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mardi 17 janvier 2012

L’Enchilada - En finir avec l’objectification de notre corps

par Annick Dockstader, lesbienne féministe






Écrits d'Élaine Audet



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Ce que je connaissais de Danielle Charest ? Honteusement pas grand-chose, tout comme des Amazones qui l’ont pendant quelque temps côtoyée. Et, pourtant, il s’agit d’une militante lesbienne, originaire de Sherbrooke, qui avait un discours politique lesbien et féministe radical, bien clair et direct.

Cette « touche-à-tout » est l’auteure de plusieurs romans policiers publiés aux éditions du Masque et Diesel Press (1). Co-fondatrice de la revue Amazones D’hier, Lesbiennes d’Aujourd’hui (AHLA) dans les années 80, elle nous envoyait jusqu’à tout dernièrement sa Lettrinfo (2) parce que le temps n’aura pas su adoucir l’ardeur de sa révolte. À la suite de son départ pour la France où elle y vivait depuis une vingtaine d’années, les lesbiennes du Québec l’auront pour une seconde fois perdue, cette fois définitivement : elle a été victime en octobre dernier d’une rupture d’anévrisme à l’âge de soixante ans.

Une soirée hommage a eu lieu l’automne dernier (3), deux semaines après sa mort, au centre gay et lesbien de Montréal. Une soirée qui devait lancer son livre, L’Enchilada, paru aux éditions Xie. Un ouvrage qu’elle co-signe avec Christine Aubrée, photographe plasticienne et lesbienne radicale. Un rassemblement qui aura finalement donné lieu à un témoignage collectif sur son caractère, sa personnalité et sa contribution remarquable. Je me suis donc faufiler en douce pour entendre ces passages de l’histoire des lesbiennes de Montréal, dans un moment de grande sensibilité avec celles qui n’ont toujours pas de lieu, pas de Bagdam Cafée à elles pour se réunir en de telles occasions.

Je me rappellerai de la voix de Danielle grâce à une entrevue réalisée en compagnie de Christine par "télédebout", projetée cette soirée-là. Une voix, à la fois douceur de sable par son timbre grave et brisée par la fumée de cigarettes. De Christine, c’est sa gestuelle qui me marque ; ses mains plus que ses lèvres à la recherche d’un mouvement qui puisse nous expliquer, faire image de ses propos sur sa réflexion de la représentation. Quel duo...!

Le livre de Danielle et de Christine, L’Enchilada, porte en lui - enfin, à mes yeux - un rapport entre le texte et l’image qui surpasse de très loin l’utilisation plate qu’en font les grands médias et la publicité. Je dirais même de celles des féministes en ce qui concerne certains de nos angles de vue bien limités pour dénoncer l’objectification du corps des femmes.

Ce livre, qui a été auparavant livre-objet, est un dialogue entre fiction photographique et fiction écrite : Danielle à l’écriture et Christine à la recherche de l’humain avec son appareil photo. Elles ont discuté et se sont influencées tout au long de leur création. Le tout jumelé crée une danse, comme un dialogue entre deux modes de communication où l’image n’est pas avalée ou au service du discours-mots. Comme c’est rare ! Rare de voir au fil de sa lecture des images qui ne se bornent plus à calquer l’histoire écrite. Elles arrivent à parler aussi d’elles-même. Cela déroute un peu. Il faut réapprendre à lire et à voir.

L’écriture de Danielle révèle des petits détails qui marquent l’existence des femmes. Elle les dévoile au fil de l’enquête d’une lesbienne parcourant le globe à la recherche d’une femme nommée Camille. Les femmes ne sont, dans toutes les villes du monde, que prénom associé au nom de famille d’un géniteur, femme d’un tel, passante, étrangère... Qui survit à un tel traitement et dans quel état ?

Les images de Christine sont, elles, une réflexion visuelle sur la représentation de l’humain. Comment représenter ce qu’on ne peut concevoir hors de nos référants de ce qu’est « un homme OU une femme ». C’est par la photographie qu’elle cherche cette forme qui ne peut être réduite à son cadre, ni à un simple cliché, une trace de l’« humain ». Est-ce pour cette raison qu’elle nous apparaît floue, parce qu’elle nous est encore hors d’atteinte ?

Il est vrai que j’avais déjà un faible pour une telle réflexion. Je n’endure plus les images jouant le rôle d’illustration plate des articles dans les journaux. Je suffoque de rage à voir des discours dits féministes reprendre et répéter des images sexistes. Comme si elles n’avaient plus soudain cette capacité de s’imprégner et encrasser notre tête du seul fait qu’elles soient accompagnée par un discours critique. Dans L’Enchilada, la critique n’est plus « qu’en réaction » aux images ou à la violence, elle est en action dans une recherche visuelle de ce qui existe (ou plutôt peut exister) à l’extérieur des limites mentales et des catégories homme ou femme conçues par le système. Et, à travers la narration (5) qui choisit une lesbienne comme personnage principal par laquelle Danielle Charest nous offre une réflexion indignée sur l’effacement des femmes. Que ça fait du bien.

C’est la différence entre être limité à la contre-attaque et courir. Elles viennent nous offrir une alternative aux histoires sexistes et hétéronormatives qui rendent invisibles notre existence. Elles le font à travers un point de vue particulier, en tant que lesbiennes certes mais aussi, par une stratégie différente que celle de rassembler des publicités sexistes en un mur de la honte, comme le font certains centres des femmes affiliés à des centres universitaires au Québec pour sensibiliser et dénoncer l’objectification du corps des femmes. Différemment aussi de la tendance à montrer des extraits de vidéos clips de Britney Spears, des Pussycat Dolls et des publicités mettant en scène des femmes objectifiées comme support visuel pour appuyer la pertinence et la justesse d’un discours féministe (6). Dans L’Enchilada, il existe au contraire, une suite dans la cohérence des valeurs féministes véhiculées par le visuel jumelé à la narration. Non plus seulement d’un discours parlé critique jumelé à des images à critiquer. Parce que Danielle et Christine développent leur propre langage de mots et d’images pour nommer et remettre en question la condition des femmes.

C’est une réflexion féministe sur la représentation qui tient compte du grand potentiel politique de la création. C’est ce que je souhaite tant voir se développer au sein du mouvement féministe et par les lesbiennes ici. Nous avons la preuve que l’on peut critiquer tout en éclairant la réalité de la violence que nous vivons et jusqu’au bout de manière créative à travers, cette fois, notre propre langage et notre propre regard sur les choses, qu’il soit visuel, écrit, sonore,... sans avoir à reprendre, sans publiciser, sans SE CONFONDRE avec l’angle de l’ennemi ; c’est-à-dire, tout simplement en rompant avec la pollution de notre imaginaire par les médias au service de valeurs patriarcales qui nous font tant mal.

Pour moi, c’est l’un des grands tours de force du duo Danielle et Christine. La recette de l’enchilada est là. Un exemple. Deux points de vue sur lequel prendre appui pour crier plus fort, allez plus loin. Agir plutôt que réagir. Vite ! Vite avant qu’on ne meure à notre tour... Le temps presse.

Il est possible de commander le livre L’Enchilada paru chez les éditions iXe via le site de Violette and Co (7) en France, Il est également disponible à la Bibliothèque Nationale du Québec et à la bibliothèque du centre communautaire gai et lesbien de Montréal.

 Christine Aubrée et Danielle Charest, L’Enchilada, Éditions iXe, collection iXe prime, France, 2011, 160 pages.

Notes

1. Pour en savoir plus, voir ces sites : fr.wikipedia.org/ - http://www.bagdam.org/, et ttp ://www.editions-ixe.fr/
2. Lettrinfo est une liste de nouvelles sur les luttes des femmes et des lesbiennes de plusieurs pays qu’elle diffusait par courriel.
3. Le 30 octobre 2011.
4. Le Lien vers l’entrevue en deux parties de télédebout : http://teledebout.org/
5. Une entrevue réalisée par Linda Gosselin sur son parcours et ses romans policiers est disponible dans les archives de la revue Fugues.
6. Référence au documentaire « Sexy Inc. » de Sophie Bissonnette et « Miss Representation » de Jennifer Siebel Newsom.
7. www.violetteandco.com/

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 janvier 2012



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