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Après des décennies, les secrets des bordels des camps nazis émergent

10 septembre 2007

par Alexandra Hudson

Pendant des décennies, personne ne voulait se souvenir du camp de concentration appelé « blocs spéciaux » où les Nazis contraignaient des détenues à accueillir leurs pairs masculins.

Le commandant nazi, Heinrich Himmler, avait ordonné la création de bordels de camp en 1941. Sa logique donne froid dans le dos : les prisonniers masculins travailleraient plus dur si on leur offrait l’incitation du sexe, et si on n’accordait ce privilège qu’à quelques-uns, cela briserait la solidarité.

Quand les horreurs des camps de la mort furent connues, le bordel est rapidement devenu tabou. Les femmes, principalement allemandes, qui les avaient remplis étaient trop marquées par l’expérience pour en parler, tandis que les détenus mâles qui les avaient utilisés sont restés silencieux parce que honteux.

En juillet se tenait une exposition au camp de concentration pour femmes à Ravensbrueck, au nord de Berlin, et elle a pour but de jeter la lumière sur ces bordels et de mettre à nu la sinistre tentative des Nazis de manipuler la sexualité des prisonniers.

Un homme a essayé de briser ce silence persistant : Albert van Dijk, un ancien prisonnier de Buchenwald, Hollandais de la ville de Kampen, proche de la frontière allemande. « Souvent, j’ai soulevé le sujet des "blocs spéciaux" à des réunions d’anciens détenus de Buchenwald, mais personne ne voulait même en discuter ou ils disaient que je me trompais », a déclaré Van Dijk.

Le vieillard de 83 ans se souvient encore très nettement, comment, à 18 ans, dans le désespoir et la dégradation du camp, il était tombé amoureux d’une prostituée blonde du nom de Frieda et comment, avec elle, il a perdu sa virginité dans les "blocs spéciaux".

Bien que la prostitution ait été officiellement interdite par les nazis, les gardes d’élite SS ont mis sur pied un réseau de bordels à l’intention de soldats allemands, de travailleurs forcés et de prisonniers, qu’ils voulaient notamment détourner de l’homosexualité.

À partir de 1942, 200 à 300 prisonnières non juives des camps deconcentration ont été forcées de travailler dans dix bordels de camp en Allemagne, en Autriche et en Pologne. Presque toutes avaient été emprisonnées comme "anti-sociales".

Au départ, certaines femmes se portèrent volontaires pour la prostitution, à la suite de fausses informations selon lesquelles elles seraient libérées après six mois. Plus tard, elles ont été forcées pendant l’appel ou même dans l’infirmerie du camp.

Bien que les femmes aient reçu des rations un peu meilleures et pouvaient porter des vêtements civils, la prostitution a réduit physiquement la plupart d’entre elles à des épaves.

Beaucoup ont contracté des maladies sexuellement transmissibles, ont été soumises à des expériences médicales ou forcées à avorter. Chaque femme avait l’usage d’une petite chambre où, après un bref examen, le prisonnier masculin pouvait rester un quart d’heure. Les gardes vérifiaient par un trou si l’acte sexuel se déroulait uniquement en position couchée, comme cela était stipulé dans le règlement.

Après une journée entière de travail dans le camp, les femmes passaient deux heures chaque nuit à distraire des prisonniers masculins qui payaient deux reichsmarks. Ceux qui les fréquentaient occupaient les plus hautes positions dans la hiérarchie des prisonniers et recevaient les meilleures rations. La grande majorité des prisonniers masculins étaient trop faibles pour avoir des rapports sexuels.

Frieda

Frieda fut la première femme que Van Dijk ait vu en six mois. C’était un
adolescent envoyé à Buchenwald parce qu’il avait fui le travail forcé et passé en fraude des rations aux Juifs de Kampen, et Frieda l’intimidait. Elle
avait apprécié sa réserve juvénile.

« Un jour, on m’a envoyé nettoyer dans "le bloc" et je me suis trouvé seul
avec elle. Elle m’a donné un peu de schnaps, m’a soufflé de la fumée de
cigarette dans la bouche et nous avons atterri sur le lit. Pour moi, c’était
la première fois, et on n’oublie jamais. »

Plus tard, il a dû payer comme les autres pour voir Frieda, un privilège
dont il bénéficiait parce qu’il n’était emprisonné sur une base ni raciale,
ni politique.

« Il y avait moyen que votre famille vous envoie de l’argent qui était
inscrit sur un compte à dépenser dans le camp, rappelle Van Dijk. Avec une
efficacité grotesque, les administrateurs SS du camp facturaient parfois à
la famille des prisonniers les services rendus au bordel. »

D’autres prisonniers lui disaient qu’il devrait être honteux de dépenser
l’argent de sa mère au bordel, mais dans un environnement où l’exploitation
sexuelle sévissait et où des jeunes gens faisaient parfois du troc pour des
faveurs sexuelles, Van Dijk n’y voyait rien de mal.

« Certains jeunes dormaient avec des prisonniers plus âgés pour un petit bout de pain supplémentaire. J’étais jeune et naïf et je croyais que j’intéressais Frieda », se rappelle-t-il.

Après la libération, les travailleurs forcés ont entrepris leur lutte pour
des compensations. Mais les femmes qui avaient travaillé dans les bordels
ont découvert qu’elles ne pouvaient revendiquer des dommages à cause de
la nature supposée « volontaire » de leur travail.

D’autres, craignant la stigmatisation et le mépris, qu’elles s’étaient déjà
attirés de la part des autres prisonniers, se sont tues tout simplement.

L’exposition de Ravensbrueck, où des dizaines de milliers de femmes ont été
tuées ou sont mortes de faim ou de maladie, montre des extraits de vidéo
d’anciens prisonniers rappelant les bordels et leurs victimes, ainsi que des
bons donnés pour le sexe.

« Le thème invite au voyeurisme », a dit Insa Eschebach, qui dirige le site du Mémorial de Ravensbrueck, et c’est pourquoi l’exposition s’appuie principalement sur la parole écrite.

On a présenté des camps de concentration comme toile de fond dans certains
films érotiques et comme source de fantasme sexuel, exploitant le gouffre
extrême de pouvoir entre les gardiens SS et les prisonniers, a-t-elle dit.

Exposées également les quelques photos qui restent des "blocs spéciaux", où
l’ameublement rustique allemand, les vases de fleurs et les nappes donnent
une fausse idée de l’horreur dont ces camps furent le théâtre.

Source : Yahoo News, « Secrets of Nazi camp brothels emerge decades on », le 11 juillet 2007. Traduction d’Édith Rubinstein, Liste Femmes en noir, Vol 35, Issue 59, le 27 juillet 2007.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 juillet 2007

Alexandra Hudson


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