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dimanche 25 janvier 2009 Réconcilier les garçons avec l’étude et les filles avec l’activité physique
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Les garçons et les études Très souvent, lorsqu’on cherche des solutions pour intéresser les garçons à l’école ou pour diminuer la délinquance juvénile masculine, le sport revient très souvent. Il est vrai que le sport permet de canaliser sainement l’énergie et même l’agressivité. J’ai toujours trouvé dommage que l’importance de l’éducation physique dans l’apprentissage scolaire soit tellement sous-estimée et je crois que le nombre d’heures en éducation physique devrait être augmenté, une mesure qui aurait des effets bénéfiques sur tous les enfants. Cependant, je crois qu’on fait fausse route lorsqu’on présente l’activité physique comme l’unique façon pour les garçons de s’intéresser à l’école et de ne pas devenir délinquants, en particulier lorsque cette promotion du sport est motivée par une volonté de valoriser chez ceux-ci un modèle unique et très stéréotypé d’identification masculine. Dans la culture populaire, il arrive même que le sport soit vu comme une alternative à l’école pour s’émanciper. À la télévision et au cinéma, il est courant de montrer un sport comme la boxe, par exemple, comme un moyen pour des garçons provenant de milieux défavorisés de "s’en sortir". En 2003, la direction de l’école secondaire La Ruche avait décidé d’organiser une journée spéciale pour garçons appelée "Le Gars Show", dans le but d’intéresser les garçons à l’école. Un tank, un hélicoptère, un semi-remorque et une grue ont été amenés dans la cour d’école. Étaient présents conférenciers, policiers, pompiers et ambulanciers. Il y eut, entre autres, démonstration de l’utilisation de pinces de désincarcération et de robot-démineur, démonstrations de « scratch », de « skateboard », de graffiti, manœuvres de grue, etc. Les filles de leur côté ont été retirées de l’école pour la journée et ont eu droit à un programme humour et cinéma au Vieux Clocher de Magog. Je me demande de quelle façon on s’y est pris pour qu’elles n’aient pas l’impression de se faire flanquer dehors de l’école ou d’être tenues responsables des échecs scolaires des garçons. On ne s’est pas demandé non plus si les activités prévues intéressaient tous les garçons ni si elles auraient pû intéresser quelques filles. En fait, on a simplement supposé que les goûts des uns et des unes respectaient les traditions. On attribue fréquemment les déboires des garçons aux valeurs dites "féminines" supposément survalorisées dans notre société. On déplore le petit nombre d’enseignants de sexe masculin au primaire (en se gardant bien de reprocher quoi que ce soit aux étudiants en pédagogie qui font le choix de ne pas enseigner au primaire), ce qui priverait les garçons de modèles masculins positifs. Même si l’école fonctionne, depuis Charlemagne, sur le modèle de l’enseignant-e en avant de la classe qui enseigne à des élèves assis tranquilles, on prétend maintenant que l’école n’est pas adaptée aux garçons ! Ce n’est pourtant pas d’hier que des femmes enseignent ! Elles formaient même la majorité des enseignantes de rangs dans les campagnes d’autrefois, les enseignants de sexe masculin, eux, enseignaient, tout comme aujourd’hui, surtout dans les collèges et dans les universités. Mis à part mon agacement devant le fait de classer les traits de caractères dans les catégories "masculin" ou "féminin", toutes ces accusations contre le "féminin" ou l’école elle-même me laissent pantoise, car le cliché de l’homme qui a tout dans les muscles et rien dans la tête est bien davantage dû aux modèles masculins traditionnels, crées par des hommes, qu’à des femmes. Présenter le sexe féminin comme la cause de tous les problèmes des garçons est une attitude paresseuse qui sert davantage le "féminisme bashing" que le bien-être des garçons. La culture des jeunes garçons ne fait pas beaucoup de place au monde intellectuel. Leurs modèles sont fréquemment des sportifs, des chanteurs ou des musiciens n’ayant pas fait de longues études et gagnant beaucoup d’argent facilement. Dans les vidéoclips Hip Hop, et surtout ceux de Gangsta Rap, les principales "valeurs" véhiculées sont l’argent, les voitures luxueuses et les belles filles sexy. Si certains rappeurs ont un vocabulaire très riche et un réel talent de poète, plusieurs autres se complaisent dans les termes violents et sexistes. Les garçons sont encouragés à se définir en se distanciant à tout prix des filles, des traits de caractères, des goûts et des valeurs qui leur sont associés. Par malheur, la culture populaire et en particulier les médias pour enfants présente le goût de l’étude, l’amour de la lecture et les bonnes notes en classe comme des valeurs associées aux filles et aux garçons efféminés ou impopulaires. Un garçon trop performant à l’école (et ils ne sont pas rares !) sera souvent traité de "nerd" ou de "chouchou" par d’autres garçons. S’il s’intéresse à un style de musique moins populaire, à la lecture, aux arts ou au chant, il risque d’être victime de moqueries, d’être traité d’homosexuel, etc. Il semble en outre y avoir chez beaucoup de garçons une méconnaissance des efforts nécessaires pour une bonne réussite scolaire. Plusieurs d’entre eux comptent sur leur seule intelligence pour avoir de bonnes notes et croient que les filles qui réussissent mieux qu’eux sont seulement plus intelligentes, alors que plusieurs d’entre elles étudient tout simplement davantage ! Plusieurs garçons ayant de mauvais résultats scolaires, en particulier ceux qui souffrent de problèmes d’apprentissage, finissent par en conclure qu’ils ne sont pas intelligents. Aurait-on abandonné l’idée d’intéresser les garçons aux domaines intellectuel, culturel ou artistique ? Leur offre-t-on réellement une pluralité de choix ou, au contraire, nous contentons-nous de leur proposer les mêmes vieux stéréotypes, simplement parce que ceux-ci sont majoritairement boudés par les filles ? Rend-t-on service aux garçons en ne leur permettant de s’épanouir qu’à condition de perpétuer ces stéréotypes ? Ne devrait-on pas dénoncer le manque criant de ressources en milieu scolaire ou les classes surpeuplées au lieu de chercher des boucs émissaires ? Il existe un programme visant à intéresser les filles aux sciences, "Chapeau les filles !", un programme qui répond à un besoin réel, les filles se destinant encore par réflexe aux métiers traditionnellement féminins. Peut-être aurait-il lieu d’en créer un pour intéresser les garçons à l’école en général et qui mettrait l’accent sur le plaisir qu’il y a à s’instruire et à s’intéresser au monde des connaissances. Les garçons peuvent apprendre à définir leur identité autrement qu’en rejetant le sexe féminin. S’ils ne le font pas, ou si on ne leur permet pas, ils finiront par ne plus savoir qui ils sont, au fur et à mesure qu’ils découvriront que le sport, la force physique et la confiance en soi ne sont pas des domaines qui leur sont exclusivement réservés. Les filles et l’activité physique J’aimerais maintenant aborder le sujet de l’activité physique chez les filles. Dès la petite enfance, les filles sont restreintes physiquement. Elles se font dire plus souvent que leurs frères de ne pas courir, de ne pas grimper et de faire attention pour ne pas se blesser. L’audace physique est accueillie chez elles avec moins d’indulgence que chez les garçons. Elles apprennent très tôt qu’il leur faut rester tranquilles, être sages et ne pas faire de bruit. On leur achète encore majoritairement des poupées, des peluches et des jouets mignons pour jouer tranquillement. On leur met des robes qu’il ne faut pas salir ou abîmer et qui sont peu pratiques pour explorer leur environnement. La petite fille pleine d’énergie qui n’aime pas les robes et qui est attirée par les sports, surtout ceux qui sont privilégiés chez les garçons, est qualifiée de "tom boy" ou de "garçon manqué". Pendant qu’on encourage chez son frère la force, la vitesse, l’agilité et l’aventure, on encourage chez elle le calme, la gentillesse, la beauté et la motricité fine, au mieux. L’activité physique la plus valorisée chez les filles est la danse. Pour ce qui est des sports, même si elles peuvent choisir dans un large éventail de disciplines sportives, leur choix continue se porter majoritairement sur des sports "chorégraphiques", traditionnellement féminins, comme la gymnastique, la nage synchronisée ou le patinage artistique, des sports qui ressemblent à la danse. Ces sports ont cela de particulier que leurs adeptes n’ont pas la possibilité d’agir en totale liberté de mouvement. Alors que le fait de donner un coup de pied sur un ballon ou de le lancer permet des mouvements amples, libres et non limités dans l’espace, les disciplines sportives de type chorégraphique imposent des mouvements limités et des postures fixes constituant un idéal à atteindre. J’ai fait du patinage artistique ainsi que de la danse classique et, dans mes cours de ballet tout particulièrement, j’avais souvent l’impression de me mouvoir dans une sorte de corset invisible parce qu’il fallait que je fasse constamment attention de ne pas exagérer tel ou tel mouvement et que j’aie une bonne posture. "Rentrez le ventre, rentrez les fesses, aplatissez les épaules, allongez le cou... et souriez !", répétait constamment ma professeure ! On n’entendrait jamais ça dans les gradins durant une partie de hockey, imaginez ça : "Julie, rentre tes fesses pis rentre le ’puck’ dans le filet !" Dans les disciplines chorégraphiques, tout comme en danse d’ailleurs, il arrive souvent que les filles subissent des pressions pour conserver une belle apparence et un poids en dessous de la moyenne. Une grande importance y est accordée au costume, au maquillage et à la coiffure. Certain-es entraîneur-es poussent leurs élèves au surentraînement, ce qui peut freiner la croissance et interrompre les menstruations. Je trouve dommage que tant de filles boudent encore les sports d’équipe, où on met davantage l’accent sur l’esprit d’équipe et le côté ludique et, surtout, où il y a moins de pression sur l’apparence et le poids. Les médias pour enfants n’associent pas spontanément le sexe féminin à la force et à l’agilité physique. Dans plusieurs dessins animés et bandes dessinées, les filles ont souvent recours à leur cerveau pour se sortir du pétrin (ce qui est très bien, je serais la dernière à m’en plaindre), mais elles ne se servent pas souvent de leur force physique. En science-fiction et dans le fantastique, les personnages féminins sont encore majoritairement ceux qui ont des pouvoirs magiques et les personnages masculins ont plus souvent des agilités physiques. Heureusement, cela tend à changer avec la popularité des dessins animés où tous les personnages d’un groupe, quel que soit leur sexe, utilisent à la fois des pouvoirs spéciaux et des techniques de combat. La diminution des heures de cours d’éducation physique, l’augmentation de la sédentarité de la population et le manque global d’activité physique ont des effets néfastes chez tous les jeunes, mais la situation est encore plus désastreuse chez les filles. Les filles diminuent souvent considérablement, et davantage que les garçons, leur niveau d’activités sportives à l’adolescence. Le sentiment d’être incompétentes dans les sports, la peur de développer de gros muscles et les complexes physiques liés au port du maillot de bain ou de vêtements sportifs peuvent influencer négativement le désir de pratiquer une activité physique chez les filles. La mode féminine, dont j’ai traité dans un précédent article, contribue elle aussi à décourager toute spontanéité physique, en prévilégiant les vêtements esthétiques mais peu pratiques et qui gênent les mouvements. Fidélisées à des modèles de femmes très "statiques" et conditionnées à devoir être toujours à leur meilleur, quelles que soient les circonstances, les filles finissent par restreindre d’elles-même leur façon de s’exprimer physiquement. Le domaine ou les filles sont le plus encouragées à faire de l’exercice physique est celui du contrôle du poids ! Dans les publicités d’appareils de conditionnement physique, on insiste sur les muscles de monsieur et le corps mince et sexy de madame ! Beaucoup de femmes ne s’entraînent d’ailleurs que pour perdre du poids et se "raffermir". Dans ce cas-là, l’activité physique ne vise pas l’augmentation de la force physique, mais l’amélioration de l’apparence, et constitue non pas un loisir mais bien plus souvent une corvée. Il est vrai que certains hommes s’entraînent aussi pour des raisons d’apparence, mais les muscles, c’est quand même plus utile dans la vie que d’être "sexy" (essayez donc de vous défendre avec votre côté sexy !) En résumé, on peut dire que l’activité physique chez les filles est vue soit comme une crainte, soit comme une obligation. Cette dichotomie laisse peut de place pour le plaisir. Pour ce qui est de la division des tâches à la maison, les filles sont encore très conditionnées à considérer que c’est aux hommes de s’occuper de réparation, de travaux de peinture, de rénovation et des travaux extérieurs les plus exigeants, bref des domaines qui demandent de la force et de l’habileté physique, alors qu’aux femmes sont réservés les tâches intérieures comme les travaux ménagers, la décoration et les activités extérieures, comme le jardinage. Beaucoup de filles et de femmes ont encore le réflexe de demander à un homme de la maison d’exécuter les travaux traditionnellement masculins. La publicité reproduit ces stéréotypes sexistes. Sans vouloir enlever quoi que ce soit à l’importance d’intéresser les filles aux études et au monde intellectuel, je crois qu’il est extrêmement important qu’on les encourage à pratiquer des activités physiques pour le plaisir, pour développer l’esprit de camaraderie et la confiance en soi, acquérir de la force physique et pour être en santé, plutôt que pour rester minces et avoir une belle apparence. On doit les encourager à ne pas sacrifier leur liberté Conclusion Nous prétendons élever nos enfants dans l’égalité parce que nous ne leur interdisons pas de pratiquer les activités et les sports de leur choix et que nous avons à coeur leur réussite scolaire, mais en continuant à avoir des attentes différenciées selon leur sexe, nous nous trouvons involontairement à diriger leur choix et à décourager ceux qui ne correspondent pas à ce que la culture considère normal pour leur sexe. Nous devons permettre aux enfants de s’épanouir hors des carcans rigides du sexisme. Nous devons également prendre conscience de la manipulation que les enfants subissent dans tous les médias. Il n’est pas suffisant d’élever nos enfants dans le respect de leur personnalité, il faut aussi les aider à reconnaître les stéréotypes sexistes qui nous entourent pour mieux les combattre. Sources . Les garçons et l’école : un livre qui donne l’heure juste ! . Bien dans sa peau, Trousse d’intervention. . Rapport Kino-Québec "Les filles c’est pas pareil". Document en PDF (je n’aime pas tellement le titre, mais c’est un rapport très intéressant). Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 janvier 2009 |