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mardi 4 avril 2006 Caricatures de Mahomet : ça suffit, la complaisance et l’hypocrisie !
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Lasna « khairu ummatin ukhrijat linnas » (1) Il va falloir se regarder en face et se poser une question incontournable aujourd’hui : Quel monde voulons-nous pour nous-mêmes et pour nos enfants ? Qu’est-ce qui fait qu’on se lève tous les matins et qu’on se recouche avec l’envie de continuer ? Je fais partie de cette masse « dite silencieuse », pourtant je n’arrête pas de gesticuler dans tous les sens et, depuis bien longtemps maintenant, je ne suis pas silencieuse mais seulement « invisibilisée », car n’ayant pas de scoop à vendre à nos chers médias friands de faits divers de toute nature, spécialistes de la surenchère et de la mise à prix des têtes. Je ne suis victime de RIEN, pas de mariage forcé à clamer, pas de menace reçue, pas de prison dans mon palmarès, pas de torture, RIEN de sensationnel du moins, et pourtant j’ai beaucoup de chose à dire et surtout l’envie de déplacer des montagnes pour bâtir « un monde autre ». Aujourd’hui, la crise qu’on traverse me semble grave, elle ne se situe pas sur le terrain du rationnel, mais sur quelque chose de mouvant et qui prend la forme qu’on veut bien lui donner. Qu’est-ce qui vient de se passer et pourquoi les foules sont-elles déchaînées et contre qui en définitive ? Mahomet a eu ses caricatures, mais toutes les religions y sont passées déjà. Jusque-là rien d’insurmontable. Là où il est, il n’en est pas à ça près. Le recul est indispensable dans cette cacophonie, entre temps des évènements bien plus graves sont en train de se produire partout dans le monde dans une quasi-indifférence. Famines, guerres, occupations, tortures... Posons-nous la question : à qui profite tout ceci ? Trois chefs d’orchestre conduisent cette symphonie amère. Bush et les xénophobes Bush et ses acolytes, à qui on dresse un tapis rouge pour continuer leur projet destructeur et qui ont tout intérêt à ériger des murs. Les xénophobes de tous bords qui vont pouvoir recruter à tour de bras en brandissant leurs discours de haine et en légitimant leur propos par l’exhibition d’une image qui fait le tour du monde, une foule déchaînée contre un dessin. Le caricatural réside aujourd’hui dans cette réponse disproportionnée, dans cette mascarade qui dure depuis des jours et des jours et qui, quelle que soit l’offense ou la blessure, ne sont pas explicables. En observant les images, je suis horrifiée par l’ampleur des frustrations. Je n’y vois pas seulement de la contestation, mais un cumul de frustrations et un ras le bol, un cumul d’humiliation et de soumission : humiliation subie au quotidien par les pouvoirs en place qui n’ont que mépris pour leurs peuples, blessure béate à court de « cicatrisant ». Les fanatiques et les régimes arabes Les deuxièmes chefs d’orchestre sont indéniablement les fanatiques de tout bord qui vont pouvoir asseoir leur méthode et conforter leur pouvoir. Mais aussi, tous ces régimes arabes qui sont dans l’impasse aujourd’hui, qui traversent des crises, instrumentalisent et orchestrent même toutes ces manifestations afin de détourner et dévier les luttes, afin de faire paraître un faux ennemi comme le véritable danger qu’il faut attaquer. Entre temps, les Égyptiens ne demanderont pas de compte sur leur millier de morts qu’ils ne pourront même pas enterrer, les chômeurs continueront à sillonner les rues rêvant d’un ailleurs meilleur et le narguilé continuera à consumer les braises de tous les espoirs d’un peuple vivant par procuration. Le ciel n’est pas plus dégagé ailleurs, dans nos contrées ; la Syrie, chantre de la censure et de la répression, où les manifestations sont interdites, libère ses rues et orchestre les foules, les détournant de leurs véritables ennemis, le pouvoir qui confisque leur liberté, qui muselle toute contestation depuis des décennies. Ailleurs, le même constat amer est à faire. Un avortement thérapeutique à grande échelle est pratiqué à l’encontre des peuples, des pays où on pourchasse le soupçon d’embryon avant même qu’il ne voie le jour. On fait avorter les idées, la différence, la contestation, la créativité, la joie de vivre... et tout ceci sans anesthésie, bien sûr, les cris des avorté-es servant de repoussoir à ceux qui n’auraient pas encore compris que leur salut passe par leur silence. N’oublions pas cet adage : « le désordre appelle à l’ordre » et l’instauration de cet ordre justifiera toutes les nouvelles restrictions. Tout ceci n’est qu’une mascarade superbement orchestrée et une attaque en règle contre la liberté d’expression qui représente leur pire ennemi, ne l’occultons pas. Aujourd’hui, ils expriment collectivement leur volonté de maintenir leurs pays en marge de la modernité et de ce qui se passe dans le monde comme bouleversement et d’entretenir la répression et l’oppression. Les populations prises en otage Des populations prises en otage entre ces régimes arabes qui rivalisent de totalitarisme et des enturbannés qui minent toute la société, et même ceux qu’on désigne comme « modérés » ne valent pas mieux. Leurs turbans abritent la haine de la vie, ils se taisent lorsqu’il faut faire preuve de responsabilité car ce sont eux qui récoltent le plus derrière les semeurs de violence et derrière les arrogants qui méprisent les uns et des autres. D’ailleurs, il ne me semble pas que les musulmans aient été pris à partie par les bouddhistes lorsque les talibans ont fait sauter les statues de Bouddha en Afghanistan et je n’ai pas vu non plus une seule dénonciation de la part de ceux qui s’autorisent à parler au nom de tous et se sont érigés en intermédiaire là où l’islam le proscrit. Je n’ai pas vu pleuvoir leurs communiqués pour dénoncer tous ceux qui aujourd’hui contribuent à attiser les violences et les haines. Ils tiennent un discours tiède, justifiant l’absurde, ils sont bien plus soucieux de préparer au mieux leur propre offense. Ils avancent dans l’ombre de tous avec la bénédiction de tous les puissants de ce monde. Hier, ces derniers se sont affichés avec les moins fréquentables d’aujourd’hui, mais ils récidivent et ouvrent une nouvelle brèche afin de tailler un costume sur « mesure » prenant le risque de s’étouffer de nouveau et surtout risquant d’étouffer des hommes et des femmes qui n’aspirent qu’à une chose, VIVRE. Un mouvement de libération des têtes, prises en étau par des turbans, serait salvateur en ce moment, aérer des cerveaux fossilisés par des inepties et luttant contre les désirs, les plaisirs et tout signe de vie. Mais ne rêvons pas, on est encore loin de cette ère. Censure et répression Les prisons arabes regorgent de prisonniers d’opinion, des textes sont en permanence censurés, découpés, revus et corrigés selon la volonté du prince, sans parler de toutes les demandes d’autorisation de publier ou ouvrir une radio libre qui atterrissent sur les bureaux des ministères de l’Intérieur et dont les auteurs reçoivent un refus non justifié. Au même moment, la presse arabe regorge de caricatures de juifs et de chrétiens, avec des amalgames et des allusions rivalisant de mauvais goût et à chaque parution, à ma grande surprise, ce fut le silence, un silence assourdissant. L’argument de la politique du « deux poids deux mesures », brandi en permanence, fonctionne dans les deux sens. Le courage consiste aujourd’hui à se gratter le nez et d’en récurer les insanités aussi. La quasi-totalité des médias sont à l’image des chefs d’orchestre, et des deux côtés de la méditerranée, les uns font dans le sensationnel, se désolidarisant de leurs confrères de l’autre côté, qui sont condamnés à faire les béni-oui-oui et à reproduire les dépêches européennes et communiqués officiels. Le peu de gens qui font de la résistance passent plus de temps en prison que dans une rédaction et souvent ils abdiquent et jettent l’éponge devant les montagnes qu’ils doivent soulever. De toute façon, à quoi sert un journal qui ne peut être vendu librement ? La responsabilité de l’Occident À quand un sursaut en Occident aussi, qui lui permettra un jour d’écouter toutes ces voix étouffées qui rêvent de démocratie et de liberté ? Va-t-il continuer à faire une alliance avec les minorités opprimantes sans donner la parole à ceux qui luttent ? C’est cette liberté-là que j’ai envie de porter, celle des jeunes qui ne rêvent que de départ et qui mettent en péril leur vie tous les jours, d’intellectuels muselés, de femmes ensevelies sous des couches « de cache-sexe » et travesties en sarcophages rivalisant avec ceux qui illustrent « les Jules Verne ». Je n’ai plus envie de voir la peur sur les visages, la tristesse et la désolation ravager les sourires qui restent figés dans une posture hideuse, celle de la peur et de la soumission. Je n’ai plus envie de voir un enfant chuchoter lorsqu’il fait un commentaire sur son environnement, ayant déjà intégré la peur et la paranoïa dans lesquelles il vit. Je n’ai plus envie de taire mon envie de vivre, mon envie de gerber toutes les inepties auxquelles j’assiste et qui ont fini par tisser une toile autour de moi, je n’ai plus envie de taire mes désirs de liberté. Je veux pouvoir mourir en ayant connu la liberté de dire, d’écrire, de chanter, de dessiner, de m’exhiber, de pleurer, de scander tout ce qui me vient à la tête sans crainte. Le goût de la liberté Je ne veux plus me censurer comme des milliers de gens aujourd’hui, de peur que les uns ou les autres s’en servent afin de créer de la haine et élever des murs. Ma seule préoccupation aujourd’hui est de soulever la véritable question, celle de la liberté d’expression, et au-delà, celle des libertés. Libertés aujourd’hui confisquées, détournées, muselées... M’affranchir est ma seule revendication. Les trois chefs-d’orchestre contribuent à un même projet, celui de réduire encore plus nos libertés, ils partagent le même idéal, celui d’apprivoiser les peuples et de les « cloner » à leur image. J’ai envie de détourner les paroles de Ali Riahi (2) et de me les approprier afin de lancer un appel, ce chanteur qui, toute sa vie, a eu à faire face à l’intolérance et a résisté en chantant la liberté : « illi fat ma tfakkar fih - elmadhi ‘omro ma ‘o :d - elmustabl rahu lina - yakfik lahza :n - fi qalb jruh - a’tif ‘ala huznik ... » « Ne pense pas à ce qui s’est passé - le passé ne revient jamais - l’avenir est pour nous - ça suffit, la tristesse et les blessures dans le cœur - aie pitié de ta tristesse... » Oui, il me semble qu’il est temps de se regarder en face et de nous poser la question fondamentale : Quel monde voulons-nous ? Notes 1. Nous ne « sommes pas le meilleur peuple apparu sur terre. » Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 mars 2006. |