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mercredi 18 décembre 2013 Janice G. Raymond – Prostitution : "Pas un choix, pas un travail"
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Dans son récent essai, Not a Choice, not a Job (2013), malheureusement pas encore traduit en français, Janice G. Raymond s’attaque à deux mythes : la prostitution considérée comme choix, comme travail. On a pris beaucoup de temps, nous rappelle l’auteure, à réaliser l’omniprésence et les conséquences désastreuses de la traite à des fins de prostitution. Un système qui génère 35.7 milliards de dollars et constitue une violation flagrante des droits humains. Auteure féministe de plusieurs livres et articles, Janice G. Raymond, professeure émérite américaine en Études féministes et Éthique médicale à l’Université du Massachusetts à Amherst, a aussi été co-directrice générale de la Coalition internationale contre le trafic des femmes (CATW). Elle fait partie de ces universitaires qui ont consacré le meilleur de leur énergie et de leurs connaissances à dénoncer l’exploitation sexuelle des femmes et, plus particulièrement, à démystifier la prostitution et la mondialisation de l’esclavage sexuel. Dans ce livre, comme dans ses nombreux articles (1), Janice G. Raymond démontre que la prostitution n’est pas une question de sexualité, mais d’exploitation sexuelle. Elle prouve que la légalisation et la décriminalisation du système prostitutionnel va à l’encontre des intérêts des femmes prostituées en encourageant la traite mondiale, en élargissant l’industrie du sexe et l’influence du crime organisé. D’entrée de jeu, l’auteure trace un portrait déchirant de celles qu’on a enfermées dans ce milieu :
Raymond affirme que, si nous déclarons que la prostitution est un travail comme un autre, nous ne respectons pas la dignité des femmes prostituées, mais ne faisons que nous conformer aux exigences de l’industrie du sexe. Elle dégonfle aussi au passage ces autres mythes qui entourent la prostitution comme celui qui prétend que "le problème véritable réside dans l’exploitation sexuelle des enfants, parce que ces derniers n’ont pas le choix", contrairement aux femmes adultes. Cet argument ne tient pas la route, explique-t-elle, puisque plusieurs femmes prostituées adultes l’ont été quand elles avaient treize ou quatorze ans. N’est-il pas absurde de prétendre que, le jour où ces filles atteignent dix-huit ans, le fait d’être victimes de violences sexuelles à répétition devient par magie une question de libre choix ? Un autre mythe très populaire affirme que seule la traite à des fins de prostitution est violente et forcée. À ce faux argument, Janice Raymond réplique que "la traite EST la prostitution mondialisée". Les liens entre les industries locales de la prostitution et les réseaux internationaux de trafiquants sont essentiels à l’expansion globale de l’industrie du sexe, et sont indissociables. Sortir de la prostitution En ce qui concerne les solutions, la chercheuse affirme qu’il est urgent d’avoir le courage et la volonté politique d’agir contre cet esclavage mondial des femmes et des enfants. Urgent de dénoncer d’abord toutes les pratiques prostitutionnelles pour ce qu’elles sont : non pas "travail du sexe", mais exploitation sexuelle. Pas un des droits de la personne, mais une violation de ces droits. Pas le résultat d’un consentement, mais d’un "formatage" violent par les proxénètes et le crime organisé. Le principal défi des gouvernements, selon la chercheuse féministe, consiste aujourd’hui à refuser de reconnaître la prostitution comme un travail. Il leur faut plutôt protéger les femmes victimes de la traite et de la prostitution, défendre leurs droits et leur dignité. Elle dénonce aussi la tendance des gouvernements à mettre l’accent sur des solutions à court terme. Très souvent, les agences subventionnées n’essaient pas d’aider les femmes dans la prostitution à en sortir, mais se contentent tout au plus de négocier avec elles le port de préservatifs et des tests de dépistage du VIH/SIDA. Raymond analyse tout particulièrement comment la prostitution légalisée ou réglementée aux Pays-Bas, en Allemagne, en Australie, et au Nevada aggrave la criminalité et met en danger la vie des femmes prostituées. Par contre, elle constate que la politique de prévention envers la demande de services sexuels adoptée par la Suède, la Norvège, l’Islande et d’autres pays (dont récemment la France) a enrayé le développement de la traite. Une telle politique a fourni aux femmes prostituées les moyens de s’en sortir et dissuadé un nombre croissant d’hommes de pratiquer et de cautionner ce viol tarifé des femmes. L’auteure conclut en insistant sur l’urgence pour les gouvernements de décriminaliser les femmes piégées dans la prostitution et de pénaliser ces hommes qui se présentent comme clients, gestionnaires d’entreprises ou protecteurs des femmes qu’ils prostituent impunément. Comme l’écrit à juste titre Julie Bindel, journaliste au Guardian de Londres : "Janice Raymond dévoile, analyse et expose l’un des plus grands scandales législatifs depuis la traite des Noirs et l’esclavage : la prostitution sanctionnée par l’État." Pas un choix, pas un travail de Janice G. Raymond constitue un puissant argumentaire abolitionniste. Une lecture indispensable pour la défense non seulement des droits des femmes, mais des droits de la personne partout dans le monde. Notes 1. Lire sur Sisyphe : « Dix raisons de ne pas légaliser la prostitution » (2003) et « Prostitution en Allemagne : Déclaration post-Coupe Mondiale de Football » (2006). Janice G. Raymond, Not a Choice, Not a Job - Exposing the myths about prostitution and the global sex trade, Dulles (Virginia), 2013. Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 décembre 2013 |