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samedi 6 juillet 2002 Privatiser les services de santé, un pis-aller
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La privatisation tout azimut des services de santé est une tentation d’individualistes bien nantis, qui peuvent se payer des assurances privées et souhaitent se dégager de toute responsabilité sociale collective. Il n’existe aucune preuve que ces services coûteraient moins cher s’ils étaient gérés par l’entreprise privée.
Les États-Unis, où c’est le cas, déboursent per capita davantage que le Canada pour la santé. De plus, entre 25 et 35 millions de personnes aux États-Unis n’ont pas accès à des services de santé parce qu’elles ne gagnent pas assez pour se payer une assurance, mais gagnent trop (le minimum) pour être admissibles au programme fédéral Medicaid. Il y a quelque chose d’illogique dans cette idée que l’entreprise privée peut offrir, à quantité et qualité égales, des services de santé à moindre coût . Par nature, l’entreprise privée a pour objectif, légitime notons-le, de réaliser des profits au moindre coût. Lorsque ses profits fléchissent et que ses actionnaires en sont mécontents, elle réduit la main-d’œuvre, les salaires et les services. Si elle agissait ainsi dans le domaine de la santé, elle éloignerait la compétence et l’expérience et se trouverait confrontée aux mêmes pénuries que le système de santé public actuel. Elle réclamerait alors plus d’argent de l’État pour attirer le personnel compétent et payer les salaires et primes diverses des gestionnaires : après tout, il faut rester concurrentiel et attirer les « meilleurs éléments ». C’est le leitmotive de l’industrie. On déplacerait donc simplement le problème, en transférant l’argent de modestes contribuables à des actionnaires et des gestionnaires. L’État accèderait-il plus volontiers aux demandes de fonds de l’entreprise privée qu’il ne le fait aux demandes des hôpitaux et des CLSC ? Agirait-il comme il l’a fait dans le domaine de l’assurance-médicaments, en accordant des tarifs plus élevés aux compagnies pharmaceutiques, ainsi qu’aux pharmaciens et pharmaciennes ? Conséquences : les médicaments coûtent de plus en plus cher et l’État a plus que doublé les primes réclamées aux contribuables. L’État augmente donc les primes pour subventionner les profits de l’industrie pharmaceutique. Il joue le rôle de simple entremetteur pour le transit de l’argent des poches des contribuables à celles de l’industrie pharmaceutique. Et l’explosion des coûts de santé ?On invoque toujours le vieillissement de la population pour expliquer l’explosion des coûts de la santé. Comme on n’a pas le contrôle sur le fait de vieillir et que les citoyens et citoyennes âgés ont droit, comme tout le monde, aux services pour lesquels ils paient ou ils ont payés, il vaudrait mieux se soucier davantage de facteurs qu’on peut contrôler : le coût des médicaments, plus élevé au Québec qu’ailleurs au Canada, à cause d’une politique qui favorise l’industrie des médicaments d’origine ; le développement de haute technologie médicale, pas toujours utile ni supérieure aux traitements conventionnels ; et le mode de paiement des médecins, qui encourage la multiplication des actes médicaux. C’est dans ces domaines que doivent se faire les choix. Or, nous ne semblons pas du tout engagés sur cette voie. Avons-nous besoin à Montréal de deux centres hospitaliers universitaires de luxe, un anglophone et un francophone, équipés tous les deux de la plus coûteuse technologie et qui auront la même vocation ? Ne devrions-nous pas reconnaître que les faveurs fiscales et autres subventions accordées à l’industrie de médicaments d’origine servent moins à la recherche et à la création d’emploi qu’à la promotion ? Enfin, il y a les réformes inachevées. Un grand nombre de malades ne se retrouveraient pas à l’hôpital, ou y séjourneraient moins longtemps, si le gouvernement du Québec avait donné aux CLSC les sommes promises et nécessaires pour adapter leurs services au virage imposé. Le Québec alloue moins d’argent que l’Ontario aux services à domicile, et la moitié seulement de ce qu’y investit le Manitoba. Résultats : des gens entrent plus tôt en institution, ce qui entraîne des coûts additionnels. Comme il n’y a pas assez de places dans les Centres hospitaliers et de soins de longue durée (CHSLD), ces personnes se retrouvent dans les hôpitaux dont ils contribuent à alourdir les budgets et les déficits. Si on leur offrait des services à domicile appropriés, elles resteraient chez elles le plus longtemps possible et l’État ferait des économies à moyen et à long terme. Quant à réviser le mode de paiement à l’acte des médecins, qui encourage la multiplication des actes, celui ou celle qui s’y frottera au Québec signera propablement son suicide politique. Loin d’envisager pareille mesure, on débloque périodiquement des fonds nouveaux dès qu’un groupe ou l’autre de médecins menace de faire une journée d’étude. On a même donné aux médecins, l’an dernier, les sommes (27 millions$) qu’ils n’ont pas dépensées dans le budget global alloué à leurs services. Ils ont donc reçu une augmentation six mois plus tôt que prévu, et le ministre de la Santé trouvait la chose juste et raisonnable. Ce montant aurait été plus utile dans des secteurs en souffrance, par exemple, la réhabilitation. Reste la question des actes délégués et de la redéfinition du rôle des infirmières. Des infirmières accomplissent des actes médicaux pour lesquels les médecins sont payés, ce qui est une aberration. En Ontario, on a transféré certains actes médicaux aux infirmières qui sont habilitées, en autres, à faire certains diagnostics (on a créé une nouvelle classe d’infirmières cliniques, qui reçoivent une formation en conséquence). Au Québec, le Collège des médecins et l’Ordre des infirmières feraient des expériences pilotes en ce sens. Mais la résistance est forte au sein de la profession médicale. Il y a, enfin, l’attitude méprisante du gouvernement fédéral qui accumule les surplus budgétaires à même l’argent des contribuables, mais qui ne retourne aux provinces qu’une fraction de ce qu’elles ont besoin pour la santé. L’État fédéral au Canada est devenu un ogre avide de tout ce qui est à sa portée. Malheureusement, la gestion des sommes qu’il recueille est plus que douteuse, comme l’opposition en fait régulièrement la preuve aux Communes. Quand on aura examiné tous ces facteurs, on pourra ensuite envisager, si c’est nécessaire, de désassurer ceci ou cela. Quels malades seront jugés prioritaires ? Les grands cardiaques, les personnes atteintes du cancer ou du sida, et quels groupes d’âges ? Je ne voudrais pas avoir à trancher la question. Les choix de sociétéTout est affaire de choix de société. Une population se donne un gouvernement et le charge de recueillir des sommes (taxes et impôts) pour s’offrir des services collectifs. La santé et l’éducation sont estimés, au Québec, les deux priorités absolues en matière de services publics. On peut exiger du gouvernement ou bien qu’il réduise les impôts et les taxes presque à néant et accepter la réduction des services collectifs ; ou bien qu’il investisse dans la vie en favorisant la santé, l’éducation, l’environnement et la sécurité sociale, et accepter d’en payer le prix. À ceux et à celles qui se scandalisent des coûts de la santé et de l’éducation, je demande : Pourquoi ne vous élevez-vous pas contre la distribution de subventions (des milliards par an) par l’État à des entreprises privées qui n’ont pas de compte à rendre à la population et dont plusieurs déménageront chez les voisins (pour toucher d’autres subventions) lorsque leurs actionnaires seront insatisfaits des rendements qu’ils réalisent ? Est-ce parce que le pouvoir de l’argent vous intimide ? Soumettre la santé aux lois du marché revient à en faire une marchandise soumise aux caprices de la bourse. Est-ce bien ce que nous voulons ? La qualité des services n’y gagnerait certes pas et le travail des personnels de la santé (sauf certains médecins spécialistes, peut-être, considérés comme entrepreneurs privés) s’en trouverait dévalué. En quoi la société québécoise et canadienne serait-elle plus avancée ? La privatisation tout azimut des services de santé est une tentation d’individualistes bien nantis, qui peuvent se payer des assurances privées et souhaitent se dégager de toute responsabilité sociale collective. Ceux-là réclament à corps et à cri des réductions d’impôts pour se payer encore plus de services. Peu importent les autres. |