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Le refus de réglementer les jeux vidéos et ses conséquences

13 septembre 2007

par Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence

Cet article fait suite à Jeux vidéo - Qui va faire feu le premier ?



Lorsque des législateurs parlent d’interdire la vente des jeux ultraviolents aux moins de 18 ans, les lobbyistes et avocats de l’industrie montent aux barricades en présentant leur entreprise comme une victime de censure, menacée par des méchants bureaucrates ennemis de l’entrepreneurship ou des protecteurs d’enfants trop sensibles. La logique de l’industrie est simple : le gouvernement ne doit pas faire obstacle au commerce. C’est aux parents de protéger l’enfant chez lui, pas à l’État de protéger l’intérêt public. Imaginons un pédophile qui s’adresserait au tribunal en arguant qu’il a utilisé des bonbons pour attirer sa proie et que la responsabilité du crime devrait revenir aux parents pour n’avoir pas protégé leur enfant.

Le recours à la violence dans des jeux vidéo FPS (First Person Shooter), dont on sait qu’ils seront utilisés par des enfants, n’a rien à voir avec la liberté d’expression ou la créativité artistique. C’est une stratégie d’abuseur. La société réglemente l’espace entre les barreaux de couchette pour bébés et personne n’ose arguer que c’est une entrave à la liberté des artisans. S’il fallait que la circulation routière soit réglementée comme l’industrie du jeu vidéo, il n’y aurait pas de vitesse réduite dans les zones scolaires, pas de feu pour piétons aux intersections, pas de brigadiers scolaires, pas d’interdiction de transporter des matières dangereuses dans les tunnels, pas d’obligation de porter la ceinture de sécurité ni d’interdiction de l’alcool au volant. Ces règles seraient considérées comme des entraves à la « libre » circulation.

Pendant que l’empathie diminue dans nos sociétés, le mépris, la haine, l’intolérance et la rage gagnent des points partout : au volant, dans le sport, dans les foyers et dans les écoles. Les accros du divertissement violent et les amateurs de jeux vidéo sains ont tort de négliger les critiques. En matière de jeux vidéo, nos sociétés sont au début de la prise de conscience. D’abord le déni : j’ai joué et je n’ai tué personne. Mon enfant joue et ne fait pas de mal à une mouche. Ça défoule. Oui, bien sûr, il y a des fumeurs qui ne meurent ni du cancer ni de problèmes cardio-circulatoires. Certains fumeurs ne toussent pas et ne crachent pas. Cela devrait-il nous rassurer ? Certainement pas. Les jeux comptent pour 13 à 22% dans l’augmentation de l’agressivité, comparativement à 14% pour la fumée de cigarette dans l’augmentation des risques de cancer du poumon. Combien de parents supervisent l’exposition des enfants à la violence à la télé, dans les jeux vidéo FPS et les films violents ? Combien de parents connaissent la quantité de violence bombardée dans le cerveau de leur enfant ? Combien sont au fait des dommages causés ? L’Unicef rapporte que le pourcentage de ceux qui le font est faible et que la toxicité augmente. (1) Si une campagne de sensibilisation mettait les parents en garde, tout le monde y gagnerait.

Effets des jeux FPS

L’absence de stimulation du lobe frontal par les jeux vidéo FPS ne rend pas automatiquement idiot. Privées de stimulation électrique dans le lobe frontal avant l’âge de 20 ans, les cellules nerveuses ne développent pas les synapses pour se relier les unes aux autres solidement. Or, notre lobe frontal est et restera notre centre de décision durant toute notre vie. Aider les jeunes à développer cette région de leur cerveau devrait tous et toutes nous intéresser. C’est d’autant plus important que c’est là que nous gérons nos émotions et contrôlons nos impulsions. Et il semble que le nombre d’enfants qui ne le font pas augmente. L’augmentation de 300% du nombre d’enfants de nos écoles primaires qui vivent des troubles graves de comportement devrait nous éclairer. (2) D’autres parties du cerveau ne sont pas privées de stimulation par les jeux vidéo FPS. En nous félicitant d’avoir écrasé des piétons, battu une prostituée à coups de bâton de baseball ou tué des concitoyen-nes, certains jeux vidéo relient « plaisir » avec cruauté et crime. Ce que les psychologues appellent le « thrill to kill » (plaisir de tuer). Cela coûte cher à la vie dans nos écoles nord-américaines et coûtera de plus en plus cher à la société.

En 2005, le Service de Police du Comté de York en Ontario prétendait qu’il y avait un lien entre la prolifération des jeux vidéo violents et la hausse de la criminalité violente. Lorsque Danielle LaBoissier est venue témoigner devant les dirigeants du Service au nom de son employeur, la Entertainment Software Association, elle a émis l’hypothèse que la position des policiers ne tiendrait pas la route juridiquement parlant. Tous ses arguments ont été repris et réfutés un à un, ce qui devrait éclairer les amateurs de console à la condition de prendre le temps de lire l’analyse. (3)

L’industrie, victime ?

Présenter l’industrie du jeu vidéo comme une victime des protecteurs d’enfants trop prudes n’est rien d’autre qu’une stratégie de manipulation ridicule. L’industrie du jeu vidéo rapporte 10 milliards$ par année, plus que la télé et le cinéma réunis, selon le Dr Michael Rich, qui témoignait devant le comité sénatorial du commerce des États-Unis en 2001. (4) Certains reprochent à ceux qui critiquent les jeux vidéo de ne pas les aimer. Et même si c’était le cas, cela n’a rien à voir avec notre responsabilité citoyenne à tous de protéger les enfants. Cette responsabilité incombe aussi (et en priorité) à l’industrie qui les produit, à ceux qui les vendent, et à ceux qui adorent s’adonner à ces jeux. Lorsque mon produit cause des dommages, ne devrais-je pas immédiatement protéger les victimes au lieu de refuser de voir la réalité et de rejeter la responsabilité sur leurs parents ? Que dirait-on si les jeux fabriqués en Chine et recouverts de peinture toxique avaient été absous et qu’on ait blâmé les parents de les avoir donnés aux enfants ? Aimer les jouets et les Chinois ne peut pas remplacer la responsabilité de retirer les jeux du marché. On peut sans honte aimer les enfants plus que les jeux vidéo, la télé et le cinéma. Ceux qui abusent de la vulnérabilité et de l’inexpérience des enfants et des ados ne méritent pas d’accommodement.

Tous ceux et celles qui se préoccupent de la santé mentale des jeunes et de l’avenir de la société ont parfaitement raison de s’inquiéter des effets de ces jeux sur les jeunes et sur notre capacité de vivre ensemble. L’Association étatsunienne des psychologues a soigneusement fouillé la question avant de sonner l’alarme. (5) Les pédiatres des États-Unis et du Canada partagent les mêmes inquiétudes. Insulter les personnes et les groupes qui sonnent l’alarme peut réjouir quelques fanatiques du divertissement violent pour un bref moment, mais la réalité les rattrapera tôt ou tard. Les preuves sont accessibles au public. Pourquoi ne pas regarder la réalité en face ? Le Professeur Craig Anderson est le doyen des chercheurs sur les jeux vidéo ; il a publié la liste des onze mythes entourant les études menées sur ces jeux. Là aussi, une lecture attentive devrait satisfaire la curiosité des défenseurs de ces jeux et de ceux qui en produisent. (6)

Tourner en dérision les personnes qui ne partagent pas notre avis ne fait pas avancer le débat. Espérons que notre intérêt pour les enfants aura préséance sur notre engouement pour notre passe-temps favori ou pour la valeur de nos actions en bourse.

Notes

1. Document en PDF. Unicef Canada.
2. www.cse.gouv.qc.ca.
3. www.edupax.org.
4. Document en PDF. www.aap.org.
5. Document en PDF. www.edupax.org.
6. Document en PDF. www.edupax.org.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 septembre 2007.

Jacques Brodeur, consultant en éducation et en prévention de la violence


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=2742 -