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dimanche 6 février 2011 Droits des femmes en Tunisie et en Égypte - Le cœur et la pensée ailleurs
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Je dois avouer que j’ai le coeur et la pensée ailleurs qu’au Québec, ces temps-ci, bien que le Conseil du statut de la femme, des groupes communautaires et des auteures nous rappellent à juste titre que rien n’est gagné entièrement ni définitivement pour les femmes québécoises. Les peuples de la Tunisie et de l’Égypte vivent un moment crucial de leur histoire, et plusieurs s’inquiètent de ce qu’il adviendra des droits des femmes dans ces pays. Seront-ils enfin reconnus dans une constitution et, surtout, respectés rigoureusement ? Ou régresseront-ils, comme on l’a vu dans d’autres pays, à la suite de révolutions ratées ou de soulèvements populaires ? Du Québec, jusqu’ici, il n’y a guère d’échos solidaires pour les femmes tunisiennes et les femmes égyptiennes. Pourtant, des femmes de différents groupes multi-ethniques auraient de bonnes raisons et de se réjouir et de s’inquiéter du sort de leurs consoeurs à l’étranger. Au plan international, des Iraniennes ainsi que les groupes SIAWI (Secularism Is A Women Issue) et WICUR (Women’s Initiative for Citizenship and Universal Rights - Initiative de Femmes pour la Citoyenneté et les Droits Universels), notamment, ont transmis un message de soutien et d’espoir aux Tunisiennes qui ont osé publier un manifeste en exposant leurs attentes et leurs exigences à l’égard de réformes qu’elles souhaitent voir dans le sillage du soulèvement dans leur pays. Forts des expériences passées, ces groupes mettent en garde contre le risque que des pouvoirs religieux et sectaires essaient de récupérer la révolte populaire. Le risque est plus grand en Égypte où les Frères musulmans formaient et forment toujours une forte opposition au régime en place. À son émission quotidienne, le 31 janvier, Christiane Charette recevait quatre journalistes masculins pour discuter de la situation en Tunisie et en Égypte. Il était cocasse d’entendre l’animatrice demander à ses invités : "Mais où sont les femmes dans tout cela ?", en faisant référence aux manifestations où les médias les montrent peu présentes. J’ai eu l’envie de renvoyer la question à C. Charette : "Mais où sont les femmes dans votre discussion sur la Tunisie et l’Égypte ?" Il y a tout de même des femmes journalistes originaires de ces régions du monde qui auraient pu participer à la discussion et donner un point de vue plus avisé sur la menace islamiste et les droits des femmes. Si aucune ne vit au Québec, qu’à cela ne tienne, les entrevues téléphoniques sont chose courante à l’émission de Christiane Charrette. Outre des femmes journalistes, le Québec compte d’autres femmes de grande valeur originaires de ces communautés, et je suis sûre qu’elles sont plus compétentes pour parler de la situation dans ces régions, et des femmes notamment, que les quatre invités de l’animatrice. De fait, ceux-ci ont tenu des propos vaseux sur la menace islamiste et les droits des femmes, en minimisant cette menace qui serait exagérée pour faire peur. La question des femmes et de la menace fondamentaliste a été réglée en deux temps trois mouvements, et l’on est passé aux choses plus « sérieuses » et plus « viriles ». L’animatrice, qui semblait assez peu documentée sur l’islamisme et les Frères musulmans, n’a rien eu à répliquer à son invité qui a affirmé que ce groupe politique était modéré et qu’on ne devait pas généraliser (islamophobie, vous savez...). Revoilà la tendance québécoise à la banalisation dès qu’on aborde la question du fondamentalisme religieux autre que celui des religions chrétiennes. Islamisme, un terme en voie de devenir tabou au Québec… J’ai même entendu un analyste, dans une autre émission de Radio-Canada, dire que les États-Unis ont leurs évangélistes comme l’Égypte a ses intégristes islamistes. Comparaison qui distortionne la réalité pour faire diversion. Si les évangélistes américains exercent une influence sur les pouvoirs politiques, il ne tue pas, comme le fait à répétition l’islamisme politique dans certains pays. Mon cœur et ma pensée se transportent ensuite au Soudan où des femmes ont juré que l’indépendance ne se ferait pas sans elles et sans que leur droit à l’égalité soit reconnu dans une constitution. J’ai le coeur en charpie en apprenant que l’Iran a pendu une femme irano-néerlandaise pour sa participation aux manifestations lors de la dernière élection dans ce pays (bien entendu, on a inventé un autre prétexte : elle aurait été trafiquante de drogues), et qu’en Afrique du Sud, on viole impunément des femmes lesbiennes soi-disant pour "corriger" leur sexualité. Cet acte horrible n’est pas classé parmi les crimes haineux dans ce pays, et je ne peux m’empêcher de me demander s’il existe des limites à la haine masculine contre les femmes. Quel sort attend la sociologue turque Pinar Selek, acquittée à deux reprises, et à qui l’on fait un nouveau procès en raison de ses recherches sur les conditions du conflit armé entre la Turquie et le Kurdistan et les possibilités de réconciliation ? Pinar Selek est également reconnue en Turquie, et ailleurs, pour ses livres sur la violence contre les travestis et les transexuelles à Istanbul, l’histoire des luttes pour la paix en Turquie et la construction de la masculinité dans le cadre du service militaire. De leur côté, des militantes et des écrivaines kurdes sont menacées à la suite de la publication du livre d’un mollah qui rend ces femmes responsables de tous les problèmes de la société. Le livre identifie un certain nombre de femmes kurdes et les accuse d’« anti-islamisme », d’« anti-leaders religieux/mullas » et de propager des « idées perverses qui amènent la désintégration de la famille, les meurtres de femmes, la prostitution, le divorce du couple, le phénomène d’auto-immolation, suicide/suicide. » Un discours familier. Je salue par ailleurs cette femme courageuse, la sociologue Necla Kelek, récipiendaire du Prix de la liberté de la Fondation Friedrich Naumann, qui ose affirmer, tout en étant dans la mire des intégristes, que "la liberté de pensée a disparu sous le tapis de prière" dans les pays où la charia impose sa loi. Et je pense à toutes celles qui non seulement ne peuvent s’exprimer, mais ne peuvent circuler librement dans la société où elles vivent, à celles qui sont victimes de crimes dits d’honneur, emprisonnées ou condamnées à mort à la moindre aspiration à la liberté. Je me demande si la répression qui s’exerce contre les êtres humains au nom des dieux n’ont pas fait plus de morts et de mortes que toutes les guerres de l’humanité. Bien sûr, les horreurs et les menaces du fondamentalisme religieux contre les droits fondamentaux n’existent pas qu’ailleurs. Nous en avons des exemples au Québec et au Canada, mais nous nous « accommodons » de manière à les camoufler. Je me réjouis de voir des citoyens et des citoyennes de confession musulmane briser le silence sur ces simulacres de tolérance et parler vrai. C’est le cas, par exemple, de Mahfooz Kanwar, membre du Congrès musulman canadien, qui a dénoncé récemment dans le Calgary Herald la tendance de beaucoup de musulmans à « essayer de masquer des vérités laides », par exemple, le fait que l’islam permet au mari de battre sa femme et que des religieux « instrumentalisent » souvent l’islam à des fins politiques. Il faudrait toutefois plus de Mahfooz Kanwar, de Tarek Fatah et de Farzana Hassan pour faire la preuve que les intégristes musulmans ne constituent qu’une infime minorité au Québec et au Canada. Si c’est le cas, pourquoi n’entendons-nous qu’une poignée de musulmans progressistes dénoncer la violence du fondamentalisme islamiste ? Au Québec, la religion est entrée dans les garderies après avoir été chassée des écoles publiques, comme nous le rappelle Louise Mailloux, philosophe et analyste de la laïcité. La ministre de l’Éducation semble un peu dépassée par ces questions de religion, mais elle devrait se mettre à jour sans délai, autrement, ce sont les événements qui la dépasseront bientôt. Ce n’est pas seulement dans les garderies que la religion veut s’imposer, mais aussi dans les écoles primaires et secondaires de certaines communautés ethniques qui reçoivent des subventions de l’État. Certains prétendent par ailleurs ne pas pouvoir pratiquer leur religion s’ils ou elles ne portent pas toujours et partout des symboles qu’ils qualifient de « religieux ». Quand des sikhs ont été refoulés à la porte de l’Assemblée nationale parce qu’ils avaient projeté d’y entrer avec leur kirpan pour participer à la commission parlementaire sur le projet de loi 94, la ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles, Kathleen Weil, s’est réfugiée dans une neutralité qui ressemble à de la lâcheté. Personne n’a été dupe : ces sikhs avaient été avisés qu’on leur demanderait de déposer leurs kirpans à l’entrée, mais ils voulaient démontrer la grande « intolérance » du Québec. Le Québec, ce lieu où les dirigeants et une partie des intellectuels refusent de s’engager contre les exigences déraisonnables de certain-es - qui confondent privilèges et droits - parce qu’ils craignent qu’on les juge « intolérants » envers les minorités. Réflexe de colonisé-es. Qui sait, dans quelques années, s’il ne faudra pas que la majorité québécoise se soulève, elle aussi, contre ses dirigeants qui laissent des factions intégristes de certaines minorités imposer leurs valeurs et leurs exigences à la majorité. Une majorité qui n’a presque plus le droit d’affirmer ses valeurs et son identité de peur de froisser l’Autre. Partout où les droits fondamentaux sont bafoués, nous sommes concernées. Exprimons notre solidarité. D’autres lectures : – « En Égypte comme en Tunisie c’est le sort des femmes qui mesure la démocratie »
Mis en ligne sur Sisyphe, le 31 janvier 2011 |