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vendredi 12 juillet 2002

De Sisyphe et de la politique

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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La situation sociale, économique et politique du pays me semble illustrer avec à propos le mythe de Sisyphe. Des centaines de milliers de chômeurs, et parmi les plus vulnérables de la société, les jeunes et les femmes. Des dirigeants qui gaspillent l’argent de ce riche État pour défrayer les frasques financières de quelques investisseurs et hommes d’affaires téméraires. Des prêts sans intérêts et des subventions à des entreprises, qui menacent de déclarer faillite ou d’investir chez le voisin, et qui empocheront un jour l’argent de la collectivité en mettant tout de même la clé sur la porte tout en en blâmant les syndicats. Des pauvres et des désespérés croissent au rythme du cynisme des uns et de l’indifférence des autres. Ici, les profits sont d’ordre privé tandis que l’endettement est public.

Surtout, il existe un problème politique qui pourrit depuis plus d’un demi-siècle. Les étrangers ne perçoivent probablement pas le profond désabusement qui sévit au sein de la population. Au Québec, on expérimente avec tristesse l’impuissance d’une province qui aspire à devenir un État et qui n’en prend jamais les moyens. Un peuple dont une majorité clame son désir de liberté sans se décider à l’exercer. Le Québec roule sa pierre, de rencontres interprovinciales en palabres constitutionnels, répétant les mêmes discours usés que plus personne n’écoute. Cher Camus, y a-t-il plus grande punition des dieux que cet exercice « inutile et sans espoir » ?

La tristesse m’habite, soudain. Les rêves d’un peuple sont anéantis. Mais ce peuple, a-t-il vraiment cru en ses rêves ? Déjà, en1980, lors de la consultation référendaire, par la bouche même de ses représentants élus, il hésitait à se prendre en charge. Il fallait lire la question qui était posée. Elle demandait au peuple l’autorisation de demander la permission d’être libre...

Avons-nous déjà vu un prisonnier solliciter sa liberté auprès de ses geôliers ? S’il veut la liberté et ne peut attendre d’avoir purgé sa peine, le prisonnier s’évade. Mais le Québec est plus malpris qu’un prisonnier, il n’y a pas d’échéance prévue à son emprisonnement. Il continue de rêver que ses geôliers se rendront tôt ou tard à ses arguments et lui ouvriront la porte, simplement, civilement, vers la lumière. Ou bien est-ce là une feinte qui maquille la crainte de l’adolescent à la veille d’exercer pour la première fois sa liberté avec les responsabilités qu’elle comporte ? Le peuple du Québec n’ose pas s’évader, et je me demande s’il osera un jour.

Ma tristesse a une autre cause : tout ce qui est révélé, ces jours-ci, sur les tractations, avec les services de renseignements et les policiers canadiens, d’un homme de grande valeur pour lequel j’ai eu de l’estime. Comme d’autres, je suis sous le choc, mais peut-être pour des raisons différentes. J’accepte la version du principal intéressé jusqu’à preuve du contraire : au plus haut niveau des forces souverainistes et gouvernementales de l’époque, dit-il, il a cru déjouer l’adversaire et servir LA cause de sa vie. Quelle vanité ! Quelle témérité ! Don Quichotte a encore des émules. Ce qui me turlupine, cependant, c’est la raison pour laquelle, une fois son aventure terminée, le ministre n’en a pas prévenu ses collègues et son parti, ne serait-ce que pour leur permettre de voir venir...

Je comprends la colère et l’amertume de certaines personnes. Après tout, ces services policiers sont les mêmes qui ont arrêté, illégalement, des centaines de Québécois et de Québécoises lorsque le gouvernement libéral de ce pays eût suspendu les droits civils, en 1970, sous le prétexte qu’une poignée de terroristes faisaient les quatre cents coups.

Ce qui m’enlève mes dernières illusions au chapître de notre capacité de prendre et d’assumer notre liberté en tant que peuple, c’est que plusieurs estiment indispensables ces jeux politiques secrets. La real politik, dit-on. Si un peuple ne peut obtenir et garder sa liberté dans la lumière, il s’expose à n’importe quel chantage. Quels jours se prépare-t-il donc ? S’agit-il d’une liberté surveillée ? Naïveté, sans doute. C’est sur la notion de liberté, peut-être, qu’il y a malentendu.

Après bien des tourments, j’ai fait le choix en 1980 de ne pas exercer mon droit de suffrage lors du référendum sur la souveraineté. Je l’ai écrit dans un quotidien auquel je collaborais, ce qui m’a valu des inimitiés durables et des années de vache maigre. La question référendaire, à mon sens, ne conviait pas les Québécois et les Québécoises à se prononcer sur leur avenir, mais à autoriser un gouvernement à continuer d’y penser... Alors, je n’y voyais pas d’urgence, et j’ai mis dans la balance les droits sociaux et économiques de la population, en particulier ceux des femmes.

On aurait pu croire que ces dernières comprendraient mes raisons d’abstention et m’en sauraient gré. Plusieurs ont plutôt participé aux représailles. Oh ! bien sûr, on ne m’a pas dit clairement : On te boycotte pour cause d’abstention au référendum. Mais on a cessé de m’inviter dans les colloques et les conférences, on n’a plus sollicité ma présence à des assemblées générales d’organisme, et on m’a fait sentir que j’étais désormais une étrangère. On m’avait déjà étiquetée « radicale », ce qui revient à dire au Québec « dangereuse ».

Des portes se sont fermées dans le domaine du travail. Dans cette société où tout un chacun brandit à bon et à mauvais escient le droit à la liberté d’expression, on ne pardonne pas les dissidences. Il me semble, toutefois, qu’un droit n’a de sens que si on a la liberté de l’exercer. Autrement, ce n’est plus un droit, il devient une obligation.

J’ai assumé la responsabilité de mes choix, sans me traîner aux genoux de qui que ce soit. En silence. La même question posée cette année recevrait de moi la même réponse, mais mes motifs d’abstention seraient plus nombreux. Ce que je sentais profondément, en 1980, c’est que la souveraineté du Québec ne signifiait pas, dans l’esprit de ceux et de celles qui voulaient la gérer, une plus grande justice sociale, de nouveaux rapports économiques, des valeurs d’égalité et de partage pour les Québécois et les Québécoises. Elle signifiait se soustraire totalement à l’emprise fédérale, point à la ligne. Etre le plus fort pour être le plus fort.

Or, si je n’ai pas d’objection à soustraire le Québec à cette emprise, je demandais, et je demande toujours, la garantie que l’emprise des plus forts, au Québec même, ne limitera pas la liberté de certains groupes. On m’a répondu qu’une fois l’indépendance advenue, égalité et justice se feraient par magie, du seul fait que le Québec soit souverain. Apparemment sans volonté collective et politique. Ça, je n’y ai pas cru. On n’a qu’à voir comment, dans les limites de ses propres pouvoirs, le gouvernement québécois maintient l’inégalité entre hommes et femmes, entre les groupes de travailleurs qui exercent des fonctions équivalentes, entre les jeunes et les moins jeunes, entre les classes socio-économiques. Dans les limites de ses propres pouvoirs, a-t-il seulement essayé de répartir plus équitablement la richesse du Québec ?

Ce qui manque au Québec, comme d’ailleurs à la tête de la plupart des pays, c’est un homme ou une femme qui fasse passer les intérêts du peuple avant les siens et avant ceux des parvenus qui le courtisent. Un homme ou une femme qui a un vértiable projet de société. Non pas bêtement, comme certains pays en voie de développement, le projet de devenir aussi riche et aussi puissant que son oppresseur afin de dominer à son tour les autres.

Un projet qui voudrait éviter les abus du régime actuel et harmoniser les valeurs en cessant d’adorer le seul dieu Economie capitaliste. Or, ceux et celles qui défendent le projet souverainiste affichent un ego démesurément gros qu’ils nourrissent, qui par des livres écrits par eux-mêmes sur eux-mêmes, qui par des mises en scène démagogiques peu attrayantes. Que feraient ces gens une fois le Québec souverain ? J’ai peine à croire qu’ils serviraient mieux les intérêts du peuple.

Quel que soit le parti auquel ils appartiennent, après un mandat d’un an ou deux, la plupart des hommes et des femmes élus ne songent qu’à leur propre situation et à celle de leurs amis. C’est pourquoi je ne crois plus beaucoup à l’institution politique. Tout au plus une étincelle pétille-t-elle en moi quand j’entends, trop rarement, la parole d’un homme ou d’une femme qui s’élève pour demander : « La souveraineté, qu’est-ce qu’on va faire avec ? »



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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