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mercredi 17 juillet 2002 « La vie en rose » devant le Conseil de presse du Québec
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Août 1986 N/Réf. : 86-02-08 Mmes Micheline Carrier, Lorraine Dagenais, Luce Harnois et Anne St-Cerny -c.- La vie en rose Le Conseil a terminé l’étude de la plainte de mesdames Micheline Carrier, Lorraine Dagenais, Luce Harnois et Anne St-Cerny, de la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN), contre le mensuel La vie en rose (LVR). Les plaignantes reprochaient à LVR d’avoir manqué à l’éthique professionnelle en commentant, dans un texte intitulé : "LVR au pilori" paru dans la livraison de décembre 1985 sous la signature de mesdames Ariane Émond et Gloria Escomel, une lettre non publiée qu’elles lui avaient adressée, de même qu’à divers groupes féministes, le 2 octobre 1985. Dans cette lettre, elles critiquaient l’orientation de la revue et donnaient les raisons pour lesquelles elles mettaient un terme à leur abonnement. Selon elles, ce texte interprétait leur lettre "de façon erronée, et de manière à préjuger le public lecteur" en les accusant injustement de s’être livrées au "terrorisme intellectuel" et au "moralisme culpabilisateur", "sans même fournir au public lecteur les moyens de vérifier lui-même ces allégations". Il les accusait de même d’avoir fait appel au boycottage de la revue. Ce texte dressait aussi un procès d’intention à l’une d’entre elles, soit madame Micheline Carrier, en insinuant que cette dernière les aurait incitées à signer la lettre dans le but de se venger de ses démêlés personnels antérieurs avec la revue. Il portait donc atteinte à leur intégrité professionnelle et personnelle et niait "insidieusement la responsabilité et le caractère collectif" de leur geste, en laissant croire qu’elles avaient été manipulées par madame Carrier. Le 12 décembre, les plaignantes, à l’exception de madame Carrier, adressaient une nouvelle lettre de protestation qu’elles demandaient à la revue de publier en l’accompagnant d’une note de rétractation dans laquelle LVR reconnaîtrait ses erreurs, notamment en ce qui concerne la confusion découlant du mélange de leurs lettres avec la correspondance personnelle de madame Carrier ainsi que sur les insinuations sur la FQPN. La vie en rose leur proposa plutôt une rencontre privée, en présence d’observatrices neutres pour vider une fois pour toute le débat, ce que les plaignantes ont refusé, et pour cause : le débat idéologique sur l’orientation de la revue pouvait fort bien se continuer en temps et lieu là où il avait commencé, c’est-à-dire "sur le terrain des idées et des opinions" et dans la revue elle-même ; le problème d’éthique soulevé en l’instance étant un acte public nécessitait aussi, selon elles, "un correctif public". Madame Carrier contestait pour sa part les agissements de la revue à son égard, y voyant une atteinte à sa réputation et à son intégrité professionnelle. Elle lui reprochait d’avoir publié des extraits d’une lettre non destinée à la publication qu’elle lui avait adressée le 6 juillet 1985. Dans cette lettre, elle énonçait ses désaccords avec l’idéologie de la revue, contestait "ses choix de publication et ses orientations" et ajoutait "des opinions à caractère plus personnel" sur ses relations avec elle. Ces extraits étaient "agencés de telle façon à laisser croire qu’il s’agit du texte intégral (il n’y avait pas les pointillés d’usage) et à donner un tout confus et différent tant par le contenu que par le ton". De plus, des phrases et des mots avaient été changés "de manière à atténuer et même, parfois, à changer le sens de (la) lettre et son objectif premier". Elle adressa donc une lettre de protestation dont elle saisit aussi des personnes et des groupes intéressés, en exigeant qu’elle soit publiée ; ce qui fut le cas dans le numéro de novembre. Cette publication fut toutefois accompagnée d’une réplique de la rédaction qui, selon madame Carrier, contenait insinuations à caractère personnel et procès d’intention. Le débat en serait resté là en l’absence de la parution, le mois suivant du texte "LVR au Pilori" qui la prenait personnellement à partie en laissant entendre qu’elle avait manipulé ses collègues de la FQPN en les engageant à signer la lettre du 2 octobre 1985. Comme la revue n’avait pas publié la réplique du 12 décembre de ces dernières, l’équipe de rédaction lui ayant en outre refusé une rencontre visant à dissiper la confusion, elle concluait que la revue,"pour des raisons obscures", cherchait délibérément à lui faire porter la responsabilité d’un geste collectif et à lui faire un procès d’intention public, nuisant ainsi à son intégrité et à sa crédibilité. Les rédactrices de La vie en rose expliquaient qu’il était possible qu’elles aient commis "quelques erreurs d’évaluation au cours de cette longue discussion publique" avec les plaignantes. Toutefois, affir maient-elles, "au fur et à mesure, nous avons pris en toute bonne foi les décisions qui nous paraissaient les meilleures, en tant qu’éditrices, mais aussi en tant que féministes (...)" Ainsi, avaient-elles choisi, "comme d’habitude pour la rubrique « Courrier », de publier l’extrait de la lettre du 6 juillet 1985 de madame Carrier qui lui semblait le plus pertinent et nouveau sur la question de la pornographie. Soucieuses également de montrer leur bonne foi, elles avaient publié intégralement la lettre de protestation de madame Carrier, profitant de l’occasion pour préciser par une note de la rédaction ce qui, affirmaient-elles,"nous semblait évident jusqu’alors de même qu’à toutes nos lectrices : compte tenu du nombre de lettres reçues et de la variété d’opinions émises, nous devons choisir et/ou raccourcir les textes à publier". Elles expliquaient, par ailleurs, que la lettre du 2 octobre 1985 dans laquelle les plaignantes donnaient avis de leur désabonnement leur était parvenue alors que la production du numéro de novembre était déjà terminée. Les accusations qu’elle contenait étaient en outre "très graves" dans le mesure où elles remettaient en cause "le fondement même du magazine" en l’accusant de réviser ses positions "dans un sens non féministe (...) dans le but d’accrocher une clientèle nouvelle, non féministe et/ou antiféministe", de faire "le jeu des adversaires de la lutte féministe", d’effectuer "un virage à droite", etc. Enfin, quelques jours plus tard elles apprenaient que cette lettre, contenant une incitation "à mots couverts" à se désolidariser du magazine, avait été transmise à plusieurs femmes et groupes de femmes. Devant l’ampleur que semblait prendre l’affaire, tel que devaient l’illustrer, entre autres, la publication de nombreuses lettres dans le bulletin féministe Communiqu’elles ainsi que le courrier et les commentaires qu’elles recevaient, elles avaient décidé de réserver un espace dans le numéro de décembre/janvier pour en traiter plus avant. Comme les lettres de la FQPN étaient trop longues pour être publiées in extenso, et craignant qu’on leur reproche de n’en publier que des extraits, elles décidèrent d’en résumer les arguments dans la première moitié du texte "LVR au pilori". Que ces arguments aient "déjà été exprimés par la publication (partielle ou intégrale) des lettres de madame Carrier", expliquait aussi pourquoi elles avaient identifié cette dernière, bien qu’il fut clair dans leur esprit que la démarche de la FQPN était un texte collectif comme le reflétait le texte où elles utilisaient les expressions "quatre travailleuses de la FQPN... ces femmes... la FQPN... elles". Elles disaient n’avoir aucunement voulu "insinuer que madame Carrier ait pu manipuler ses collègues de travail" ; mais comme celle-ci avait déjà manifesté sa colère à la suite de la publication d’extraits de sa première lettre, "de même que sa déception devant le peu de cas de son expertise féministe", elles s’étaient crues justifiées de penser "que cette colère ait pu influencer ses compagnes et déclencher leur solidarité, d’autant plus que leurs critiques de fond sont les mêmes, et s’expriment de la même façon dans toutes leurs lettres, individuelles ou collectives". Bien sûr, elles auraient pu nommer les trois collègues de madame Carrier et "employer un ton moins pamphlétaire". Il leur avait semblé urgent toutefois de répondre à "un mouvement de désaveu qui ne se limite pas aux quatre femmes de la FQPN" et avoir réitéré "le credo pluraliste du magazine". Quant à la lettre de protestation des collègues de madame Carrier, elles avaient décidé de ne pas la publier parce que les choses étaient "déjà allées trop loin". Le différend étant d’abord idéologique, elles proposèrent aux plaignantes une rencontre, en présence d’observatrices de l’extérieur, pour discuter le fond de leurs critiques dont elles étaient prêtes à publier le compte rendu. Comme les plaignantes exigeaient qu’une telle rencontre porte plutôt sur la non-publication de leur lettre de protestation de même que sur leur manque d’éthique professionnelle et qu’elles avaient refusé la présence d’observatrices, elles avaient décidé de retirer leur offre. Elles estimaient donc, somme toute, ne pas avoir commenté un texte non publié, mais avoir répondu plutôt à ce qu’elles et d’autres interprétaient comme une campagne de dénigrement contre leur magazine et leur groupe sans avoir aucunement dénaturé les récriminations de la FQPN. Plutôt, elles avaient "résumé des propos répétitifs" avant d’exposer leur version des faits à un public "déjà informé de celle de la FQPN, par lettres ou par Communiqu’elles, ou susceptible de l’être sous peu". Elles expliquaient aussi au Conseil qu’elles n’avaient aucunement insinué que madame Carrier avait incité ses collègues à écrire et à signer leur lettre de protestation. Plutôt, elles auraient établi un lien pour elles évident entre ses deux lettres et le désabonnement de la FQPN. Enfin, elles niaient avoir prêté à ce dernier groupe des intentions douteuses, ou de l’avoir accusé de lancer une campagne de désabonnement et d’appel au boycottage. Elles auraient plutôt relaté "des faits réels comme l’envoi massif" de l’avis de la FQPN en précisant que cet avis incitait "à mots couverts" au boycottage. Dans leur réplique, les plaignantes maintenaient que la revue avait manqué à l’éthique. Elles dénonçaient ses abus d’interprétation ainsi que ses procès d’intention. Reconnaissant l’existence d’un différend idéologique et les diverses réactions qu’il n’avait pu manquer de susciter dans le mouvement des femmes, elles considéraient qu’il ne pouvait pour autant justifier un tel comportement. Elles ne croyaient pas non plus que les groupes impliqués aient vu dans leur protestation un appel au boycottage qui, au demeurant, ne justifiait ni les attaques personnelles ni les procès d’intention. La décision de Communiqu’elles de publier leurs lettres ne pouvait non plus être invoquée comme preuve d’une campagne contre la revue. En ce qui concerne la rencontre proposée par LVR, elles se disaient "étonnées" d’apprendre que cette dernière songeait à en publier le compte rendu, chose qui ne leur avait jamais été mentionnée en aucune façon. Par ailleurs, elles affirmaient avoir transmis de façon formelle à la revue l’offre d’une rencontre avec madame Carrier. "Si LVR estimait que l’offre manquait de précision, pourquoi n’a-t-elle pas vérifié auprès de la personne concernée, se demandaient-elles ?" Appuyant cette version des faits, madame Carrier ajoutait avoir elle-même proposé à l’une de ses collègues de suggérer une telle rencontre, parce qu’elle ne voulait pas "que l’équipe soit tenue responsable des griefs que LVR nourrissait" à son endroit à cause de sa lettre du 6 juillet. C’est aussi en soulevant les mêmes objections que ses collègues sur le comportement et les justifications de LVR, que madame Carrier se demandait pourquoi LVR avait attendu trois mois après la publication de "LVR au pilori" pour proposer une rencontre "sur le différend idéologique" ? Quant au débat public engendré par leur démarche, elle soulignait que la revue elle-même l’avait également prolongé dans d’autres publications - entrevue à L’Autre actualité, texte dans le Montreal Mirror, demande d’espace à Communiqu’elles pour répondre à sa lettre - sans qu’elle ni ses collègues n’aient crié "à la campagne de dénigrement". Enfin, elle rappelait que ni ses collègues ni elle n’avaient demandé que leur lettre collective du 2 octobre soit publiée. Le tout serait donc "tombé dans l’oubli" si la revue n’avait pas publié "LVR au pilori" sans informer le public lecteur de leur point de vue. Il ne s’agissait donc pas de contester à LVR le droit "de publier ce qu’elle veut". Cependant, comme cette dernière avait plutôt "choisi de présenter une interprétation partiale de cette lettre et de faire porter l’attention sur la plus connue des signataires", il lui semblait évident qu’elle avait "délibérément détourné la controverse" sur sa personne. Après étude de ce dossier, le Conseil en est arrivé aux conclusions suivantes : Personne ne peut prétendre avoir accès de plein droit à la tribune des lecteurs d’un média. La décision de publier ou non une lettre relève de l’autorité rédactionnelle de ce dernier qui se doit de favoriser l’expression du plus grand nombre de points de vue possible. S’il décide de faire état d’une lettre, le média doit effectivement en respecter le sens. S’il décide de la commenter sans la publier, il se doit d’informer exactement ses lecteurs de son contenu de sorte que ceux-ci soient en mesure de porter, en toute connaissance de cause, leur propre jugement sur la question débattue. Or, dans le présent cas, le Conseil doit reprocher, d’une part, à La vie en rose d’avoir commenté, dans "LVR au pilori", la lettre du 2 octobre des plaignantes sans informer suffisamment ses lectrices et lecteurs de son contenu. Le résumé qu’elle en a fait aurait dû être plus complet et plus précis. Le Conseil s’étonne aussi que LVR ait cru devoir personnaliser le débat en question en le centrant sur l’une des plaignantes alors qu’il s’agissait manifestement d’une démarche collective. D’autre part, le Conseil ne perçoit pas la démarche des plaignantes comme un appel formel au boycottage contre LVR. Le Conseil, qui s’est toujours opposé à de tels appels contre les médias, regrette cependant qu’elle ait pu être perçue comme telle. Le Conseil estime enfin que LVR aurait dû faire état de la lettre de réplique du 12 décembre des plaignantes. À cet égard, le Conseil déplore que la revue ait mis fin au débat sans donner la chance à ses lectrices et lecteurs de prendre connaissance du point de vue des plaignantes d’autant plus qu’elle était elle-même partie au débat. Le Secrétaire général, Me Jean Baillargeon AB/JB/cv c.c. Mmes Micheline Carrier, Lorraine Dagenais, Luce Harnois et Anne St-Cerny, Fédération du Québec pour le planning des naissances Ariane Émond, Françoise Guénette, Lise Moisan et Francine Pelletier, La vie en rose Gloria Escomel - N.B. : Les parties au présent dossier peuvent faire appel de la décision auprès de la Commission d’appel du Conseil dans les trente jours suivant la date où elle leur est communiquée. Conseil de presse du Québec Décision LVR, Conseil de presse du Québec. |