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samedi 17 janvier 2015

Charlie Hebdo - 4e anniversaire de la Révolution tunisienne sur fond d’attentats terroristes en France

par Monia Mouakhar Kallel, professeure à l’Institut supérieur des Sciences humaines de l’Université de Tunis






Écrits d'Élaine Audet



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Le 14 janvier 2015, le quatrième anniversaire de la révolution tunisienne a été célébré au pays dans un climat de tensions et de malentendus. Le terrorisme est à nos portes en Libye, écrit la professeure Monia Kallel. Il fait des ravages, notamment auprès des jeunes gens recrutés massivement pour aller combattre en Syrie. Quatre jours avant la tragédie de Charlie Hebdo, un policier tunisien a été égorgé vif par les islamistes.

Les attentats terroristes survenus en France se sont retrouvés au coeur des débats en Tunisie. La plupart des proches de l’auteure condamnent le terrorisme, mais se montrent très critiques à l’égard de la liberté d’expression qui donne des journaux comme Charlie Hebdo. Cette ambivalence dans les débats a inspiré cet article.

*

En ce jour historique du 14 janvier 2015, les débats sur la Révolution tunisienne, sur la République et ses valeurs fondatrices (liberté, égalité, citoyenneté) se mêlent au débat autour de Charlie Hebdo, qui publie aujourd’hui son premier numéro après l’attaque terroriste.

Les commentaires et les opinions se suivent, se complètent, s’affrontent, ou s’excluent. Mais tous condamnent, sans réserves, l’acte barbare des "frères" islamistes (et non musulmans) et tous le mettent en rapport avec la question de la "liberté d’expression".

Posé en ces termes, le drame de ce qu’on surnomme "le 11 septembre français", suscite trois types de réactions. Il y a des gens qui défendent la liberté d’expression et s’approprient volontiers le slogan "je suis Charlie". Il y a ceux qui sont favorables à la liberté d’expression à condition qu’elle respecte leurs idées et leur sensibilité. Enfin, il y a ceux qui soutiennent la liberté d’expression, mais qui n’acceptent pas celle de Charlie Hebdo jugée vulgaire, grossière et provocatrice...

Ces réserves, ces fines nuances appuyées par de soi-disant « exemples-preuves », sur l’intention première des patrons du journal, sa dérive, son arrière-plan idéologique (sionisme, islamophobie, racisme, haine...), selon certain-e-s, ne doivent pas nous faire oublier une réalité : la liberté d’expression, de croyance et de comportement est forcément choquante, et les gestes libres ont toujours été perçus comme des scandales ou associés à eux.

L’Histoire, occidentale et orientale, est saturée d’exemples.

En ce jour mémoriel, j’ai une pensée particulière pour Tahar Haddad (1), ce zitounien, devenu l’emblème de la libération de la femme tunisienne, a été violemment critiqué de son vivant. Son livre Notre femme dans la législation islamique et la société (1930), dans lequel il a développé une lecture à l’encontre des idées admises, provoque un véritable tollé et lui attire la foudre des dignitaires et des fouqahas (docteurs de droit musulman).

Les actes libres sont en rupture avec le sens commun et suscitent des réactions vives et radicales.

Il est, par conséquent, regrettable de voir la polémique autour de Charlie Hebdo devenir une polémique sur la liberté, ses conditions et ses limites, ses partisans et ses garde-fous.

La liberté, fondatrice des démocraties modernes, est une valeur universelle, pensent les philosophes des Lumières. Elle est un instinct qui définit l’humain. selon le Pr Yadh ben Achour.(2)

Dans l’affaire de Charlie Hebdo, le thème de la liberté d’expression est, en réalité, l’arbre qui cache la forêt.

À la base des désaccords figurent des écarts au niveau de la représentation, et des rapports à l’image, à la caricature, au rire, à l’humour, à l’humeur.

Est-ce que l’image et la bande dessinée qui, selon Roland Bathes (3), inspirent la suspicion en raison de son association au jeu et au manque de sérieux, sont bien adaptées au questionnement du sacré ? L’image et le rire qui, à la différence du langage verbal, s’adressent directement à l’émotion, au corps, sont-ils les moyens propices au traitement des questions complexes comme la religion, la croyance, Dieu et les prophètes ?

"Le rire est le propre de l’homme", disait Rabelais (4), mais est-ce qu’on rit de la même manière, et des mêmes choses ? Est-ce que les voies/voix du rire se rencontrent ?

Il est connu que l’humour, et ses multiples variantes, sont étroitement liés à la situation d’énonciation.

Dans un monde qui, sur le plan virtuel et médiatique, devient une petite communauté, et qui, par ailleurs, connaît des clivages de plus en plus prononcés, dans un monde qui voit se propager les belles idées et qui continue à se maintenir par l’injustice et la politique des deux poids et deux mesures, il semble que les voies de la communication se rétrécissent.

Que dire des voies du rire et de la foi ? N’est-il pas significatif que les attaques (au sens propre et figuré) les plus violentes contre les dessinateurs de Charlie Hebdo leur viennent de leurs concitoyens, les musulmans de France ?

Notes

1. Un zitounien est un adhérent à la Zitouna, une institution spécialisée dans l’enseignement de la théologie et de la pensée islamiques. La Zitouna est l’une des écoles les plus anciennes (fondée aux alentours de 730) et les plus prestigieuses du monde arabo-musulman. Dans son livre Notre femme dans la législation islamique et la société (1930), Tahar Haddad y développe, en s’appuyant sur de nombreuses citations du texte saint de l’islam, une lecture moderniste du Coran, « montrant que ce texte fondateur ne contient pas de prescriptions interdisant l’émancipation de la femme ».
2. Yadh Ben Achour, né le 1er juin 1945, est un juriste tunisien, spécialiste des théories politiques islamiques et de droit public.
3.
Roland Barthes (1915-1980), auteur, sémiologue et critique littéraire français.
4. François Rabelais (1483 ou 1494 – 1553).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 janvier 2015



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Monia Mouakhar Kallel, professeure à l’Institut supérieur des Sciences humaines de l’Université de Tunis



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