|
mercredi 4 février 2004 Un musée, 50 femmes
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Au Mexique, l’apport des créatrices surréalistes Des femmes peintres autour de Diego Rivera : au-delà de Frida Kahlo Joyeux Noël et Bonne Année 2018 ! Artemisia Gentileschi, artiste peintre et femme libre Des créatrices afro-américaines à Paris au temps des Années Folles "un cri un chant des voix". Installation photographique de Diane Trépanière Bonne Année 2015 ! Niki de Saint Phalle : une géante Joyeux Noël 2013 et Bonne Année 2014 ! "Je montrerai ce qu’une femme sait faire !" Artemisia Gentileschi Joyeux Noël et Bonne Année 2012 chant [dans les muscles du chant], de Suzan Vachon, FIFA, 29e édition 2011, au Cinéma ONF, le samedi 26 mars, à 16h Bonne Année 2011 ! Claire Aubin, artiste féministe québécoise Bonne Année 2010 ! Une belle carte de Barbara Sala. Joyeux Noël 2008 et Bonne Année 2009 ! Genres : normes et transgressions - Cycle de films et séminaires, saison 2007-2008 Entre deux primaires, interprétations imaginaires - Exposition de sept femmes artistes à Magog Joyeux temps des Fêtes ! Art, Utopies et féminismes sous le règne des avant-gardes CHANT D’ÉCORCE : une installation vidéographique de Suzan Vachon Centre de caresses, aires d’apaisement et autres propos Femmes, art et féminisme en France dans les années 1970 Francine Larivée et "La Chambre Nuptiale" Les femmes artistes mobilisées dans le féminisme au Québec L’artiste Sheena Gourlay et la prise de parole féministe Arlette Dufour Lévesque, artiste |
Était-il encore nécessaire de monter une exposition sur les femmes artistes ? Dans une perspective historique, le rattrapage semble toujours de mise. Le Musée d’art de Joliette propose L’école des femmes, 50 artistes canadiennes au musée, dont les œuvres sont tirées de ses collections.
L’école des femmes… Titre séduisant pour une exposition intelligente, inspiré du titre de la célèbre pièce de Molière, prônant l’émancipation des femmes. La situation des femmes n’aurait-elle pas changé depuis le XVIIe siècle ? Non, bien sûr, d’autant que l’exposition du Musée d’art de Joliette aborde essentiellement le XXe siècle. C’est donc dans une seconde acceptation qu’il faut prendre le mot école, celui de mouvement, de tendance… Et puis, il y aurait un troisième sens à envisager ; il répondrait à la question : quelle leçon tirer de l’école des femmes ? Féminisme/Féminin À partir de 1975 ont commencé les expositions sur les femmes artistes et sur l’art féministe (à ne pas confondre !) : que l’on pense à Artfemme ’75, qui avait amorcé le mouvement, suivie de près par La chambre nuptiale de Francine Larivée, puis par Art et féminisme et Actuelles 1, dans les années 1980. Le centre d’artistes La Centrale, alors appelé Powerhouse, ainsi que diverses actions féministes ont largement contribué à donner une juste place aux femmes. Cela dit, même si Jana Sterbak a représenté, cette année, le Canada à la Biennale de Venise et si Janet Cardiff l’a fait deux ans auparavant, il reste encore des bastions inentamés. De plus, la représentation féminine est récente, même à Venise. Pour une Geneviève Cadieux en 1990, quatre hommes se sont succédé au Pavillon canadien de 1993 à 1999 : Robin Collyer, Edward Poitras, Rodney Graham et Tom Dean. Dans les trois dernières Biennales de Montréal, la proportion de femmes oscille entre 25 et 30%. Si l’on peut noter l’exposition en cours sur Rita Letendre au Musée national des beaux-arts du Québec et récemment celles de Françoise Sullivan au Musée des beaux-arts de Montréal et de Marcelle Ferron au Musée d’art contemporain de Montréal, notons que beaucoup d’autres expositions, dans ces musées ou dans d’autres, se préoccupent avant tout de faire valoir le travail d’artistes masculins. En somme, il faut saluer les avancées, sans pour autant considérer que les femmes partagent équitablement la scène artistique avec les hommes. Loin de là. Un exemple, lors de l’édition 2002 de la Documenta de Kassel, grande célébration quinquennale de l’art contemporain, les commissaires avaient retenu trois hommes : Ken Lum, Stan Douglas et Jeff Wall. Cela n’est sans doute pas un hasard. Dans de nombreux pays, la place des femmes est encore plus précaire et même si toutes sortes de considérations esthétiques et politiques interviennent dans le choix des artistes, il reste qu’un nom masculin possède toujours plus de crédibilité. L’exposition du Musée d’art de Joliette a évité un piège : celui du parcours chronologique, qui a été beaucoup employé et qui ici n’aurait pas été utile. En effet, les femmes artistes, bien que relativement peu nombreuses, ont fait partie des mêmes mouvements que leurs collègues masculins ; un parcours chronologique se serait soldé par un inventaire des divers courants artistiques du XXe siècle. Les cinq grandes divisions qui départagent les œuvres des 50 artistes présentées tentent une approche mitoyenne entre la chronologie pure et le regroupement thématique. De fait, il y avait plusieurs pièges à éviter. Après les grandes expositions sur les femmes artistes, dont celle du Los Angeles County Museum of Art (1977) Women Artists : 1550-1950 est le paradigme, est-il encore légitime de procéder à un regroupement basé sur le sexe ? Ces expositions fouillaient le passé à la recherche d’œuvres de femmes pour les exhumer après le travail d’ensevelissement que les XIXe et XXe siècles leur avaient fait subir. En conséquence, plus de vingt ans après, pouvons-nous encore raisonner de la même façon ? Discrimination positive La réponse n’est pas simple. Les expositions et les livres exploitant la veine de la réhabilitation des grandes oubliées ont graduellement perdu leur importance, du fait de l’accroissement des connaissances sur le sujet et du développement de la réflexion théorique. Une peintre comme Élisabeth Vigée-Lebrun, évoluant au sein de l’aristocratie française du XVIIe siècle, peut-elle être mise sur le même pied que l’artiste engagée Käthe Kollwitz ? Pourtant, des expositions du même type continuent à être organisées. Au cours de l’automne 2003 a eu lieu à Turin une exposition intitulée Elles. Femmes dans les collections italiennes, à la Fondazione Sandretto Re Rebaudengo per l’arte. Cette fondation n’a pas retenu une approche historique mais expose trente artistes contemporaines non italiennes dont les œuvres se trouvent dans ce pays. En 2001, le Boston museum of Fine Arts a présenté A Studio of Her Own : Women Artists in Boston 1870-1940. Certains ou certaines plaideront que la mise à l’écart crée un ghetto et peut alors renforcer ce qu’elle tente d’éliminer. Quoi qu’il en soit, tant que les femmes artistes feront partie d’une catégorie d’artistes sous-représentés, le regroupement par le sexe demeurera légitime, ce qui n’invalide pas - bien au contraire - l’inclusion de leur travail au sein du mainstream de l’histoire de l’art et dans les grandes collections. Ce qui ressort avant tout de l’exposition du Musée d’art de Joliette, c’est la qualité des œuvres. Il faut ici préciser ce que l’on entend par qualité : quelle que soit la date ou la nature de l’œuvre, chacune d’elle réussit à se distinguer des autres par une facette particulière : sa composition, l’idée qui la sous-tend, les matériaux employés. L’intérêt est donc soutenu tout au long de l’exposition. La section des Lieux-dits juxtapose élégamment des paysages très différents : naïfs, modernistes ou contemporains. Il s’agit, en effet, de représentations de sites particuliers, très urbains ou profondément ruraux, qui sont connotés par l’idéologie qui régnait à leur époque ; ainsi, on reconnaît les paysages maritimes d’Emily Carr, imprégnés de transcendance, ainsi que les constructions d’inspiration industrielle de Liliana Berezowsky. Tout à côté, et sans que le heurt ne soit notable, la scène rurale des années 1940 de Simone-Mary Bouchard plonge dans le merveilleux en peignant un chien démesurément gros par rapport aux humains. La notion est toutefois étirée à l’extrême avec Le monastère des sœurs visitandines de Clara Gutsche, qu’on aurait vu davantage dans la section Mondes intérieurs, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. L’œuvre la plus imposante de la section des Mondes intérieurs, celle de Danielle Sauvé, illustre à merveille la notion de Confidence, en combinant un lit et un haut-parleur. Cette sculpture métaphorique utilise les mêmes procédés que ceux du rêve, en condensant deux objets pour leur donner une signification supplémentaire. Dans le même esprit poétique, la création de Jana Sterbak désigne le monde féminin avec un voile de mousseline particulièrement fin, sur lequel est brodé en blanc le mot " Desire ". Jana Sterbak, Sorel Cohen et Dominique Blain sont sans doute les artistes les plus féministes de l’exposition. Le féminisme d’une artiste ne se transmet pas toujours directement dans ses productions. Ainsi, même si certaines œuvres de Blain sont assurément féministes, l’artiste n’oriente pas tout son travail sur cet axe. De même, Bed of Want de Sorel Cohen peut être interprétée comme féministe mais offre aussi d’autres lectures ; des photos en négatif d’un lit aux draps froissés font allusion aux diverses fonctions du lit ainsi qu’au travail domestique. Elle avait auparavant réalisé toute une série d’autoportraits sur le thème de la femme en train de faire un lit, aux connotations clairement féministes. En désignant le désir féminin comme inscrit dans les codes d’une société donnée, l’œuvre de Sterbak est à la fois féminine et féministe. Le voile est celui de la mariée, mais c’est aussi celui de l’hymen ; le désir de la femme recouverte par le voile est presque invisible. L’éparpillement post-moderniste Les femmes artistes ont fait partie de tous les courants artistiques et c’est ce que reflètent les sections nommées L’artiste et son modèle, L’aventure moderniste et L’éclatement post-moderniste. La première présente des œuvres attachantes mais banales. Dans la deuxième, quelques noms connus des années automatistes, Marcelle Ferron, Rita Letendre, voisinent de moins célèbres, ou ceux d’artistes qui n’ont pas adhéré à l’automatisme : Kittie Bruneau, Lise Gervais. L’œuvre de cette dernière, Dia, est une pure explosion de couleurs chaudes, où des bandes plus ou moins rectilignes affrontent des taches aux résonances borduasiennes. À la même époque, Molinari peignait déjà ses bandes de couleurs alternées, avec lesquelles il joue avec l’optique ; Gervais se concentre moins sur les effets des couleurs dans l’œil que sur la fulgurance des teintes et sur les rapports entre taches expressives et bandes plus neutres, entre géométrie et expressionnisme. La dernière section, L’éclatement post-moderniste, offre un caractère éparpillé. Dans une ou deux décennies peut-être discernerons-nous plus clairement ce qui distingue cette période. Devant l’abondance de manières et de formats, Le buisson ardent de Sheila Segal, composé de la réunion de tiges de métal recourbées qui rappelle la toison du sexe féminin, se détache du mur et impose sa présence. Le contraste entre le matériau rigide et la référence organique surprend et déconstruit les habitudes visuelles, qui veulent qu’on associe cette partie du corps à des tissus soyeux et à des couleurs pastel. Judy Chicago, par exemple, a célébré de cette manière le corps féminin. Dans cette partie de l’exposition, le corps se manifeste dans les œuvres de Betty Goodwin, de Sylvia Safdie, de Suzy Lake, de Dominique Blain et de Jocelyne Tremblay. Le corps déchiré de Figure with red bar est placé à côté des membres fragmentaires de Ever #28 de Sylvia Safdie, œuvre dont les textures somptueuses font oublier le côté plus sombre du sujet. Le corps au travail de Suzy Lake, une femme en train de démolir un mur, est néanmoins une réflexion plus conceptuelle sur l’art, œuvre qui dialogue - si l’on peut dire - avec l’œuvre de Dominique Blain qui efface des bouches, métaphore de la censure. Le visage de la femme âgée des Vieux jours de Jocelyne Tremblay tranche sur les représentations standardisées de la féminité idéalisée des magazines, éternellement jeune et belle. Le visage ridé, associé à l’image d’un arbre à demi mort, exprime le passage vers un autre moment de la vie. Enfin, il faut déplorer l’indigence dans laquelle nos gouvernements tiennent les musées régionaux, puisque le catalogue qui accompagne l’exposition aurait pu devenir un outil de référence. Au lieu de cela, un modeste opuscule donne quelques indications pertinentes (mais brèves) sur certaines artistes seulement. – On peut visiter cette exposition jusqu’au 22 février 2004. Exposition sur Internet En complément à l’exposition réelle, une exposition virtuelle, qui s’intitule Perspectives, femmes artistes en Amérique du Nord, organisée sous l’égide du Réseau canadien d’information sur le patrimoine, réunit cinq institutions canadiennes, états-unienne et mexicaine : Collection McMichael d’art canadien (Kleinburg, Ontario), Glenbow Museum (Calgary, Alberta), Musée d’art de Joliette (Joliette, Québec), Louisiana State Museum (Nouvelle-Orléans, Louisiane), Instituto Nacional de Bellas Artes (Mexico, Mexique). Quelque 28 des œuvres de l’exposition du Musée d’art de Joliette figurent sur le site internet : www.museevirtuel.ca/perspectives. L’exposition s’ouvre ainsi à d’autres productions féminines, parmi lesquelles celles de Frida Kahlo, Leonora Carrington et Joyce Wieland mais aussi celles de beaucoup d’autres artistes moins connues. L’école des femmes, 50 artistes canadiennes au musée Liste des artistes : 1- Lieux-dits : – La revue Vie des Arts a autorisé l’auteure à reproduire sur Sisyphe cet article publié dans sa version papier, n° 193 (hiver 2003-2004). – Merci au Musée d’art de Joliette qui nous a procuré les photos des oeuvres illustrant cet article. Mis en ligne sur Sisyphe le 2 février 2004 |