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La Maison-Blanche « découvre » la situation des Afghanes et part en campagne

20 juillet 2002

par Micheline Carrier



À la mi-novembre, la Maison-Blanche a lancé une campagne en faveur des
droits des femmes et des enfants de l’Afghanistan.


C’est l’épouse du président américain, Laura Bush, qui a donné le coup d’envoi de cette campagne en prononçant une allocution à la place de son mari sur les ondes d’une station radio de Washington (1).


Mme Bush a donné des exemples des restrictions imposées par les talibans
aux droits des femmes et des filles, notamment l’interdiction de sortir de chez elles,
de travailler, d’aller à l’école et de recevoir des soins de santé. Elle a rappelé la
pauvreté dans laquelle vit la population afghane et soutenu que les musulmans à
travers le monde condamnent la cruauté des talibans. (Une condamnation qu’on n’a guère entendue, il faut l’avouer, au cours des cinq ans qu’ont régné ces barbares...


L’allocution de Mme Bush coïncide avec la publication d’un rapport du
Département d’État américain qui dénonce lui aussi, après le fait, « la guerre que les talibans font aux femmes » (2). Le vice-président Dick Cheney et d’autres porte-parole de l’administration Bush ont transmis tout au long de la semaine des messages dans le même sens. Le Secrétaire d’État, Colin Powell, est sans doute celui qui est allé le plus loin en déclarant devant des membres d’ONGs afghans et américains, des membres du Congrès, des leaders féministes et des ambassadeurs, que « la reconstruction de l’Afghanistan ne se fera pas sans les femmes. Les droits des femmes afghanes ne sont pas négociables. » (3)


En outre, le Congrès a approuvé un projet de loi qui autorise le président à
puiser dans le fond d’urgence créé après les attentats du 11 septembre, afin de
soutenir l’éducation et les soins de santé destinés aux femmes et aux enfants
afghans. On veut donner à cette campagne une portée internationale : Cherie Blair,
l’épouse du premier ministre britannique, transmet le même message en Angleterre. Cependant, l’administration Bush ne semble pas avoir sollicité la participation d’autres pays alliés, par exemple, la France, le Canada, l’Allemagne et la Suisse, à une telle initiative.


Paula Dobriansky, sous-secrétaire d’État aux Affaires générales, a déclaré lors d’une rencontre avec des représentantes de groupes féministes que l’administration Bush a une position ferme sur la nécessité que des femmes afghanes participent à la reconstruction et au futur gouvernement. Enfin, une conseillère du président, Karen P. Hugues, a précisé que l’administration Bush croit la paix et l’harmonie impossibles à réaliser si la moitié de la population est emprisonnée chez elle. L’éducation, des services de santé et des ressources financières adéquates constituent à ses yeux des facteurs indispensables à la stabilité d’un pays.

Surprise et réserve chez les féministes


Le blitz gouvernemental américain a surpris les milieux féministes qui hésitent à remettre publiquement en question ses motivations. Personne n’est évidemment contre l’amélioration du sort des femmes en Afghanistan et plusieurs groupes font d’ailleurs pression depuis cinq ans en faveur d’une telle intervention. Toutefois, pourquoi dénoncer le régime taliban maintenant, alors qu’il est tombé depuis plus d’une semaine ? La Maison-Blanche cherche-t-elle à atténuer les critiques, qui ont commencé de poindre aux États-Unis après une longue période d’anesthésie à saveur patriotique, en justifiant ses interventions par la nécessité de détruire les talibans, ces « méchants » qui persécutent les femmes ?


Selon les analystes, cette campagne s’adresse avant tout à la population
féminine américaine, d’où la prestation de la première dame du pays. Dès juillet
dernier, le Comité national du parti avait lancé une initiative pour « gagner les
femmes. » (4) Il faut dire que l’administration Bush n’a pas la cote auprès des
femmes et le New York Times rappelle que l’appui des femmes au Parti démocrate, lors de la dernière élection, a dépassé de 11% l’appui qu’elles ont accordé au Parti républicain. Les positions de la Maison-Blanche sur l’environnement et les baisses massives d’impôts n’ont pas amélioré non plus la cote du président Bush. La campagne en faveur des droits des Afghanes s’inscrit donc dans un plan d’ensemble et elle a le mérite de coller à l’actualité.


Karen P. Hugues, conseillère du président, a reconnu que cette campagne veut également donner de George W. Bush l’image d’un homme de compassion sensible aux droits de la personne (5). Le moment est bien choisi. L’administration Bush vient de faire adopter un décret, qualifié d’« infâme » par le New York Times (6). Ce décret donne au président le pouvoir de créer des tribunaux militaires afin de juger, à huis clos et sans appel, les étrangers soupçonnés de terrorisme. Le président Bush a reconnu son intention de passer outre les « principes de la loi et de la notion de preuve », fondements mêmes du système judiciaire des pays démocratiques. La critique commence à s’exprimer, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, au sein des organisations de défense des droits.

Une réalité qui n’a jamais dérangé les États-Unis


La Maison-Blanche vient-elle de prendre conscience de la situation des
femmes afghanes sous le régime taliban ? Il est dommage que cette offensive tout
azimut survienne après l’écrasement d’un régime qui s’est illustré par ses crimes
contre l’humanité à grande échelle, allant jusqu’à la séquestration de la population
féminine. Il faut croire que le monde occidental est moins sensible à de tels crimes
qu’à des actes terroristes commis chez lui.


Les États-Unis ont soutenu les talibans jusqu’à ce que l’incident de la
destruction des bouddhas, le printemps dernier, rende cet appui plutôt gênant. On
sait également que l’administration américaine a négocié avec les talibans jusqu’en août dernier, sans que le sort des femmes afghanes n’ait semblé lui poser de problème de conscience.


Quelles que soient ses motivations, la campagne de la Maison-Blanche ne
peut toutefois nuire aux Afghanes qui ont pris d’ailleurs elles-mêmes la parole pour
revendiquer leur place dans toutes les sphères de la société.


Mais un sain scepticisme est de rigueur devant ces soudaines manifestations de compassion et de sensibilité à la dignité humaine. N’est-ce pas le même George W. Bush qui, aussitôt assermenté, a aboli purement et simplement un programme d’aide de 400 millions $ destiné aux femmes des pays en développement, sous le prétexte que de l’information sur l’avortement comme moyen de contraception faisait partie de ce programme ? (7)


Les bons sentiments exprimés par la Maison-Blanche se traduiront-ils en
gestes concrets ? On pourra juger de leur sincérité si les États-Unis pose comme
condition d’une aide économique et technique à la reconstruction en Afghanistan
l’engagement formel de respecter les droits fondamentaux de toute la population et
de partager le pouvoir avec des femmes.



(1) Washington Post, 17 novembre 2001. Texte intégral lu par Mme Bush.

(2) New York Times,18 novembre 2001. Pour lire le rapport : www.state.gov

(3) Feminist Daily News Wire, 20 novembre 2001

(4) Elisabeth Rumiller, New York Times, 19 novembre 2001

(5) Ibid.

(6) New York Times, 20 novembre 2001 et Courrier International, 22 novembre 2001

(7) Elisabeth Rumiller, New York Times, 19 novembre 2001

<BR
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