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lundi 5 décembre 2016

Quand un homme tue une femme

par Karen Ingala Smith






Écrits d'Élaine Audet



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Malgré tout ce qui divise les sociétés, nous avons en commun que la violence des hommes envers les femmes est normalisée, tolérée et dissimulée alors qu’elle est omniprésente.

Depuis le 25 novembre dernier, au moins 118 femmes et filles au Royaume-Uni âgées de plus de 13 ans ont été tuées par des hommes (ou dans des situations où un homme est le principal suspect).

Cela équivaut à une femme tuée par un homme tous les 3 jours.

J’ai consigné les noms de ces femmes et les détails de leur meurtre depuis janvier 2012 au moment de la création du Projet Counting Dead Women. Aujourd’hui, nous commémorons 653 femmes.

La violence létale des hommes contre les femmes au Royaume-Uni échappe aux frontières de classe, de race, de nationalité et d’âge. Au cours de la dernière année, la plus âgée des femmes tuées avait 85 ans, 18 avaient plus de 60 ans et 21 étaient âgées de 25 ans et moins. Elles comprenaient des coiffeuses, des écrivaines, des vendeuses, des femmes en prostitution, une politicienne, des avocates, des étudiantes et des écolières ; il y avait parmi elles des femmes nées en Érythrée, en Pologne, en Chine, en Italie et dans d’autres pays, et bien sûr des femmes nées au Royaume-Uni avec toute une gamme d’origines ethniques. La plupart d’entre elles, mais pas toutes, ont été tuées par des compagnons ou d’ex-compagnons, d’autres par des cambrioleurs, des violeurs, des voisins, des frères, des fils, des hommes qu’elles considéraient comme des amis ou des hommes qui payaient pour du sexe.

Beaucoup pensent à la violence conjugale, ou plus généralement à la violence familiale, lorsqu’ils ou elles pensent aux femmes tuées par des hommes. Ce point de vue est reflété et renforcé par les statistiques officielles. L’Office national de la statistique publie un rapport annuel sur les crimes violents commis au Royaume-Uni, dont les meurtres. Pour l’année qui a pris fin en mars 2015, l’Index des meurtres tenu par le Ministère de l’Intérieur a enregistré 518 meurtres, soit 186 femmes, 331 hommes et une victime de sexe inconnu / non déclaré.

Cette proportion de femmes victimes est la plus élevée enregistrée depuis 20 ans. Dix-neuf hommes et 81 femmes ont été tué·e·s dans des circonstances décrites comme des homicides entre partenaires ou ex-partenaires. Trente-et-une personnes ont été tuées par d’autres membres de la famille (violence au foyer ou familiale).

Mais qu’en est-il des 74 autres femmes tuées ? Qu’apprend-on à analyser le caractère genré de leur décès ?

Majella Lynch, 51 ans, est morte à l’hôpital après que l’on ait retiré de sa cavité abdominale une bouteille de shampoing de 400ml. Le procureur William Mousley, chargé du dossier, a déclaré que cette bouteille n’avait pu être insérée par la victime en raison de l’extrême douleur associée à cet acte. Mousley a précisé que son attaquant, Daniel McBride, 43 ans, un utilisateur habituel de pornographie « hardcore », était amateur de sexualité violente et « était à la recherche d’un rapport sexuel cette nuit-là après s’être querellé avec sa compagne et avoir été rejeté par une autre femme ». Yvette Hallsworth 36 ans, a été choisie par Mateusz Kosecki en raison de « sa faible constitution ». À 18 ans, Kosecki était déjà un prédateur endurci de femmes prostituées. Il avait déjà agressé au moins trois femmes qui vendaient du sexe avant d’assassiner Yvette Hallsworth, la poignardant 18 fois. À son procès, le juge Michael Stokes l’a décrit comme ayant « une fascination, sinon une obsession » pour les femmes prostituées.

Comment une perspective féministe de la violence infligée par les hommes aux femmes peut-elle négliger certaines femmes lorsque la misogynie patriarcale, la sexualisation violente et la chosification jouent un rôle aussi clair dans leurs meurtres ?

La prévalence de la violence envers des partenaires intimes (VEPI) est inégale à l’échelle mondiale. Les chercheuses Corradi et Stockl, 2014 ont examiné la relation entre la violence létale masculine à l’égard des femmes, l’activisme féministe et les politiques gouvernementales dans les pays européens depuis les années 1970. Elles n’ont pas trouvé de lien clair entre les taux de VEPI et les politiques gouvernementales. Par contre, elles ont observé que le militantisme féministe était un catalyseur crucial du changement, et qu’il était le plus efficace quand il était autonome du gouvernement.

« Depuis la fin des années 1960, écrivent-elles, l’activisme organisé des femmes a joué un rôle fondamental pour inciter l’État à lutter contre la violence faite aux femmes. » (Corradi & Stockl, 2014 : 605).

On estime que, dans le monde, environ 66 000 femmes et filles font l’objet chaque année de meurtres intentionnels. Il est difficile de comparer ces données pays par pays, en partie parce qu’il n’existe pas d’approche transnationale pour recueillir et désagréger les statistiques sur le meurtre en fonction du sexe des victimes et des meurtriers, mais globalement les femmes risquent beaucoup plus que les hommes d’être tuées par des partenaires intimes et leurs meurtriers sont presque toujours des hommes. Malgré tout ce qui divise les sociétés, nous avons en commun que la violence des hommes envers les femmes est normalisée, tolérée – et dissimulée alors qu’elle est omniprésente, et qu’il n’existe pas de mesures réellement proactives et profondément enracinées de la part de l’État pour protéger le droit des femmes à la vie.

Bien sûr, il est essentiel d’examiner la violence familiale et celle de partenaires intimes, qui va jusqu’au meurtre. Mais se limiter à ce contexte risque non seulement de masquer l’ampleur de la violence létale des hommes à l’égard des femmes, mais également d’occulter les différences sexuelles entre ces divers crimes. Au Royaume-Uni, les femmes sont plus de sept fois plus susceptibles d’être tuées par un homme que les hommes par une femme lors d’un meurtre commis par un partenaire intime.. Les hommes sont plus susceptibles que les femmes d’être tués par un partenaire de même sexe, et les antécédents de violence observés avant le meurtre diffèrent entre femmes et hommes, les hommes ayant tendance à infliger des mois ou des années de violences aux femmes qu’ils finissent par tuer, alors que les femmes ont tendance à avoir vécu des mois ou des années de violences de l’homme qu’elles en viennent à tuer.

Les réponses à la violence masculine envers les femmes qui s’en tiennent presque exclusivement à préconiser « des relations saines », un soutien aux victimes-survivantes et une réforme du système de justice pénale ne vont simplement pas assez loin. En fait, la violence des hommes à l’égard des femmes est une cause et une conséquence de l’inégalité sexuelle entre les femmes et les hommes. La chosification des femmes, l’industrie de la prostitution, la construction sociale des stéréotypes sexuels, les inégalités de salaire et la répartition inéquitable des responsabilités de soins aux autres sont toutes symptomatiques d’une inégalité structurelle, qui maintient un contexte propice à la violence des hommes envers les femmes. Les féministes le savent et nous le disent depuis des décennies.

L’une des principales réalisations du féminisme est d’avoir mis en lumière la violence des hommes à l’égard des femmes et de l’avoir imposée aux programmes politiques. Une des menaces qui pèsent sur ces réalisations est que les détenteurs du pouvoir s’emparent de ces concepts et, sous prétexte de pallier le problème, en chassent certains des éléments les plus élémentaires d’une compréhension féministe. Les initiatives étatiques qui ne sont pas imbriquées dans des politiques d’égalité entre les femmes et les hommes ne permettront pas de réduire la violence des hommes contre les femmes. Ne pas même nommer l’agent, c’est-à-dire le recours des hommes à la violence, équivaut à échouer dès le premier obstacle.

Travaillant en partenariat, le projet Counting Dead Women et l’organisation Women’s Aid Federation England ont mis au point, avec le soutien de la firme Freshfields Bruckhaus Deringer et Deloitte, un projet intitulé The Femicide Census (Recensement des féminicides), une base relationnelle de données qui permet d’assembler et de désagréger des données pour analyse. Il contient actuellement des renseignements sur plus de 1000 femmes ayant été tuées par des hommes entre 2009 et 2015. Nous souhaitons bâtir une ressource de recherche qui puisse être utilisée comme un outil pour influencer la compréhension du problème et l’élaboration de politiques. Nous publierons bientôt notre premier rapport. En septembre, notre travail a été cité comme exemple de bonne pratique dans un document de la Rapporteuse des Nations Unies chargée de la violence contre les femmes.

Les féministes ont commencé à compter les meurtres de femmes et à dénombrer des féminicides au Québec, en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande et en dénombrant des femmes autochtones tuées. Il existe des actions féministes contre le féminicide sur tous les continents, notamment dans des pays comme l’Argentine, le Pérou, l’Italie, l’Espagne et l’Inde.

Des femmes du monde entier inventent divers moyens de protester contre les meurtres de nos sœurs. En enregistrant les noms des femmes et, si possible, leurs photographies, nous voulons créer un rappel constant que les femmes ne sont pas réductibles à des statistiques.

653 femmes en 5 ans mortes aux mains des hommes au Royaume-Uni ne peuvent pas être 653 incidents isolés. Des mesures sont nécessaires et des mesures peuvent être prises pour réduire le nombre de ces meurtres.

 Version originale publiée sur le site d’openDemocracy : "When a Man Kills a Woman", le 27 novembre 2016.

À propos de l’autrice : Karen Ingala Smith est directrice générale de nia, une organisation caritative féministe qui soutient les femmes ayant vécu de la violence sexuelle et familiale. Elle coordonne le projet Counting Dead Women et est co-créatrice du Femicide Census avec Women’s Aid Federation England.

* Traduction française par Martin Dufresne, publiée d’abord sur TRADFEM.

* TRADFEM, page d’accueil.

* Voir aussi "27 ans après le massacre de l’École Polytechnique : 1056 femmes et enfants tuées par des hommes en tant qu’hommes au Québec

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 décembre 2016



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Karen Ingala Smith


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