« Il est certain que,
dans la fantasmatique mâle,
le corps de la femme joue le rôle
de lieu privilégié
de l’attentat. » Alain Robbe-Grillet
Maud, 29 ans
Hélène, 23 ans
Nathalie, 23 ans
Geneviève, 21 ans
Michèle, 21 ans
Sonia, 28 ans
Annie, 21 ans
Maryse, 23 ans
Barbara, 22 ans
Anne-Marie, 21 ans
Anne-Marie, 27 ans
Barbara, 31 ans
Maryse, 25 ans
Annie, 23 ans
I
À l’enfant bien vivante
glissée dans ses pensées
ce lundi sans détours
qui marche vers la terre
où elle sera déposée dimanche
Il y a un être
malfaisant qui t’aime
ne détourne pas la tête
il vient de très loin
à ta rencontre il sait
que tu n’as pas peur de lui
Le coeur flambant neuf
la cervelle rongée
par vingt-cinq siècles de haine
il s’approche en héros
de ta calme jeunesse
Dans deux jours exactement
d’un glaive héroïque
tu seras taillée en pièces
c’est un premier geste
une préface à l’amour
quelques morsures
dans ta ligne de vie
d’où jailliront
éclats ahuris
tous tes regards
ta joie sans retour
ce flot ininterrompu
tout ton sang souterrain
faisant surface
II
À l’étudiante du mardi
massacrée le mercredi
mise en terre le jeudi
Ne t’arrête pas pour cueillir
trop rouges
les perce-neige de décembre
Il y a un jeune homme qui t’aime
vêtu de terreur blanche
Ne cours pas à sa rencontre
ne tremble pas à sa vue
Il ne cherche que l’effroi
Il n’a qu’un seul désir
voir monter dans tes yeux
l’absolu de la peur
Ce jeune homme est un lance-flammes
il te réduira en cendres
avant la tombée du jour
Il ne veut
que recueillir ton souffle
entre les pages de la nuit
le mettre en croix le vendredi
l’oublier le samedi
feuilletant
les paillettes glacées
de sa mémoire courte
tandis que ta courte vie
suintera comme une enfance
aux parois de tes rêves
qu’il aura abdiqués
à ta place
III
À la jeune femme du matin
qui sera fauchée
à cinq heures du soir
sa place est désignée déjà
sous la neige foulée
de son pas feutré
tu seras portée en terre
dans une voiture d’eau noire
glissant en pensée déjà
depuis l’aube à ta rencontre
entre les roses coupées
de cette semaine écarlate
Il y a un chacal qui t’aime
dangereusement
Il veut toucher ton coeur
et s’apprête aujourd’hui
à le cribler de balles
Hier il tentait de clore
le seuil de ta chair
avec l’anneau juridique
de son amour de fer
et sur ton corps juvénile
comme sur une armoire antique
il fit mettre les scellés
Tu es son ombre portée
de toute éternité
quoi qu’il fasse
Son amour féroce
est phosphorescent
dans l’obscurité du jour
C’est lui ou toi
C’est ta vie contre la sienne
C’est ton coeur contre le sien
IV
À l’écolière de la matinée
qui fait tranquillement ses écritures
et qui meurt de mort violente
l’après-midi
en récitant sa leçon d’histoire
truquée
Attention
il y a un garçon qui t’aime
éperdument
tu es en danger
Il est né de l’homme sans fin
de la nuit des hantises
acharné à te détruire
de fond en comble
depuis ton premier jour
Ton corps est la portion
privilégiée de l’espace
qu’il a choisie
pour t’anéantir
Il s’est donné pour mission
de nettoyer l’espèce
de ta tenace existence
Tu es en grave danger
dans ta salle de classe
alors que le soleil
se couche sur ta joue
Il est l’arme secrète
qui fait irruption
devant le tableau noir
et qui s’ingénie
à rendre le coup
mortel et la chute
interminable
Il t’interdit à jamais
de franchir cette porte
avec ton frère
le coeur battant
Publié dans Louise Mallette et Marie Chalouh (ouvr. coll.),
Polytechnique, 6 décembre, Montréal, remue-ménage, 1990.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 décembre 2004.