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mardi 3 juin 2003 Le féminisme québécois est bien vivant Les 30 ans du CSF
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Plus de 300 personnes ont participé, la fin de semaine du 23 mai, au colloque organisé par le Conseil du statut de la femme (CSF) pour marquer son 30e anniversaire. " Trente ans à soulever des débats sur des enjeux cruciaux pour nous toutes. Trente ans à accompagner les femmes dans leur longue marche vers l’égalité ", s’est exclamée Diane Lavallée, présidente du CSF en ouvrant ce colloque intitulé Réfléchir sur 30 ans.
Après le dévoilement des résultats d’un sondage mené par SOM auprès de 1000 personnes, partout au Québec, sur leur perception à l’égard du mouvement féministe, les participantes ont assisté aux conférences de l’historien André Champagne, de la journaliste Pascale Navarro et de la sociologue, chercheure et professeure Francine Descarries. L’Église est l’ennemie principale des femmes Après s’être excusé de venir parler de l’histoire des femmes alors qu’il existe des spécialistes telles que les historiennes Micheline Dumont et Andrée Lévesque, André Champagne a retracé les principaux événements qui ont marqué le XXe siècle qu’il considère " le grand siècle des femmes ". L’historien rappelle les principales étapes de leurs luttes, du remplacement des hommes sur le marché du travail durant les deux guerres mondiales à leur longue lutte pour le droit de vote qu’elles obtiendront en 1940, en passant par leur accès à l’enseignement supérieur en 1911 et l’accès à la pilule contraceptive en 1922 qui leur permettra de vivre leur sexualité plus librement. Pour l’historien, l’Église, autant chrétienne que musulmane et juive, est l’ennemie principale des femmes. Alors que les femmes sont majoritaires dans les universités, un courant antiféministe monte aux États-Unis qui réclame l’interdiction de l’avortement et lutte en faveur du retour des femmes à la maison. Au Québec, l’ADQ cristallise ce courant de droite. Pour Champagne, il y a toujours une absolue nécessité de rester vigilantes, tout avancement dans la société étant suivi de la volonté de recul. Les groupes masculinistes, qualifiés de " crétins " par l’historien, qui prétendent que les garçons échouent à l’école à cause des femmes, représentent pour lui ce courant réactionnaire. Champagne a conclu en constatant qu’à partir du moment où les femmes étudient et entrent sur le marché du travail, tous les rapports à l’intérieur du couple et de la famille doivent être repensés. Dans les années qui viennent, il faudra voir l’impact de l’arrivée des femmes en politique. En Scandinavie, tous les rapports dans la société et entre les États en ont été transformés. Plus d’audace et de contestation Pour Pascale Navarro, le discours masculin sur le féminisme est un très bon signe. Les hommes se remettent en question. L’important est de sortir de la logique de guerre. La guerre des sexes est une façon très réductrice de concevoir les liens, il faut en finir avec les épanchements de testostérone et les dérives du féminisme radical. Aux masculinistes qui se plaignent que les écoles sont trop féminisées, elle suggère que davantage d’hommes s’engagent comme instituteurs à l’école primaire. L’absence de valorisation de l’éducation et du savoir par notre société québécoise et nord-américaine lui semble la principale cause du désintérêt des garçons pour l’école. Pour redonner goût à l’éducation, il faudrait, selon elle, favoriser un type de relations entre adultes et enfants, puis entre hommes et femmes, qui donne aux femmes le droit de représenter un terrain inspirant pour les garçons. Peu d’idées et de valeurs sont venues ces dernières années contrebalancer le pouvoir de l’argent. La condition masculine se porte mal parce que la société se porte mal. Les valeurs de consommation et d’hédonisme béat ne mènent pas loin. Le monde du travail est fragilisé et dans cette arène les hommes et les femmes se livrent bataille. C’est se tromper de cible. Pendant ce temps-là, les entreprises, qui n’entreprennent plus rien mais détruisent pour augmenter leurs profits, se réjouissent de notre Québec consensuel où on est rarement capable d’indignation et de révolte. Pour Pascale Navarro, les hommes doivent se poser comme les femmes des questions cruciales parce que ce sont eux qui, dans le passé, ont défendu les valeurs humanistes et édifié la démocratie. Ce sont ces valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui ont fait le lit du féminisme et qui sont communes aux deux sexes. Quant au féminisme, la conférencière remarque qu’il a un problème de définition de tâches et qu’il est difficile de discerner ses priorités. La priorité reste toujours, selon elle, de s’intégrer dans le domaine public. Le féminisme doit renouveler son image dans ses publications et permettre à d’autres voix de femmes de se faire entendre. Pour elle, il ne doit pas être consensuel et politiquement correct, il lui faut parler fort, sortir du rang, faire des vagues, provoquer. Comme André Champagne, elle considère que le mélange de l’individualisme et des religions représente un danger dans le monde et pour les femmes en particulier. Même si la laïcité a fait des progrès au Québec, la montée de l’Islam est inquiétante. Dans ce contexte, elle craint qu’on ne remette à l’ordre du jour une nouvelle mystique de la mère au foyer, pour que les enfants aillent bien. Il reste bien du travail pour faire comprendre que le soin des enfants revient à toute la société. De plus en plus de femmes travaillent à temps partiel et sont pigistes. S’occuper d’un enfant prend une quinzaine d’années et on peut se demander, dans un tel contexte, ce que deviennent les ambitions des femmes et leur autonomie financière ? Une autre façon de penser et d’agir l’identité citoyenne des femmes Francine Descarries rappelle d’entrée de jeu que 95% des répondant-es à un récent sondage de La Presse} considéraient qu’une femme ferait une première ministre égale ou de valeur supérieure à un homme. Après avoir cité les déclarations sexistes de Henri Bourassa et d’Olivar Asselin sur l’infériorité congénitale des femmes, la conférencière insiste sur le fait que l’antiféminisme, hier comme aujourd’hui, accompagne la lutte des femmes qu’il dénature en guerre des sexes. L’antiféminisme réussit à rallier aujourd’hui hommes et femmes pour dénigrer et dénoncer un mouvement social dont les valeurs sont celles d’égalité, de justice sociale et de démocratie. Il s’agit d’une nostalgie passéiste reposant sur l’idée que le monde se porterait peut-être mieux si les femmes acceptaient de reprendre leur "vraie" place et de se comporter comme de "vraies" femmes. Depuis 40 ans maintenant, le mouvement des femmes est un lieu de mobilisation et un acteur actif de la vie politique. Il a permis notamment de remettre en question le naturalisme du destin des femmes et le prétendu caractère universel des notions de citoyenneté et de droit mettant ainsi un terme au monopole du sens et du pouvoir dont disposaient les hommes. Mouvement social multiforme, qui se déploie sous l’aspect d’une vaste courtepointe de discours, de pratiques et d’actions politiques, le mouvement féministe est porteur d’un projet alternatif de société qui propose une autre façon de penser et d’agir l’identité citoyenne des femmes. L’enjeu est non seulement d’insérer les femmes dans la société, mais également de transformer les structures sociales et plus particulièrement le couple patriarcat/néolibéralisme pour rendre possible une telle insertion. Pour mieux comprendre les différentes facettes dans lesquelles s’actualise le mouvement féministe québécois, la conférencière retrace les différentes phases qui ont marqué son évolution contemporaine de la fin des années 60 à aujourd’hui, des grandes actions collectives au féminisme d’intervention lié à l’implantation de services, de Femmes en marche en 1990 à la Marche mondiale des femmes de l’an 2000. Mais en dépit des immenses progrès accomplis et devant tout le travail qu’il reste à faire pour que les femmes québécoises accèdent à une véritable égalité de fait, le mouvement féministe rencontre l’opposition de secteurs non négligeables de la population, qui vont même jusqu’à le rendre responsable des problèmes qu’il dénonce et tente de combattre. Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour expliquer cette opposition, comme la subsistance des valeurs et des pratiques patriarcales qui reconduisent et légitiment une division et une hiérarchie dans les rapports entre les hommes et les femmes, l’économisation des rapports sociaux, le renforcement de la division sexuelle du travail, la libéralisation débridée de la circulation des biens et des services, le désengagement actuel de l’État, le discours masculiniste ainsi que la difficulté sinon le refus de plusieurs femmes, surtout parmi les plus jeunes, à s’identifier à un féminisme qu’elles perçoivent comme une " guerre des sexes ". Ce discours peut être résumé par la question suivante : les féministes ne seraient-elles pas allées trop loin ? Trop loin par rapport à quoi, se demande Francine Descarries. Par rapport à l’égalité, à la justice sociale, à la démocratie, est-ce possible ? Pour conserver sa pertinence sociale, il ne fait aucun doute, selon elle, que le mouvement féministe devra approfondir sa compréhension de ce qui rassemble les femmes sans méconnaître ce qui les sépare, les rapproche et les différencie. Il devra éviter de succomber aux leurres d’un consensus factice ou de céder aux pressions d’un relativisme culturel abusif. En conclusion, la conférencière estime fondamental que le mouvement des femmes conserve le caractère subversif qui est à l’origine de son émergence et de sa résilience. Tant et aussi longtemps que ne seront pas disparus totalement les mécanismes d’exclusion et de marginalisation qui ont constitué son premier objet de revendication, il semble logique d’affirmer que l’enjeu fondamental du féminisme demeure de maintenir son adhésion militante aux objectifs de transformation des conditions qui légitiment toujours ce que la conférencière appelle, même si le terme fait peur à certaines ou est jugé ringard par d’autres, un rapport de pouvoir entre les hommes et les femmes. Chercher la racine des inégalités, de l’oppression, de l’exploitation Dans les échanges qui ont suivi, des participantes soulignent que, contrairement à ce que croit P. Navarro, les hommes n’ont rien donné aux femmes, ils ont créé ce dont ils avaient besoin pour se tirer d’affaire. On rappelle que c’est d’ailleurs pour dénoncer l’exclusion des femmes des droits reconnus par la Révolution française qu’Olympe de Gouges est morte. On fait remarquer aussi que les médias censurent la parole féministe et font une large place aux discours masculinistes qui accusent injustement les féministes d’être responsables de l’échec des garçons. Pour une autre participante, il faut donner l’image de féministes qui ont des alternatives face à la détérioration des conditions de vie des femmes liées à la mondialisation néolibérale et patriarcale, l’image d’un féminisme qui pense et qui agit. On doit documenter davantage les impacts de la mondialisation sur les femmes au Québec afin d’aller plus loin et de proposer des alternatives. C’est la stratégie qu’on devrait prioriser. La présidente de l’Association des femmes autochtones, Michèle Audet, a affirmé la solidarité de son groupe avec les féministes québécoises dont elle requiert l’appui, en particulier contre la violence conjugale subie par plus de 80% de ses sœurs. André Champagne a réitéré que les églises étaient les ennemies principales des femmes. Francine Descarries a déclaré haut et fort l’honneur et le privilège d’être encore à 50 ans une féministe radicale, selon la définition de Kate Millett : chercher la racine des inégalités, de l’oppression, de l’exploitation. Elle rappelle que le féminisme est un mouvement social multiforme et qu’on doit se battre dans une logique de coalition. Quant à Pascale Navarro, elle enjoint le mouvement féministe d’être plus audacieux et contestataire. Intégrer la parité des femmes dans tous les domaines En après-midi, Alison E. Woodward, professeure à l’université libre de Bruxelles et Amy G. Mazur de l’Université de l’État de Washington ont parlé de l’approche intégrée (ou différenciée) de l’égalité entre les hommes et les femmes, appelée aussi " analyse des genres " et " gender mainstreaming ". Cette stratégie originaire d’Europe a été mise à l’ordre du jour de la plupart des pays lors de la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes tenue à Beijing en 1995. Une telle approche vise à s’assurer que toutes les politiques et tous les programmes gouvernementaux sont vraiment adaptés à la réalité et aux besoins, souvent différents, des femmes et des hommes. Pour A.E. Woodward, l’approche intégrée de l’égalité a du mal à s’implanter en Europe parce qu’elle peut sembler menaçante pour les pouvoirs en place. Elle constate qu’il faudrait pour réussir prévoir des sanctions contre les pays qui ne respectent pas la parité dans leurs politiques. Aux États-Unis, dit A.G. Mazur, cette approche n’a réussi à s’implanter nulle part. Deux facteurs pourraient en être la raison : le rejet de l’État comme interlocuteur privilégié du changement social en général et de l’égalité entre hommes et femmes, de même que la distance que les divers gouvernements américains ont tendance à prendre par rapport aux engagements internationaux pris par l’ONU, comme celui concernant l’approche intégrée de l’égalité. Avec une rafraîchissante vivacité, la chercheuse a exposé les diverses tentatives, plutôt infructueuses, pour mettre à l’agenda des partis les enjeux féminins sinon féministes des programmes et projets de lois gouvernementaux. Il existe aux États-Unis une multitude de groupes de pression dont la National Organization of Women (NOW) et le caucus des femmes au Congrès, mais une stratégie concertée fait défaut. Avec l’arrivée au pouvoir de G.W. Bush et des républicains, les groupes de femmes se cantonnent plus ou moins dans la protection des droits acquis. Aux États-Unis, les agences gouvernementales féministes ont peu de pouvoir et de permanence. L’administration Clinton avait fait une tentative pour créer une agence gouvernementale pour les femmes, sous la direction de Madeleine Albright, mais il n’y a pas eu de suites. Il n’y a toujours pas de lois sur l’avortement (IVG) ni sur les congés parentaux. La chercheuse dit envier l’existence du Secrétariat à la condition féminine et du Conseil du statut de la femme au Québec qui sont en mesure de porter à l’attention du gouvernement une perspective féministe sur les différentes questions. Elle espère que des ressources transnationales pourront être mises sur pied pour faire connaître le point de vue des femmes sur la mondialisation et les divers problèmes auxquels l’humanité est confrontée Mis en ligne sur Sisyphe, juin 2003 Les textes de ces conférences seront disponibles à l’automne sur le site du Conseil du statut de la femme. |