‹‹Le vol est un vent chaud avant d’être une aile››
Bachelard
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Qu’est-ce qui prend tes paroles
Sous son aile et ta voix
Et les souffle jusqu’à mon oreille ?
C’est un courant d’air
Un tout petit courant d’air
L’air est un oiseau sur tes lèvres
L’air est un tout petit oiseau
Qu’est-ce qui soulève doucement
Les poitrines et les feuilles ?
Qui rend la vie si haute
Et si aérienne ?
C’est une brise passagère
Qui va qui vient
D’une génération à l’autre
Je respire donc je suis
Quand l’air ne tentera plus
De franchir mes portes
De chair et d’émail
Je n’existerai plus
Aurai-je droit
À un second souffle
Le temps de filer
Un petit air de flûte ?
Quel est ce sanglot long
Qui bouge dans ma gorge ?
Cet air de violon d’automne ?
Le fond de l’air est si chaud
Pourquoi brûle-t-il sur ma peau
Comme un drapeau rouge ?
Quel est ce vent léger
Transformé en ouragan
Est-ce là ce qui s’appelle
La passion des corps ?
Et nos baisers aéroportés
Comme un faisceau d’oiseaux
Lâchés dans nos paysages
Les font chavirer
L’air c’est mon berceau
C’est mon cerceau de marbre
Se balançant entre toi et moi
À la cime des arbres
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Hégéso suspend dans l’air
Le secret de son existence
Avertine respire un air
Chargé de nerfs et de roses
Sylvanie est en chute libre
Dans son inenfance
Sylvanie du beurre de plomb
Dans l’aile tombe
Sans fin dans le Troubli
Étroit et sans fond
Au crépuscule de sa vie
Minuscule
Quelle est la voie royale
De l’avion qui lévite
Et s’élance dans le vide ?
C’est ce coussin de liberté
Qui remplit tout l’espace
Au-dessus de la terre
De l’air De l’air !
Crie l’enfant
En train de naître
Après un long séjour
En apnée le long
D’un golfe obscur
De l’air De l’air !
Crie la baleine
De son haleine profonde
Surgissant hors de l’eau
Après une longue apnée
Dans les roulis de la mer
De l’air De l’air !
Crient des familles entières
Égarées dans les douches
Agglutinées comme des mouches
Suffoquant sous le poids
De l’atrocité humaine
Et de la haine
Passage obligé
Par la bouche par le nez
Dans le corps des ennemis
Qui vont s’entretuer
L’air se partage et se rompt
Comme le pain de la misère
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Est-ce la vaste respiration du vent
Qui fomente la dévastation
Les cyclones les tornades ?
Qui soulève les maisons
Déracine les arbres ?
C’est le libre espace en colère
C’est l’air qui ne se contrôle plus
C’est le vent violent qui tue
L’air c’est mon tombeau
Un grand oiseau au long cours
Une grande forme en mouvement
Un immense oiseau de proie
Une forme invisible ascensionnelle
Une force aveugle d’envergure
Qui ne rate jamais sa cible
Et cette autre forme invisible
Qui couvre les vivants
De son aile empoisonnée ?
C’est l’air délétère qui tue
L’air c’est mon tombeau
C’est mon suaire de suie
Le nez des parfumeurs
Le nez des goûteurs
Des dégustateurs
Des chevaliers du taste-vin
L’inspiration profonde
La lente expiration
Et des millions de bulles
Dans la tête
Et cet air de fête
Dans les champs dans les villes
Au premier souffle
Du printemps
Et par quels puissants
Vestibules aériens
S’insinue le chant
Mystérieux des baleines ?
Revue Le Sabord, #63, septembre 2002
Mis en ligne sur Sisyphe, le 11 décembre 2002