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dimanche 10 mars 2013 Créatrices et pionnières en Nouvelle-France
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En cette période de célébration annuelle du 8 mars, il est sans doute opportun de nous souvenir de quelques pionnières. Femmes d’action et de réflexion, elles ont participé de façon marquante à la naissance du Québec. Je me suis arrêtée, ci-dessous, sur trois d’entre elles. Trois religieuses. Dans mon livre, Une histoire des créatrices, l’Antiquité, le Moyen Âge, La Renaissance (Éditions Sisyphe, 2008), j’ai réservé plusieurs pages aux religieuses créatrices. Dès l’Église primitive du Moyen-Orient, puis le haut Moyen Âge en Europe, les femmes participèrent activement à la mise en place des structures du catholicisme et à la diffusion de la foi. Elles n’hésitèrent pas à s’exprimer et à dénoncer (déjà !) les déviances des règles des membres du clergé. Et à les sermonner. Femmes cultivées, conseillères de princes et de prélats, les grandes abbesses médiévales firent souvent de leurs couvents des hauts lieux de spiritualité, mais aussi d’éducation et de diffusion des arts. Il était donc normal qu’au Québec, jadis la Nouvelle-France, les religieuses aient participé pleinement à la construction de leur nouveau pays. Les premières créatrices en Nouvelle-France* Au XVIIe siècle, l’Église catholique joua un rôle de premier plan dans la mise en place des structures sociales en Nouvelle-France. Le rôle de plusieurs femmes y fut essentiel. La plupart avaient répondu à l’appel du clergé et des autorités qui, selon les Relations des Jésuites, tentaient de susciter en France des vocations de missionnaires pour cette jeune colonie où tout était à bâtir. Après une traversée souvent houleuse et des débuts d’installation précaires, elles y devinrent des éducatrices et des fondatrices de couvents et d’hôpitaux. En plus de leur vocation spirituelle, elles firent preuve d’un grand sens de l’organisation et de connaissances économiques particulièrement remarquables. Le couvent des Ursulines de Québec et la Congrégation de Notre-Dame, tous deux voués à l’éducation des filles, l’Hôtel-Dieu de Québec et celui de Montréal, tenus par les Hospitalières, furent mis en fonction entre 1639 et 1669 par des femmes d’une trempe peu commune : Marie Guyart (Marie de l’Incarnation), Marguerite Bourgeoys, Marie Morin, Marie Forestier, Marie Guenet, Jeanne Mance. Plusieurs d’entre elles avaient également un talent pour l’écriture : elles ont laissé des méditations et des poèmes spirituels, et des Mémoires ou Annales, témoignages de leur rude quotidien de pionnières. Marie Guyart (Marie de l’Incarnation) (1599-1672) Devenue Marie Martin par son mariage, Marie Guyart était originaire de Tours. Veuve à 19 ans, en charge d’un fils, durant quelques années elle gagna sa vie en dirigeant l’entreprise de voitures de son beau-frère. Une fois son enfant élevé, elle se tourna vers la religion et entra chez les Ursulines de Tours. En 1639, âgée de 40 ans, répondant à l’appel des Jésuites, elle partit pour Québec, où elle fonda le couvent des Ursulines. Elle eut fort à faire : elle dut trouver le financement pour ériger un bâtiment. Elle en surveilla la construction, puis organisa les activités domestiques de la petite communauté. En 1650, un incendie anéantit tous ses efforts, mais loin de se décourager, son talent d’entrepreneure lui permit de réussir à tout rebâtir. Aujourd’hui, le couvent des Ursulines existe toujours, au cœur du Vieux-Québec. On peut y admirer, dans son musée, des pièces de broderies exceptionnelles réalisées, durant quatre siècles, par les religieuses et leurs élèves. Durant ses rares loisirs, Marie de l’Incarnation aurait écrit près de 13 000 lettres, dont il ne reste malheureusement que 278 exemplaires. Un corpus inestimable pour les historiens soucieux de reconstituer la vie des premiers bâtisseurs de cette nouvelle société d’Amérique du Nord. Elle s’appliqua aussi à apprendre différentes langues autochtones afin de rédiger des dictionnaires et un catéchisme. Dans ses Écrits spirituels et historiques (1677), on peut lire un de ses poèmes, Exclamations dans lequel elle transmute avec passion l’amour terrestre en amour spirituel. C’est sa voix vibrante qui ouvre les pages de l’Anthologie de la poésie des femmes au Québec de Nicole Brossard et Lisette Girouard :
et ne veux plus que l’amour. Ah ! C’est vous que je veux, mon doux, et mon cher Amour, dans la très douce mort de l’Amour, et pour être toute consommée des flammes de l’Amour ! Marguerite Bourgeoys (1620-1700) En 1653, Paul Chomedey de Maisonneuve, fondateur de Ville-Marie, la future Montréal, rencontra, à Troyes en Champagne, Marguerite Bourgeoys, une jeune femme de 33 ans. Elle était proche de la directrice de la Congrégation de Notre-Dame, Mère Louise de Chomedey de Sainte-Marie, la sœur de Maisonneuve. Marguerite ne voulut pas prononcer de vœux qui l’auraient cloîtrée et empêchée d’exercer son apostolat à l’extérieur du couvent. Elle choisit plutôt de se lier à l’annexe de la Congrégation. Mère Louise la présenta à son frère, revenu en France afin de recruter des gens pour peupler la nouvelle colonie. Mais comme Maisonneuve ne voulut pas répondre au souhait de sa sœur d’emmener avec lui toute une communauté religieuse, Marguerite s’offrit alors comme enseignante. Après un voyage pénible de 7 mois, dès son arrivée à Ville-Marie elle constata qu’une forte mortalité infantile ne lui permettait pas de rassembler suffisamment d’élèves pour ouvrir une école. Il lui fallut attendre 5 ans, en 1658, avant de pouvoir en établir une dans une ancienne étable proche de l’hôpital. Elle retourna à Troyes cette même année et en ramena trois anciennes collègues, qui se vouèrent à l’enseignement avec elles, et aux soins des malades. Marguerite Bourgeoys ne voulait pas de la clôture imposée aux nonnes. Elle désirait que son ordre soit séculier, et que les religieuses, un peu à la façon des béguines flamandes, portent un uniforme laïque afin d’assumer leur vocation - et leur moyen de subsistance - parmi la population. Femme énergique, elle tint tête, avec respect mais fermeté, aux autorités ecclésiastiques. Par sa forte personnalité, et la démonstration de son engagement profond, elle obtint gain de cause en 1669. Ainsi naquit la Congrégation de Notre-Dame à Montréal, qui joua un rôle si actif dans l’évangélisation et le système éducatif québécois. Elle entretint, elle aussi, une correspondance substantielle et rédigea ses Mémoires vers la fin de sa vie. Elle consigna également de nombreuses réflexions spirituelles. Malheureusement, deux incendies, en 1768 et 1893, ont détruit plusieurs de ses manuscrits. Il n’en reste que des copies, précieusement conservées à l’Archevêché de Montréal. Marguerite Bourgeoys est la première sainte canadienne. Marie Morin (1649-1730) Née à Québec, Marie Morin est considérée comme le premier écrivain né en Nouvelle-France. Hospitalière de Saint-Joseph, puis supérieure de l’Hôtel-Dieu de Ville-Marie, elle rédigea l’histoire de sa communauté. Tout comme le fit Marie Forestier (1615-1698), une sœur hospitalière venue de Dieppe, chargée des Relations concernant l’Hôtel-Dieu de Québec. Elles poursuivaient ainsi la tradition des religieuses européennes, mémorialistes de leurs livres de nonnes. On doit à Marie Morin la réalisation de l’hôpital Hôtel-Dieu de Montréal, où ses talents d’organisatrice et de gestionnaire furent lourdement mis à l’épreuve, notamment lorsqu’il fallut, trois mois après son inauguration en 1695, reconstruire l’édifice complètement ravagé par un incendie. Il le sera à nouveau en 1721, pour renaîtra une fois de plus en 1724. Cette personnalité volontaire, aidée de ses religieuses tout aussi déterminées et courageuses, surmonta ces mauvais coups du sort. En plus de sa lourde charge, elle persévéra, durant plus de trente ans, dans l’écriture des Annales de l’Hôtel-Dieu. Ces Annales, à l’origine, étaient modestement destinées aux Hospitalières de Saint-Joseph de France, soucieuses de connaître le quotidien de leurs consœurs exilées. Ce document, miraculeusement épargné par le feu, de par la vivacité d’esprit de son auteure, de par les scènes détaillées qu’elle y relate, demeure un autre témoignage incontournable des débuts de notre histoire. * Ces portraits de femmes créatrices feront partie de la suite de l’oeuvre de l’auteure, don’t le premier tome a été publié aux éditions Sisyphe, en 2008, sous le titre Une histoire des créatrices, l’Antiquité, le Moyen Âge, La Renaissance. Pour plus d’information sur ce livre, voir le site des éditions. Références : . CLIO, collectif, l’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles, Montréal, Quinze, 1982. – Pour en savoir plus sur Marie Morin, Marie Forestier, Marie Guenet et Jeanne Mance. Marie Guyart (Marie de l’Incarnation) Marguerite Bourgeoys À signaler : Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 mars 2013 |