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L’avenir des femmes afghanes

23 juillet 2002

par Micheline Carrier

Pendant six ans, un groupe de terroristes religieux qui se sont donnés le nom de « talibans » (étudiants en religion) ont opprimé la population de l’Afghanistan au vu et au su de la communauté internationale. Cette dernière s’est émue et indignée plus facilement pour la destruction de statues de bouddhas que pour la destruction systématique de milliers de vies humaines.

La principale cible des talibans a été la population féminine. Il serait plus court d’énumérer ce qui n’était pas interdit aux femmes que ce qui l’était. Presque tout leur était interdit (Voir pour détails le site de l’Association révolutionnaire des femmes afghanes : RAWA). Les talibans auraient voulu exterminer les femmes qu’ils n’auraient pas procédé autrement. Ils ont érigé en système, au nom d’une loi qu’ils se sont inventée, les atteintes répétées à l’intégrité physique, psychique et intellectuelle des femmes.

Les femmes de l’Afghanistan ont été emprisonnées non seulement dans un vêtement qui les couvrait des pieds à la tête, mais aussi dans leur maison (quand elles en avaient une). On a poussé la cruauté jusqu’à les obliger, du moins dans les villes comme Kaboul, à peindre les fenêtres de leur maison afin qu’aucune femme ou fille de plus de dix ans ne soit visible de l’extérieur. Si les femmes afghanes voulaient sortir, elles devaient avoir « une bonne raison » reconnue par les talibans et être accompagnées d’un homme de la famille. Si elles étaient surprises à prendre un peu de liberté avec le burqa, ne serait-ce que pour mieux respirer ou se mouvoir, elles encouraient le risque d’être battues ou lapidées. Aucun autre pays au monde n’a jamais assigné à résidence la moitié de sa population pour cause de féminité, mais tous les pays ont laissé faire les talibans avec une complaisance déconcertante.

Le régime taliban a interdit aux femmes l’accès au travail, à l’éducation, aux soins de santé publics et aux distractions quelle qu’en soit la nature. La situation a été particulièrement dramatique pour les nombreuses veuves de guerre (des dizaines de milliers), souvent en charge de plusieurs enfants, qui n’avaient pas le droit de travailler et, par ailleurs, qui n’avaient pas d’homme parent pour leur fournir une aide financière ni les accompagner dans leurs déplacements. Comment ont-elles pu s’en tirer ? Il y avait jusqu’ici les organismes d’aide humanitaire sur place, quand ces femmes pouvaient s’y rendre. Selon l’Association révolutionnaire des femmes afghanes (RAWA), de nombreuses femmes sont réduites à mendier, voler ou se prostituer, avec toutes les conséquences qu’on imagine : lapidation, torture, mutilation et parfois exécution publique sans autre forme de procès. Les talibans sont capables de tout, y compris de couper les doigts d’une petite fille de 10 ans qui se polit les ongles ou de battre au sang une femme qui porte des bas blancs.

La guerre anglo-américaine en Afghanistan a aggravé la situation des femmes qui représentent, avec les enfants, les 3/4 des réfugiés aux frontières des pays limitrophes. Plusieurs meurent de faim et de soif en cours de route. L’après-guerre est tout aussi inquiétant. Qu’est-ce qui arrivera aux femmes afghanes quand la Grande-Bretagne et les États-Unis quitteront ce pays après avoir achevé de le dévaster ? Quel groupe prendra le pouvoir ? Et quelles seront leurs dispositions vis-à-vis des femmes ? Les représentantes des femmes afghanes ont déjà renvoyé dos à dos le régime avant-taliban et l’actuel régime taliban, précisant que le premier tuait les femmes avec des fusils alors que le second les tue avec du coton (RAWA).

Il faut craindre que le statut des femmes demeure inchangé ou peut-être empire à l’issue de cette guerre. On veut négocier la présence de talibans au sein du futur gouvernement. En outre, les porte-parole des femmes afghanes qui peuvent s’exprimer à l’étranger (Pakistan, France, États-Unis) ne font pas confiance à l’opposition actuelle, l’Alliance du Nord (ou Front uni). Comme plusieurs autres pays occidentaux (France, Grande-Bretagne, Canada peut-être, etc.), les États-Unis ont dans la région des intérêts cruciaux, via leurs multinationales exploitant du pétrole. Depuis des années, ils souhaitent que les oléoducs qui achemineront les hydrocarbures de la mer Caspienne passent sur le territoire afghan, ce qui ferait aussi l’affaire du Pakistan, mais pas celle de l’Iran, de la Chine et de la Russie. Pour atteindre leur objectif, les pays occidentaux braderont-ils les droits de la personne, les droits du peuple afghan et surtout des femmes afghanes, persécutées en tant que femmes ? Quelle importance prendra le statut des femmes au cours des négociations ? Les États-Unis ont négocié jusqu’en août 2001 avec les talibans qui voulaient une reconnaissance internationale, entre autres exigences. Une reconnaissance internationale pour un régime sanguinaire qui n’agit pas mieux qu’un Hitler et un Staline et persécute la moitié de la population.

Agir maintenant

L’opinion publique internationale peut faire la différence si elle réagit en force et tout de suite en faisant pression sur les gouvernements représentés à l’ONU pour qu’ils exigent du futur gouvernement afghan qu’il souscrive aux conventions internationales sur les droits de la personne, et nommément qu’il s’engage à respecter les droits fondamentaux des femmes. L’ONU pourrait associer des porte-parole des femmes afghanes au processus de négociation qui prépare l’après-talibans. Après tout, leurs associations représentent l’ensemble des femmes afghanes (au-delà de toute division ethnique) bien plus et plus légitimement que les talibans et l’opposition aux talibans peuvent représenter l’ensemble de la population. Avant d’être séquestrées chez elles, de nombreuses Afghanes travaillaient et plusieurs exerçaient des professions. Des centaines d’entre elles ont déjà défini une Charte des droits fondamentaux de la femme afghane, dont on pourrait s’inspirer.

En France, il y a un an et demi, des personnalités des milieux artistiques et intellectuels (Catherine Deneuve, Alain Finkielkraut, Élisabeth Badinter, Robert Badinter, Jean-François Kahn, Anne Sinclair, Danièle Mitterrand, Daniel Cohn-Bendit, Benoîte Groult et des dizaines d’autres) ont pris la tête d’un mouvement de pression pour convaincre la classe politique d’agir auprès des pays qui soutenaient le régime taliban. La presse française, Le Monde et Le Nouvel Observateur en tête, a grandement contribué au mouvement en ouvrant leurs pages aux groupes de soutien des femmes afghanes et en offrant une tribune aux personnalités qui se sont engagées. Encore le 23 octobre dernier, Le Monde consacrait un éditorial au sort des femmes afghanes dans le gouvernement d’après-guerre. Des personnalités et les médias d’ici pourraient faire la même chose afin de s’assurer que les droits des hommes et des femmes soient respectés par le futur gouvernement.

À Montréal, il existe un Comité de soutien aux femmes afghanes (télécopieur : 514-932-4544 ou Alternatives à l’adresse alternatives-action.org ; voir aussi le site
Cybersolidaires) qui organise des rencontres et autres activités pour susciter un mouvement de réaction collectif. On pourrait soutenir ce comité, qui recueille également des fonds afin de secourir les femmes et les enfants d’Afghanistan, premières victimes des guerres présentes et passées. Sur le plan individuel, on pourrait écrire au premier ministre du Canada (pm@pm.gc.ca ou Chambre des Communes, Ottawa, sans aucun frais) lui demandant de faire pression sur l’ONU et les pays concernés afin qu’ils exigent du futur gouvernement afghan qu’il s’engage par écrit à respecter les droits de la personne et nommément l’égalité entre hommes et femmes. Si on veut s’adresser directement à l’ONU, on écrit à Mary Robinson, Haut-Commissariat pour les droits de l’homme (Courriel).

Tout le monde peut faire sa part, sans se décourager par l’ampleur de la tâche. Comme l’écrit Élisabeth Badinter, ce sera peut-être un long combat, « Mais si des millions de femmes - et d’hommes - ne s’arrêtent plus de crier à la place des Afghanes étouffées on a une petite chance de contraindre les politiques à faire leur devoir. » (Le Nouvel Observateur, 12 avril 2001).

Micheline Carrier


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