui germait depuis longtemps, a alors fleuri de mondialiser les luttes des femmes et leurs solidarités. Le Forum mondial de Pékin, à l’occasion de la Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes, a confirmé que la volonté des femmes de gagner l’égalité, le développement et la paix. En 2000, ce sera la Marche mondiale des femmes, un rendez-vous qui va leur permettre de dépasser les simples constats et de devenir actrices de leur avenir. Refusant la peur de la différence qui engendre et justifie la violence, elles dénoncent aussi l’exclusion qui accroît la domination. Revendications et propositions alternatives communes aux mouvements des femmes du monde autour des thèmes de la pauvreté et de la violence envers les femmes. Mise en cause des institutions internationales financières, économiques et militaires qui les marginalisent. Pressions politiques sur les gouvernements et les institutions politiques multilatérales pour que soit améliorée la qualité de vie des femmes du monde.

Les avancées du combat féministe du XXIe siècle sont irréversibles, même si le chemin de l’égalité est encore long. Et ce sera seulement avec les femmes que pourra se construire une autre Europe dans un autre monde.

* Titre d’un tableau de Gustave Courbet (1866).

Article paru dans l’édition du 13 novembre 2003 du journal L’Humanité

 Merci à L’Humanité pour l’autorisation de reproduire ce texte sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 21 novembre 2003



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Françoise Escarpit, journaliste



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