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mercredi 23 février 2005 Lettre ouverte au sous-comité sur le racolage Il faut étudier l’expérience de la Suède, non seulement celle des Pays-Bas et de l’Australie
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Le gouvernement canadien a nommé un sous-comité sur le racolage formé de député-es des partis siégeant au Parlement. Ce sous-comité a pour fonction de réfléchir sur les lois concernant la prostitution, notamment les articles 210 à 213 du code criminel. Ces articles touchent aussi bien la tenue d’une maison de débauche, le proxénétisme, le transport des femmes à des fins de prostitution que le racolage sur la voie publique. Avec les bouleversements actuels, notamment la croissance rapide et importante des industries du sexe, liée à des facteurs propres à la mondialisation, la nécessité d’adapter les lois aux nouvelles réalités se fait pressante. En outre, la signature par le Canada de nouvelles conventions internationales sur les droits des enfants et sur la criminalité transnationale impose des ajustements aux lois canadiennes. Il faut également souligner un autre facteur : les débats publics entre les tenant-es de la décriminalisation totale de la prostitution et les partisan-es favorables à une décriminalisation des activités des personnes prostituées et à un renforcement des lois contre le proxénétisme et les trafiquants, et même à une pénalisation des clients, ont eu une influence importante sur l’opinion publique. Des questions qui ne sont pas faciles à résoudre Le sous-comité sur le racolage fait face à des analyses diamétralement opposées : d’un côté, la prostitution est considérée comme un « travail sexuel » et, les lois du travail devraient constituer l’encadrement législatif principal, de l’autre, cette activité est l’un des piliers de l’oppression des femmes et une violence à leur endroit. Pour les partisan-es de l’abolition des règles et de la répression qui pèsent sur les personnes prostituées, les rapports sociaux de domination et d’exploitation y règnent, avec son lot de violence. Pour les tenant-es de la décriminalisation totale, ce sont les conditions d’exercice de la prostitution (clandestinité, opprobre social), qui sont la source de la violence, et non l’exercice lui-même. Aucun des intervenants publics - groupes de femmes, organisations de « travailleuses du sexe », chercheurs, etc. - considèrent la légalisation, qui est en fait une imposition de règlements supplémentaires sur les personnes prostituées, un contrôle accru de leur activité et une manière commode d’engranger taxes et impôts à leur détriment, comme la voie à suivre. Certes, en 2001, le Bloc québécois proposait une telle perspective, mais cela ne reflète aucunement les prises de position de la société civile. Les données concordent toutes : la légalisation de la prostitution entraîne une croissance importante de l’activité prostitutionnelle tant légale qu’illégale et provoque une aggravation de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution. Il en ressort que les conditions d’exercice de la prostitution se dégradent, la violence augmente, la clandestinité croît. Aux Pays-Bas, par exemple, le nombre de personnes prostituées clandestines constituent 70 % des cas ; la prostitution des mineur-es y a connu également une recrudescence : de 1996 à 2001, elle a triplé (de 5 000 à 15 000 enfants). Appelé comme témoin expert au sous-comité sur le racolage, dont les travaux à l’évidence sont sérieux et menés dans un esprit ouvert, j’ai été surpris d’apprendre par l’un de ses membres qu’un voyage avait été planifié aux Pays-Bas pour examiner sur place sa législation et ses effets sur la société. Il me semble que les membres du sous-comité devraient également, à tout le moins, faire un voyage d’étude en Suède où une expérience différente et novatrice, qui tranche par rapport aux politiques réglementaristes des Pays-Bas, est en cours depuis la fin des années quatre-vingt-dix. L’expérience suédoise En 1998, la loi-cadre suédoise, appelée Kvinnofrid, la « Paix (ou Tranquillité) des femmes », a mis en place un ensemble impressionnant de mesures « pour lutter contre les violences envers les femmes, la prostitution et le harcèlement sexuel dans la vie professionnelle ». Elle introduit l’infraction pénale de « violation flagrante de l’intégrité de la femme » qui vise à condamner les violences fréquentes commises par un homme envers une femme, suédoise ou immigrée. C’est dans ce contexte de lutte contre les violences qu’est adoptée, le 1er janvier 1999, la modification du code pénal relative à la prostitution qui permet de pénaliser les « acheteurs de services sexuels ». Cette pénalisation des « clients » a été assortie de mesures d’accompagnement : une campagne d’affichage rendant visible les 10-13 % de la population masculine qui ont eu, un jour, recours à une personne prostituée a été lancée dans le pays, des programmes de sensibilisation ont été développés à destination des enfants. L’État est maintenant en partie responsable d’aider les femmes à sortir de situations violentes, y compris de la prostitution, et de fournir aux femmes l’accès à des refuges, à un conseil juridique et social, à l’éducation et à la formation professionnelle. Le dernier sondage montre que 86 % de la population suédoise appuie cette loi. Des groupes organisés par des femmes, qui ont été dans le milieu de la prostitution, aussi bien que des femmes qui tentent d’échapper à ce milieu appuient également la loi. À Stockholm, le nombre de personnes prostituées de rue a diminué des deux tiers. De même, la traite de femmes vers la Suède a été largement freinée par la loi. Dans le pays voisin, la Finlande, là où comme en Norvège il existe des « camps de viol », on estime entre 15 000 et 17 000 le nombre de personnes victimes chaque année de la traite à des fins de prostitution. Pour déconsidérer cette expérience, sans jamais citer de sources, on affirme régulièrement que la prostitution « cachée » a augmenté en Suède. Ce qui est pourtant le cas en Allemagne, aux Pays-Bas et en Australie (ce qui est abondamment documenté). Or, les femmes suédoises issues de mouvements et de groupes qui travaillent avec les femmes en situation de prostitution affirment que la loi a un effet dissuasif sur les jeunes qui ne sont pas encore dans la prostitution mais qui sont en risque prostitutionnel. Les centres de services et la police affirment que la loi fonctionne aussi comme un élément de dissuasion pour les hommes qui font usage de femmes dans les bordels, les clubs pornographiques et les agences d’escortes. Des hommes qui occupent des postes haut placés, y compris dans les armées en poste au Kosovo, ont été inculpés pour avoir enfreint la loi, ce qui a lancé un signal dissuasif en direction de tous les milieux. Et les « clients » sont, aujourd’hui, huit fois moins nombreux qu’auparavant. La pénalisation du meurtre, du viol, de la violence dite conjugale ou du harcèlement sexuel n’a pas fait disparaître ces différentes formes de violence. La loi suédoise n’a pas non plus fait disparaître la prostitution, mais c’est le seul pays qui a vu la prostitution régresser et la traite freiner. Une décriminalisation de ces violences signifierait que la société les accepte. L’expérience suédoise mérite une attention toute particulière du sous-comité sur le racolage, car elle offre une alternative à l’expansion débridée des industries du sexe. * Richard Poulin, est professeur au département de sociologie, à l’Université d’Ottawa, et l’auteur de La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne, 2004 ; Paris, Imago, 2005). Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 février 2005. Suggestions de Sisyphe – « Un sous-comité du Parlement canadien pourrait proposer la décriminalisation de la prostitution, par Sisyphe
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