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jeudi 10 avril 2003 Bernard Landry et la pauvreté : de l’obsession à la résignation
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En présentant son premier conseil des ministres, M. Bernard Landry, qui succédait depuis peu à M. Lucien Bouchard à la tête de l’État, avait déclaré que la lutte à la pauvreté était pour lui une "véritable obsession". À l’entendre, son gouvernement allait tout mettre en oeuvre dans les meilleurs délais pour améliorer sensiblement la situation des personnes qui vivotent plus qu’elles ne vivent au Québec. En lançant une nouvelle consultation sur la pauvreté que, pour ma part, je trouvais inutile, le gouvernement de M. Landry avait indiqué qu’un projet se rapprochant d’un revenu minimum garanti pourrait être présenté au printemps 2003.
Je n’y croyais pas. J’étais sceptique quant à la soudaine conversion d’un néo-libéral qui me semble avoir plus d’affinités avec les brasseurs d’affaires et d’espèces sonnantes qu’avec le commun des mortel-les. Je n’avais pas tort. Au fil du temps, l’ "obsession" de M. Landry s’est métamorphosée en résignation. Au cours de la présente campagne électorale, on a en effet entendu M. Landry affirmer qu’on ne pourra jamais éliminer la pauvreté. Une façon d’esquiver les critiques quant au peu d’efforts consentis par son gouvernement pour atteindre cet objectif. Une façon également de rassurer les bien nanti-es qui pourraient craindre une redistribution de la richesse entraînant la réduction de leurs privilèges, fiscaux ou autres. Cette résignation étonne tout de même chez le chef d’un gouvernement qui vient à peine d’adopter une loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, la Loi 112, dont l’article premier précise qu’il faut "tendre vers un Québec sans pauvreté." (1) Il sera difficile de mettre en place les mesures concrètes pour atteindre cet objectif si le chef du gouvernement lui-même croit qu’il n’est pas réalisable. À quoi bon étaler les statistiques des experts ? La pauvreté existe au Québec comme ailleurs, l’écart entre les plus pauvres et les plus riches s’est même élargi. Tout le monde le sait, enfin presque tout le monde, mais une bonne partie de la société fait tout pour l’oublier. On signe pourtant des pétitions contre la pauvreté, on la dénonce dans des tribunes téléphoniques ou des émissions de télévision, on approuve une loi pour l’éliminer. Mais de là à exiger que l’État soit conséquent et consacre les sommes nécessaires pour atteindre l’objectif de la loi qu’il a adoptée, il y a un grand pas que peu de gens sont prêts à franchir. L’été dernier, lors du dépôt du projet de loi 112, on avait annoncé 1,5 milliard $ sur cinq ans, une somme que le Collectif pour l’élimination de la pauvreté estimait insuffisante. Le budget Marois a réduit cette somme à 238 millions$ sur trois ans. Pourquoi ? "Pas d’argent". Beaucoup d’argent... mais ailleurs. Pourquoi donc le gouvernement Landry n’a-t-il pas l’argent promis pour mettre en place les mesures concrètes de lutte à la pauvreté ? Parce qu’il dispose du bien commun au profit des mieux nanti-es. Parce qu’il a distribué ou promis l’argent des contribuables à des multinationales. Des pauvres parmi les pauvres, comme on le sait. Ce sont 3,5 milliards$ sur 25 ans à une multinationale de l’aluminium pour créer 250 emplois, soit 500 000$ par emploi par an. Ce sont 172 millions$ sur dix ans à la multinationale IBM, ce sont les 30 millions $ à NASDAQ l’an dernier, et combien de centaines de millions chacune année à d’autres entreprises ? L’argent que le gouvernement québécois prétend ne pas avoir pour lutter contre la pauvreté, c’est aussi celui qu’il donne à l’industrie pharmaceutique responsable de l’implosion des coûts de l’assurance-médicaments. Ajoutons à ces exemples les revenus et les comptes de dépenses de cadres supérieurs au sein des sociétés d’État, qui dépassent de plusieurs fois les revenus des salarié-es, et enfin, les achats douteux que ces sociétés ont faits avec l’argent public. En subventions ou crédits d’impôts, peu importe les cadeaux consentis : il s’agit toujours de l’argent des contribuables distribué aux plus riches de la société et dont les plus pauvres sont privé-es. Il semble acceptable que les mieux nanti-es, toujours proches des pouvoirs publics, puisent à pleines mains dans les richesses collectives alors que la moindre mesure pour améliorer la situation des plus pauvres soulève une levée de bouclier et alimente les préjugés les plus néfastes. Pas d’argent pour traduire dans des mesures concrètes les grands principes de la loi 112, dit le gouvernement Landry, parce qu’il a consenti des réductions d’impôts importantes depuis quatre ans, quoi qu’en dise le chef du Parti libéral, qui en redemande. Lors du débat des chefs de parti à la télévision québécoise, M. Landry a affirmé avoir réduit les impôts de 15 milliards $ depuis 1999. Selon le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté, "c’est ce qui peut expliquer les difficultés budgétaires actuelles." Avec insistance et en menaçant de voter du "mauvais bord", la classe la mieux nantie réclame des réductions d’impôts de plusieurs milliards, sachant que ces réductions accroîtraient davantage les écarts entre pauvres et riches et pourraient mettre en péril les services collectifs. Réduisez nos impôts et privatisez les services, nous paierons pour les obtenir. Peu importe le sort des autres, celles et ceux qui n’ont même pas les revenus suffisants pour payer de l’impôt. Le gouvernement du Québec a tout de même trouvé cette année des centaines de millions cette année pour accroître les revenus des médecins, un groupe qui se classe parmi les plus favorisés. Le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté note également que les crédits d’Emploi et Solidarité sociale sont réduits de 100 millions$. Pourquoi ? On lui répondrait sans doute que le nombre de bénéficiaires a diminué et qu’il faut s’en réjouir. Raison de plus d’utiliser cet argent pour améliorer le sort des autres, par exemple, en ramenant la gratuité des médicaments pour tous les bénéficiaires, aptes au travail ou non (17$ millions environ). "S’il y a moyen de mettre 809$ millions en réserve en santé pour les deux prochaines années, dit le Collectif, il y a moyen de mettre 17$ millions cette année pour rétablir la gratuité des médicaments à l’aide sociale et prévenir ainsi la mauvaise santé". Le salaire minimum est certes passé à 7,50$ l’heure, mais il reste encore nettement inférieur au revenu établi par Statistique Canada comme le seuil de pauvreté. Il faudrait qu’il atteigne 9,43$ de l’heure pour que le revenu d’une personne atteigne le seuil de pauvreté. Parmi les personnes qui touchent le salaire minimum, les femmes sont majoritaires car les emplois traditionnellement masculins non spécialisés sont mieux rémunérés que les emplois traditionnellement féminins. Le soupoudrage d’argent ici et là pour soutenir l’enfance ou la famille annoncé pendant une campagne électorale ne changera rien à la situation des plus pauvres si un plan d’action global, assorti des sommes d’argent nécessaires, ne vient pas donner le coup de barre qui s’impose. La vérité, c’est qu’il n’existe pas encore de véritable volonté politique de réduire sensiblement la pauvreté au Québec. À cet égard, aucun des principaux partis ne se distingue et il est significatif que la lutte à la pauvreté, "obsession" de M. Landry, ait été complètement absente du débat des chefs. Si volonté il y avait, on prendrait tout de suite les mesures pour que tout le monde au Québec dispose des moyens de satisfaire ses besoins vitaux. C’est ce que signifie "lutter contre la pauvreté". L’incursion de M. Landry du côté des oiseaux laisse croire que le premier ministre Landry, si brillant soit-il, ne saisit pas cette notion élémentaire. " Les oiseaux ne sèment ni ne moissonnent..." Lors d’une rencontre avec des groupes, dont il avait peut-être présumé de la résignation face au mépris, le premier ministre Bernard Landry a déclaré : "Si les oiseaux, avec la cervelle qu’ils ont, nourrissent leurs enfants le matin, comment se fait-il qu’il y a encore du monde qui ne nourrissent pas leurs enfants ? Se peut-il qu’il s’agisse d’un problème de société ? Si c’est un problème d’argent, il faut le régler. " (Le Devoir, le 10 mars 2003). De la part d’un " obsédé " de la lutte contre la pauvreté, la question peut surprendre. Si quelqu’un doit connaître l’ensemble des facteurs responsables de la situation précaire d’un cinquième de la population québécoise, c’est, il me semble, le premier ministre du Québec, qui a de plus été longtemps ministre des Finances. Le premier ministre devrait savoir que, oui, il y a effectivement " un problème d’argent ", qui ne dépend pas des personnes démunies mais d’une distribution inéquitable de la richesse collective. Et ce problème, quel que soit le gouvernement qui sera au pouvoir, il aurait la capacité de le régler s’il le voulait. Il s’agit simplement de mettre les priorités à la bonne place. Les médias ont abondamment commenté les propos de M. Landry, non sans nourrir au passage les préjugés à l’égard des classes pauvres. Des journalistes y ont ajouté leurs "sages" conseils. Denise Bombardier, par exemple, affirme ne pas comprendre qu’une mère puisse laisser son enfant partir sans manger pour l’école (pour ma part, je comprends que D. Bombardier ne comprenne pas). La journaliste est allée jusqu’à suggérer à ces mères démunies de voler, comme certains jeunes, a-t-elle écrit, pour se procurer de quoi nourrir leurs enfants. Le vol plutôt que la justice sociale. Remarquez que Denise Bombardier serait probablement l’une des premières à monter aux barricades si ces femmes adoptaient sa suggestion et se servaient gratuitement sur les étagères des supermarchés. Comme si cela ne suffisait pas, M. Landry en a rajouté lors de sa "sortie" de coq blessé contre les groupes de femmes. "Ne me parlez pas des groupes de femmes, a-t-il dit. Je préfère rencontrer le président de la Sun Life." Ça, on s’en doutait un peu. M. Landry est certainement plus à l’aise avec les gens de la haute finance qu’avec la population "ordinaire". C’est plus "glamour". Le président de la Sun Life est de sa "classe", après tout, et en outre, c’est un homme. Et comme tout le monde le sait, entre hommes, on parle toujours de choses sérieuses et importantes. On en parle à huis-clos pour éviter que quelqu’un-e s’avise de faire obstacle aux mâles projets. Mais peut-être est-il utile de renseigner brièvement M. Landry et ses ami-es journalistes quant aux besoins comparés des oiseaux et des êtres humains. "Les oiseaux ne sèment ni ne moissonnent, et pourtant, ils ne manquent de rien". À l’école de mon enfance, une autre version disait : "Et pourtant, le Père céleste les nourrit. " Une version ou l’autre, c’est écrit dans l’Évangile. Mais c’est un peu plus compliqué quand il s’agit de la vie concrète. Même quand les êtres humains sèment à longueur d’année, la moisson n’est pas toujours à la hauteur de leurs efforts : 300$ bruts par semaine pour 40 heures de semailles, pour nourrir parfois trois ou quatre personnes. Peut-on croire qu’ils ne manquent de rien ? Faut-il rappeler au premier ministre que les oiseaux n’ont pas à payer un loyer dont le coût gruge la moitié des revenus, comme c’est le cas pour plusieurs individus ou familles du Québec. Les oiseaux ne reçoivent pas non plus les factures d’Hydro-Québec, de Gaz Métropolitain, du téléphone et d’internet. Leurs transports sont gratuits. Ils n’ont pas à renouveler les vêtements de leur progéniture aux trois ou six mois, ni à défrayer le coût de ses activités scolaires et parascolaires (dans un système soi-disant gratuit) ou celui du panier d’épicerie qui augmente à toutes les quinzaines. Les oiseaux ne paient pas la TPS, la TVQ, de taxes municipales, d’impôts à deux gouvernements, de prime annuelle et de franchise pour leurs médicaments, de frais d’entrée dans les musées, dans les parcs nationaux, sur les pistes cyclables, au cinéma, etc... Les humains, oui, et certain-es le font avec un revenu hebdomadaire de 300 $. Enfin, on n’incite pas les oiseaux à dépenser leurs maigres ressources, en leur faisant miroiter la fortune à chacun leur tour, grâce à une loterie qui enrichit l’État et lui permet de distribuer des crédits d’impôts et des subventions à gauche et à droite. So... so... so... solidarité à bâtir... À vrai dire, les oiseaux sont parfois dans une situation meilleure que certains êtres humains. On ne les humilie pas en véhiculant des préjugés sur leurs aptitudes à prendre soin de leurs petits. On ne les oblige pas à fréquenter des banques alimentaires quand ils n’ont plus de quoi manger, ni à aller chercher des bottes et des manteaux à la St-Vincent-de-Paul pour habiller leurs enfants. Lors d’hivers rigoureux, ils ne risquent pas de se voir couper le chauffage et l’électricité. En période de sécheresse ou d’intempéries, on ne les rend pas responsables ni coupables de leur situation précaire. Il se trouve même une armée d’amoureux des oiseaux pour leur venir en aide, sans leur faire sentir qu’ils sont un poids pour la société humaine. Quand les oiseaux vieillissent, et s’ils deviennent handicapés, ils ne tardent pas à mourir. Ils ne meurent pas à petits feux par manque de ressources et de soins, contrairement à certains êtres humains, qui ont l’obligation de vivre quelle que soit leur condition. Dans une société civilisée, qui comme le Québec cherche à se distinguer, tous les enfants, femmes et hommes sans exception mériteraient autant d’attention que les oiseaux. En pratique, cela voudrait dire de disposer de revenus suffisants pour couvrir ses besoins essentiels, qu’on soit malade ou bien portant-e, jeune ou âgé-e, qu’on vive seul-e ou en famille, qu’on étudie ou qu’on travaille, qu’on reçoive l’aide sociale, les prestations de la Régie des rentes ou celles d’un régime de retraite. Ce serait là une véritable solidarité se traduisant, notamment, par un revenu de citoyenneté ou un revenu minimum garanti, qui contribuerait du même coup à éliminer les préjugés. On en parle vaguement depuis plusieurs années, mais personne ne semble assez convaincu pour passer aux actes. (2) "Le problème n’est pas tant au niveau des dollars que du regard à transformer pour apercevoir le logique et le faisable, écrit Viviane Labrie, du Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté . Tant que les choix publics n’auront pas été faits pour s’assurer qu’au Québec chaque personne puisse couvrir ses besoins essentiels et réaliser dans l’égalité et la dignité les droits qui lui sont reconnus, le mot solidarité dans le bouche des décideur-es politiques aura un goût de cendre."(3) SOURCES Mis en ligne sur Sisyphe le 1er avril 2003 Le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté en campagne Le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté a préparé un bulletin d’Engagements des candidat-es vers un Québec sans pauvreté que les citoyens-nes peuvent faire signer par les candidat-es de leur cinconscription. Le collectif publiera le 4 avril 2003, soit dix jours avant les élections, et les premiers résultats obtenus à la fin de la campagne électorale ou tout de suite après. Il retournera aux candidat-es élu-es copie de leurs engagements. Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté LES PROGRAMMES DES PARTIS COMPARÉS |