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Projet de loi 16 - La conquête de l’égalité, un vrai rocher de Sisyphe

12 octobre 2009

par Micheline Carrier

La question de l’égalité est un vrai rocher de Sisyphe. Plus souvent qu’autrement, ce sont les religions et l’État qui unissent leurs forces pour ériger la montagne… Qui doute que la société québécoise soit encore et toujours patriarcale, qu’elle reste imprégnée de la crainte des dieux ? Qu’avons-nous donc avalé au biberon, Québécoises et Québécois, pour être à ce point complaisant-es et soumis-es face aux religions ?

Quand on croit que tout le monde a compris le bien-fondé d’instaurer l’égalité dans une société et qu’on pense s’être doté des garanties essentielles pour combattre la discrimination basée sur le sexe - et la plus récente au Québec est un amendement à la Charte des droits et liberté de la personne -, le rocher dégringole à nouveau, et il faut recommencer à le hisser à bout de bras. Tout cela à cause d’un manque de volonté politique et de la collusion des pouvoirs. À cause aussi d’une peur quasi pathologique de passer pour raciste (sorte de complexe du colonisé) si l’on ose contrarier ceux et celles qui se cachent derrière les religions pour faire avancer leur agenda politique.

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Quand c’est utile à son image ici ou à l’étranger, le gouvernement du Québec se gargarise du principe de l’égalité des femmes et des hommes, mais s’il faut agir pour assurer cette égalité dans la réalité, il se défile. La ministre Yolande James vient de donner un nouvel exemple de cette hypocrisie en refusant de trancher entre le droit à la liberté de religion et le droit à l’égalité pour les femmes. Ce refus survient dans le cadre de l’étude du Projet de loi 16, Loi favorisant l’action de l’administration à l’égard de la diversité culturelle. En clair, le refus de la ministre confirme les craintes de plusieurs : le gouvernement s’apprête à paver la voie aux demandes d’accommodement que certain-es réclament au nom de leurs croyances religieuses au détriment des droits des femmes (et, éventuellement, au détriment des droits d’autres citoyens). Si le gouvernement n’a pas cette intention, pourquoi n’indique-t-il pas clairement qu’aucune revendication de nature religieuse ou culturelle ne pourra entraver l’égalité des femmes et des hommes ?

« Ce n’est pas parce qu’on fait le choix de s’ouvrir à la différence qu’on va faire des compromis sur les valeurs du Québec », a dit le ministre. Du même souffle, elle accepte les compromis de la CDPDJ sur l’égalité des sexes, une valeur du Québec, et refuse d’affirmer la primauté du droit à l’égalité sur les croyances religieuses individuelles. Le relativisme ne condamne pas la discrimination, il s’en accommode… L’amendement proposé par le Conseil du statut de la femme, que la ministre a accepté, est un pas vers l’affirmation de la laïcité, mais il n’écarte pas tout risque. On peut bien affirmer des valeurs communes et ne pas en tenir compte dans la pratique, on en a la preuve tous les jours, et la complaisance de la SAAQ, de la RAMQ et de la CDPDJ face aux demandes de dérogation du principe d’égalité le démontre. Ce projet de loi devrait être retiré d’ici à ce que l’État québécois se dote d’une charte de la laïcité, qui éliminerait tout équivoque, et qu’il ferait respecter rigoureusement.

Dire une chose et faire son contraire est l’un des traits du gouvernement Charest, qui est passé maître dans l’art du déni quand on lui met des évidences sous le nez. Hier, le Premier ministre a affirmé que la CDPDJ n’avait pas entériné une forme de discrimination en justifiant la Société de l’assurance automobile du Québec d’accepter la demande d’un citoyen qui refusait d’être servi par une personne de l’autre sexe, en l’occurrence une femme, au nom de ses croyances religieuses. La CDPDJ « a approuvé la façon de faire de la SAAQ parce que les employées touchées (...) ne sont pas conscientes de la discrimination dont elles font l’objet », par conséquent leur droit à l’égalité n’est pas en cause (1). La CDPDJ justifie la discrimination sexiste par des croyances individuelles mais le Premier ministre n’y voit pas de discrimination : la personne qui fait cette demande devra tout simplement attendre son tour pour être servie, dit-il.

Quel visionnaire, ce Premier ministre ! Il ne lui vient pas à l’esprit que la CDPDJ aura à approuver d’autres cas semblables, qui se multiplieront par la brèche qu’elle a ouverte, et qu’il y aura nécessairement des personnes exclues de certaines fonctions en raison de leur sexe. Par exemple, on pourrait ne pas engager de femmes ou en engager moins dans certains milieux si l’on prévoit rencontrer des « problèmes » avec certains groupes politico-religieux. On camouflera tout simplement la discrimination sexiste qui semble, pour la Commission des droits, le Premier ministre ainsi que les ministres St-Pierre et James, une sorte de « dommage collatéral » inévitable et acceptable, un prix à payer pour acheter la paix avec certains groupes. Ce jeu de l’autruche que pratique le gouvernement lui ménage les bonnes grâces de lobbies politico-religieux qui peuvent être utiles en période électorale.

"Le cas par cas" relatif à ce genre d’accommodements ouvre la porte à n’importe quoi et peut vite devenir une règle non écrite. Dans quelles circonstances une demande de dérogation au respect du droit à l’égalité présentée au nom de croyances personnelles pourra-t-elle être refusée si le gouvernement et la CDPDJ ne savent (ou ne veulent) pas discerner la discrimination là où elle s’exerce ni prévoir que des décisions basées sur des considérations individuelles peuvent entraîner des conséquences dommageables au plan collectif ?

Au nom de croyances religieuses, on exigera - si ce n’est déjà fait - de ne pas s’asseoir à proximité d’une personne de l’autre sexe à l’école ou dans des lieux publics – à l’Assemblée nationale, par exemple ! -, et le gouvernement et la CDPDJ proposeront une argumentation lénifiante et simpliste pour justifier cette demande. Va-t-on imposer la séparation des sexes ou la non-mixité dans les écoles ou dans les services publics, faire asseoir les filles et les femmes en arrière de la salle, par exemple, si des individus ou groupes politico-religieux familiers de cette pratique au sein de leur communauté le réclament au nom de leurs croyances religieuses ?

Discutons, discutons sur l’égalité ad vitam æternam, ne sommes-nous pas de grands parleurs ? Amendons les chartes, modifions les lois, mais ne les faisons pas respecter car il faut rester ouverts à la « diversité ». Nous n’avancerons pas d’un iota tant que nous ne serons pas décidés collectivement à remettre la religion à sa place, c’est-à-dire dans la sphère privée, et à imposer la laïcité partout, que cela plaise ou non à certaines minorités.

Des groupes comme Sisyphe, le Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité, le Conseil du statut de la femme, le Mouvement laïque du Québec, le SFPQ et d’autres syndicats réclament que l’État du Québec ait le courage de trancher cette question en adoptant une charte de la laïcité qu’il fera respecter dans toutes ses institutions. Les oppositions péquiste et adéquiste réclament la même chose et il faut espérer qu’elles ne lâchent pas prise. Quant à Québec solidaire, on ne l’a pas encore entendu au sujet du projet de loi 16.

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Il est un groupe, cependant, qui prétend défendre « toutes les femmes du Québec », mais qui ne voit pas l’urgence d’adopter une charte de la laïcité même s’il s’y dit favorable. Il ne faudra pas, en effet, compter sur la Fédération des femmes du Québec pour combattre l’envahissement du religieux dans la vie civile et civique. La FFQ a demandé en mai dernier que l’État autorise le port de signes religieux dans les services publics pour favoriser « l’intégration » des personnes immigrantes. Engoncée dans des notions de liberté individuelle (libre choix) et de relativisme culturel et religieux, et prise dans l’étau de la peur d’exclure ou de stigmatiser, la FFQ se garde bien de dénoncer le sexisme et la violence de certaines pratiques faites au nom des religions. Elle dénonce « en général », elle se fait plus spécifique quand il s’agit de dénoncer le sexisme du catholicisme, mais elle ne voit pas dans le hidjab un porte-étendard de l’islamisme politique, mais un vêtement, et de quel droit dit-on aux femmes quoi porter ? Il y a longtemps, et pas seulement dans ce dossier, dans celui de la prostitution également, que la FFQ a renoncé à une véritable analyse politique pour se pencher sur des considérations individuelles, presque du "cas par cas", elle aussi. Elle semble ne pas être consciente que les « choix » personnels de quelques-unes peuvent entraîner des conséquences sur la vie de l’ensemble des femmes.

Alexa Conradi, élue présidente de la FFQ en septembre dernier, songe à mettre sur pied un comité de vigilance multiconfessionnel au sein de la FFQ :

« Dans la foulée du débat sur le port des signes religieux où l’on s’est inquiété que la FFQ ne s’occupe pas suffisamment des pratiques religieuses discriminatoires, on pourrait mettre sur pied un comité de vigilance multiconfessionnel pour mieux dénoncer les tentatives de contrôle des religieux sur la vie des femmes. » (Discours de mise en candidature disponible dans le site de la FFQ) (2).

D’après ce que je comprends, c’est le comité qui sera multiconfessionnel, donc ses membres représenteront différentes confessions religieuses. Le comité exercera sa vigilance sur les tentatives de contrôle de la vie des femmes par des religieux. Peu importe la religion ? Ou cherchera-t-il à camoufler ces tentatives en essayant de les désamorcer en vase clos pour ne pas « stigmatiser » certains groupes ? On peut se demander pourquoi une organisation féministe aurait désormais besoin d’un comité multiconfessionnel pour dénoncer la discrimination envers les femmes que pratiquent à divers degrés toutes les religions depuis la nuit des temps.

Instaurer une structure multiconfessionnelle dans une organisation féministe constitue de la régression et c’est contradictoire quand on connaît la misogynie et le sexisme des religions. En tant qu’organisation féministe, la FFQ devrait plutôt s’affirmer résolument laïque et inciter les femmes, y compris ses membres, sans considération de leurs croyances religieuses, à dénoncer toutes formes de discrimination sur la place publique et devant les tribunaux.

Notes

1. « Le SPFQ contestera en cour les accommodements raisonnables », par Robert Dutrisac, Le Devoir, 9 octobre 2009
2. Site de la FFQ.

 Vous voulez agir en faveur de l’égalité et de la laïcité ? Signez en ligne notre appel pour une charte de la laïcité au Québec, allez à cette page.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 octobre 2009

Micheline Carrier


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