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Clients de la prostitution : un "droit de l’homme" heureusement en péril

5 mai 2011

par Claudine Legardinier, journaliste et chercheuse

Quatre cents pages détaillées, un projet politique cohérent, un courage certain. Le rapport (1) « L’exigence de responsabilité, en finir avec le mythe du plus vieux métier du monde » constitue une avancée que nous saluons.

Malheureusement, qu’en retiennent les médias et la rive gauche ? La pénalisation des « clients », ceux qu’il serait plus juste d’appeler les « prostitueurs » pour leur rendre une visibilité qu’ils ont pris soin de fuir pendant des siècles, jugeant plus commode de voir reporter la « faute » sur celles qu’ils exploitent. Un comédien célèbre (2) – certes peu représentatif des jeunes générations - profite de sa notoriété pour défendre ce qu’il considère apparemment comme un droit de l’homme fondamental : le droit d’aller « aux putes ». On a les combats que l’on peut.

Les violences subies par les prostituées, la peur au ventre, le valium pour y aller, la traite des femmes et des gamines sur qui pèse la survie des familles, qu’importe. On brandit ces étendards que sont « la liberté individuelle » (la liberté de qui ?), on passe un peu de cirage aux « femmes remarquables » que sont les prostituées. Sur ce point, nous sommes d’accord, étant donné ce que proxos et « clients » leur font subir. Car les prostitueurs sont les premiers agresseurs des personnes prostituées qui vivent dans la crainte permanente de « tomber sur un cinglé ». Violences, menaces de violences, mépris, humiliations, arnaques… C’est donc ce droit là qu’il faudrait défendre ?

Ce que ces messieurs (3) exigent - quitte à le faire, sans rire, au nom du féminisme !! -, c’est le droit de se défouler sur le corps d’une femme de préférence, éventuellement d’un garçon, de lui imposer tous leurs caprices en se dédouanant d’un billet. Ce qu’ils revendiquent, c’est une institution qui remet les femmes à leur place : au lit, pour leur bon plaisir. Et sans compte à rendre, eux qui ont tant de goût pour la dissimulation et la tromperie.

Tous les arguments sont bons : misère sexuelle, solitude (ce que réfutent les enquêtes qui montrent que le client est majoritairement un homme lambda, marié et père de famille), clandestinité (désormais surtout due au recours à Internet et au téléphone portable), risques sanitaires. A ce propos, les pro prostitution, qui ont appuyé leur lobbying sur la lutte contre le sida, ont surtout contribué à banaliser le concept de « travail du sexe », dont on voit le résultat en Europe : une explosion du proxénétisme à échelle industrielle, de bordels à haut débit dûment légalisés, où des centaines de femmes (de préférence étrangères) sont livrées aux appétits sexuels prétendument incontrôlables des hommes.

Il est temps de sortir de la complaisance ; d’une indulgence qui n’est pas sans rappeler celle qui, il y a peu, protégeait encore les chauffards. Comme les « accidents de la route », tenus jadis pour une fatalité, sont devenus « la violence routière », la « prostitution » est en train de se muer en « violence prostitutionnelle ». Comme le mauvais conducteur a désormais à répondre de son comportement, le client prostitueur, qui nourrit un immense marché aux femmes, ne pourra plus longtemps échapper à ses responsabilités.

Ce pas en avant est décisif pour nous qui travaillons à faire reculer toutes les violences contre les femmes. Violences qui tiennent ensemble : car s’il faut sauver le droit du prostitueur, il convient en toute logique de dépénaliser le violeur, mû lui aussi par des pulsions irrépressibles. Personne ne songerait à le faire, nous l’espérons. En réalité, le séculaire droit sexuel masculin a du plomb dans l’aile. Après la remise en cause du droit de cuissage (droit obtenu par le pouvoir), du viol (droit obtenu par la force), vient en toute logique la prostitution (droit conféré par l’argent).

La pénalisation du prostitueur constitue un élément parmi d’autres d’une politique destinée à faire reculer l’une des plus vieilles exploitations du monde. Vingt neuf autres mesures, dont personne ne dit mot, sont préconisées par ce rapport très riche qui mise sur la tombée en désuétude de la loi LSI sur le racolage : mesures sociales, pédagogiques, respect des droits des personnes prostituées, construction d’alternatives à la prostitution, papiers pour les prostituées étrangères, lutte contre le sexisme, etc.

La pénalisation du prostitueur, qui n’en est qu’un maillon, est inscrite dans une logique progressiste : celle qui exige d’en finir avec les violences et d’avancer vers l’égalité entre les femmes et les hommes. N’en déplaise à tous les nostalgiques d’une France d’un autre âge excitée par le frisson sulfureux des bordels et de la fille au trottoir.

Notes

1. Rapport de la mission d’information parlementaire sur la prostitution en France. Voir Les NouvellesNews pour un dossier sur ce rapport.
2. Moi, Philippe Caubère, acteur, féministe, marié et « client de prostituées », Libération, le 14 avril 2011.
3. Sur les "clients" prostitueurs, lire :
 « Les pratiques des hommes "clients" de la prostitution : influences et orientations pour le travail social », par Sven-Axel Månsson, Université de Göteborg ;
 "Les clients de la prostitution : l’enquête", par Claudine Legardinier et Saïd Bouamama ;
 "Personnes prostituées : ce qu’elles disent des clients", par Claudine Legardinier et Saïd Bouamama

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 avril 2011

Claudine Legardinier, journaliste et chercheuse


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