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dimanche 18 octobre 2020 Martine Storti Contre un patriarcat universel, un féminisme universel
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"La lutte des femmes pour leur émancipation est une lutte spécifique, réductible à aucune autre." Voilà l’essentiel du constat de Martine Storti devant l’affirmation de féminismes particuliers, adjectivés et différentiés. C’est l’argument de fond qu’elle oppose aux adeptes du féminisme intersectionnel, dans cet ouvrage concis mais percutant. À son avis, "l’intersectionnalité qui prétend dire le croisement, la simultanéité, l’imbrication aboutit en fait à une fragmentation et à une hiérarchie des analyses et des luttes". Cette journaliste militante qui a couvert pendant des années le mouvement des femmes pour Libération plaide pour un féminisme universel, celui qui combat les injustices dont les femmes de toutes les origines et de tous les milieux sont victimes parce que femmes. Sororité ou division ? À celles et ceux qui montent en épingle les divergences de vues entre féministes, Storti réplique qu’on ne demande jamais aux hommes d’être d’accord sur tout. Discuter de cette question est légitime et nécessaire. Du reste, le ton de son ouvrage n’est jamais pamphlétaire. Elle énonce ses arguments et réfute ceux de ses adversaires sans emportement et avec respect, ce qui apporte un vent de fraicheur dans ce débat trop souvent acrimonieux. Selon Storti, le féminisme intersectionnel présente plusieurs inconvénients, le premier étant de miner la solidarité entre féministes, ce qui nuit aux alliances pourtant essentielles pour obtenir des gains réels. En fragmentant les forces, en dénigrant d’autres groupes féministes au lieu de mettre toute son énergie à faire front contre le patriarcat, on affaiblit le mouvement. Le féminisme d’abord...ou l’antiracisme ? Mais il y a pire. Le féminisme intersectionnel aboutit à une hiérarchie des oppressions, et celle des femmes est invariablement reléguée au second plan. On dénonce le féminisme blanc, mais on fait silence sur la violence subie par des femmes musulmanes ou noires aux mains d’hommes de leur milieu. "Mais du patriarcat au sein de leur communauté dont les femmes noires, Françaises ou en France peuvent être victimes, pas un mot. Pas un mot non plus sur la polygamie, les mariages forcés, l’excision". Au Québec, des féministes intersectionnelles dénoncent davantage le racisme dont sont effectivement victimes les femmes amérindiennes, que le viol de fillettes vivant dans des collectivités authochtones par des membres de leur entourage. Storti refuse que les intérêts des femmes soient sacrifiés à d’autres loyautés. L’approche intersectionnelle ou décoloniale "secondarise le féminisme au nom de l’antiracisme". En France, Houria Bouteldja estime qu’une femme noire ne devrait pas forcément dénoncer son violeur s’il est noir, pour ne pas alimenter les préjugés. Ce qui n’est pas sans rappeler le mouvement pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis, où le même silence était exigé des militantes sous prétexte de loyauté envers le groupe (c’est-à-dire les hommes du groupe). Comment alors parler de féminisme ? Par ailleurs, en dénonçant le féminisme "occidental", on fait peu de cas des femmes qui, partout dans le monde, se battent pour les droits qu’une société patriarcale leur refuse : "Quand des femmes, où qu’elles soient, luttent pour leur émancipation, elles ne s’emparent pas d’un discours occidental qui ne serait pas le leur ; il est leur discours". Les Tunisiennes qui se battent pour l’égalité dans l’héritage ne le font pas sous l’influence d’un féminisme occidental. Pas plus que les Iraniennes qui ont manifesté par milliers dans les rues de Téhéran le 8 mars 1979 contre l’obligation, décrétée par l’ayatollah Khomeiny, de porter un voile "couvrant la tête et le cou". Le voile de la discorde Tant au Québec qu’en France, la question du voile islamique oppose féministes universelles et intersectionnelles. La Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21) adoptée en 2019, qui interdit le port de signes religieux à certain-es fonctionnaires en position d’autorité et aux enseignant-es, est contestée devant les tribunaux par une frange rigoriste et militante de la population musulmane du Québec. La Fédération des femmes du Québec (FFQ), qui se réclame d’un féminisme intersectionnel, appuie les contestataires, ce qui n’est pas sans ironie vu le caractère ultra-sexiste des traditions auxquelles adhèrent ces musulman-es intégristes (ségrégation des sexes, port du niqab, cérémonies de prise du voile pour des fillettes d’à peine 9 ans). De son côté, l’organisation Pour les droits des femmes du Québec, partisane de l’approche universelle, défend le bien-fondé de la loi, au nom de la liberté de conscience des enfants et de leurs parents. D’une portée somme toute modeste, la Loi 21 est pourtant chaudement débattue. Ses adversaires espèrent que la Cour suprême leur donnera raison puisque la Constitution canadienne repose sur un multiculturalisme d’inspiration anglo-saxonne et aussi sur "la suprématie de Dieu", comme l’énonce son Préambule. Lors des débats télévisés, ce sont des femmes portant le foulard islamique que Radio Canada invite pour représenter les musulmanes. Elles sont écoutées avec complaisance, tandis que les tenantes de la laïcité sont soumises à de rudes interrogatoires. Il y a dans les arguments mis de l’avant par les islamistes qui défendent le port du voile en France une faille qui n’a pas échappé à Martine Storti :"l’interdiction d’évoquer à propos du voile d’autres pays ne vaut pas pour d’autres sujets". La même contradiction s’observe au Québec. Quand on signale à certaines musulmanes opposées à l’interdiction du voile ou à des journalistes sympathiques à leur cause que les femmes sont obligées de porter le voile en Iran ou au Qatar, elles répliquent invariablement que cela n’a aucun rapport car on est au Québec ici. Or, quand il est question du réchauffement climatique ou des poussées migratoires engendrées par les conflits, par exemple, ces mêmes interlocutrices soulignent à grands traits que ce qui se passe ailleurs dans le monde va forcément se répercuter au Québec. Plaidoyer pour la sororité "Aux antagonismes, préférons l’engagement d’actions de solidarité." Face aux divisions qui ne peuvent qu’affaiblir le mouvement des femmes, Martine Storti lance un appel à l’action commune. Il faut privilégier des projets rassembleurs comme, par exemple, la création d’une structure internationale expressément vouée au soutien des femmes victimes de répression à cause de leur engagement féministe. Cet organisme de solidarité féministe viendrait en aide aux femmes qui militent pour leurs droits dans des pays où elles risquent la prison et même la mort. Les exemples de telles persécutions ne manquent pas. L’avocate iranienne Nasrine Sotoudeh à été condamnée à sept ans de prison pour avoir défendu de jeunes Iraniennes qui avaient défié la loi en retirant leur voile en public. En Argentine, les femmes qui manifestent pour le droit à l’avortement se heurtent à une répression brutale. En Russie, les membres du groupe Pussy Riot ont été internées en camp de travail pendant deux ans. La liste ne cesse de s’allonger car, partout sur la planète, les femmes se mobilisent contre leur infériorisation, et le patriarcat réplique. Maniant le verbe avec aisance, Martine Storti offre un panorama du féminisme actuel et en dessine les lignes de fracture. Dotée d’un solide esprit de synthèse, cette ancienne militante du MLF livre sa pensée dans un style à la fois sobre et convaincant. Les renvois dont elle étoffe son analyse donnent envie de poursuivre la réflexion. Martine Storti plaide pour un féminisme universel parce qu’elle a la conviction que, "s’agissant de la libération de la femme, il n’y a qu’un monde". Un monde où les hommes tiennent encore le haut du pavé et où l’égalité des femmes reste à conquérir. * Martine Storti, Pour un féminisme universel, Éditions du Seuil, Collection La République des Idées, Paris, 2020. ** Professeure de philosophie à la retraite, Martine Storti a travaillé comme journaliste à Libération, F Magazine, Radio Monte Carlo, Les nouvelles.Elle est l’auteure de plusieurs essais et tient un blogue. Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 octobre 2020 |
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