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mardi 4 février 2014 Projet de loi 60 - La "paix religieuse" exige d’accorder la priorité au respect des convictions religieuses de toutes les "clientèles" des services publics
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Mémoire présenté à la Commission Parlementaire sur le projet de loi 60
Présentation de l’auteur Guy ROCHER, Ph.D. (Harvard) est sociologue, a enseigné la sociologie à l’Université Laval (1952-1960), a été professeur titulaire au Département de sociologie (de 1960 à 2010) et chercheur au Centre de recherche en droit public de la Faculté de droit de Résumé Mon appui au projet d’une Charte de la laïcité se fonde essentiellement sur le principe suivant : le respect des convictions en matière de religion de toutes les Cette conception de la neutralité de l’État, je l’ai acquise et la porte depuis quelque cinquante ans, c’est-à-dire depuis les travaux de la Commission Parent. C’est cette philosophie qui a inspiré à la Commission et au Gouvernement québécois de l’époque la création du ministère de l’Éducation pour remplacer les autorités catholiques et protestantes, l’implantation des cégeps, tous non confessionnels, de même que le réseau non confessionnel de l’Université du Québec. L’on peut avec raison attribuer à cette philosophie la « paix religieuse » dont a joui le Québec, le fait que nous avons traversé la Révolution tranquille et ses suites, la J’observe aujourd’hui que les promoteurs d’une laïcité dite « ouverte » proposent un Cette approche individualiste et individualisante du respect des convictions religieuses dans les institutions publiques est non seulement en rupture avec le principe qui a inspiré notre neutralité religieuse, mais surtout elle ne règle rien pour l’avenir. Or, la Charte de la laïcité doit être conçue dans une perspective d’avenir. Et l’on sait très bien que le pluralisme de la population québécoise va aller encore croissant. Les pressions et exigences diverses de la part des églises, religions, groupes religieux vont probablement se multiplier, surtout à la faveur d’une laïcité « ouverte ». Je soumets donc que, pour l’avenir, comme ce fut le cas dans notre passé récent, la Exposé général Mon appui apporté au projet de la loi 60 À quelques reprises, au cours des dernières semaines, j’ai fait part publiquement, dans les médias, de mon accord avec les « orientations » mises de l’avant par le Dans le contexte actuel, pour comprendre l’étape que représente aujourd’hui le projet de loi 60, il m’apparaît utile, même essentiel, de le situer dans la perspective du temps, le temps passé et le temps à venir. C’est cette perspective que j’adopte dans ce mémoire, pour justifier ma position. La laïcité de l’État et des institutions publiques est loin d’être un sujet nouveau au La neutralité religieuse selon la Commission Parent Dès le début de ses travaux, la Commission Parent a été confrontée à la question des Les institutions d’enseignement publiques (écoles primaires, commissions scolaires) Les commissaires ont donc eu la responsabilité de réfléchir intensément à l’opportunité de maintenir un tel état de chose, dans un Québec dont ils constataient par ailleurs qu’il s’engageait sur la voie de la démocratisation et de la modernité. Une présence aussi imposante des églises et de la religion dans le système d’enseignement, public notamment, une association aussi étroite entre le religieux et le politique, devraient-elles perdurer ? Après mûre réflexion, les commissaires en vinrent à la conclusion que la division entre l’État et les religions s’imposait. Ils prirent unanimement position en faveur de la nécessité d’une claire neutralité de l’État et des institutions publiques en matière religieuse, à tout le moins en ce qui avait trait au système d’éducation. Cette prise de position fut fondée sur l’observation sociologique que le Québec des Cette conception de la nécessaire neutralité de l’État et des institutions publiques, la Commission Parent l’a appliquée d’une manière systématique dans ses recommandations. Et tout d’abord dans la proposition qu’elle fit en 1963 de créer un ministère de Les Cégeps et les nouvelles universités neutres Le même projet de démocratisation et d’accessibilité est à l’origine du réseau On peut donc affirmer que, dans l’histoire moderne du Québec depuis la Révolution Les commissions scolaires et l’enseignement primaire et secondaire En ce qui a trait au niveau des écoles publiques primaires et secondaires, elles étaient toutes catholiques et protestantes en 1960. Le Rapport Parent observe : Comme on le constate, c’est encore une fois inspirée par le respect des convictions de Cette situation paradoxale – mais vécue pacifiquement – subsista jusqu’en 1997 : Ces hommes et ces femmes... Un tel virage ne s’est pas fait de lui-même, par magie. Ce sont des hommes et des Je me sens obligé, compte tenu de ce que j’ai vécu, de rappeler que certains de ces Pour certains, cela pouvait exiger d’apporter une modification à leur enseignement. Pour beaucoup, cela a voulu dire se départir de tout signe apparent de leur appartenance religieuse, que ce soit le vêtement ou tout autre symbole. C’est par la multiplication de leurs gestes que s’est réalisée la déconfessionnalisation La déconfessionnalisation fait partie de l’histoire moderne du Québec. Elle en est même un élément majeur et essentiel, pour comprendre le Québec d’aujourd’hui. La laïcisation, dans la suite de la Révolution tranquille Il est important d’ajouter que la réflexion sur la neutralité religieuse n’appartient pas qu’à l’époque de la Révolution tranquille : elle s’est poursuivie depuis les années 70 jusqu’à nos jours. L’éminent éducateur québécois Paul Inschauspé a bien mis ce fait en lumière, dans un article récent du Devoir intitulé « Compléter la laïcisation du curriculum » (25 septembre 2013, p. A9). La laïcisation des structures s’est poursuivie, notamment par la transformation des commissions scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques. Mais, ajoute-t-il, on ne parle pas assez d’une autre « laïcisation », celle du curriculum d’étude. En particulier, la place de l’enseignement religieux dans les programmes a fait l’objet d’intenses réflexions et d’importants changements. Paul Inschauspé rappelle en particulier « les propositions croisées de trois rapports De plus, depuis les années 1980 et jusqu’au début du 21e siècle, les réflexions sur la Pourquoi ce retour sur le passé ? Si j’ai fait ce retour en arrière sur notre histoire québécoise, c’est pour deux raisons : d’abord pour démontrer que la neutralité de l’État et des institutions publiques n’est pas de soi anti-religieuse, elle n’est pas dirigée contre une religion en particulier, comme certains tentent pourtant aujourd’hui de le faire croire. La création du ministère de l’Éducation, des polyvalentes, des cégeps, de l’Université du Québec n’était pas motivée par des sentiments anti-religieux, ni de la part de la Commission Parent, ni chez ceux qui ont présidé et participé à ces créations. L’intention était celle de la démocratisation et de l’accessibilité. Cela fut bien compris par la majorité du clergé et des catholiques, des protestants et des juifs. Au début de la Révolution tranquille, c’est le christianisme qui occupait toute la place au Québec. C’est dans ce contexte historique que la question de la neutralité religieuse des institutions publiques s’est posée. Aujourd’hui, l’Islam acquiert une présence qui entraîne une nouvelle phase dans notre réflexion collective sur la neutralité religieuse. L’actuel projet de loi 60 d’une Charte de la laïcité vient répondre à la réflexion d’aujourd’hui. Il n’est ni anti-chrétien, ni anti-islamique. Il s’inscrit en réalité dans une perspective d’avenir. Respect des convictions de toute les « clientèles » Deuxième raison d’évoquer ce passé : c’est précisément qu’il est important pour l’avenir. Il nous enseigne que, face à la diversité religieuse, les institutions publiques doivent être neutres pour respecter les convictions de toutes les « clientèles » qui recourent à leur service. Cette prise de position historique a eu un effet positif d’envergure : elle a assuré la paix religieuse dans tout notre système d’enseignement depuis 50 ans. Elle a permis au Québec de vivre sans trop de secousses la mutation culturelle et sociale de la Révolution tranquille, en particulier celle de la déconfessionnalisation des institutions publiques. Elle m’apparaît être la plus prometteuse pour l’avenir. Depuis les années 1970, la diversité des convictions religieuses n’a fait que s’amplifier à un rythme galopant dans la société québécoise. Ce qui me frappe aujourd’hui, devant les réactions de ceux qui s’opposent au projet de Charte de la laïcité, c’est l’inversion des attitudes historiques à l’endroit de la diversité. C’est là une importante mutation, dont il faut bien prendre la mesure pour l’avenir. L’attitude prospective : une vision d’avenir Or, pour en prendre la mesure, il faut adopter une attitude prospective. Une Charte de la laïcité, celle que propose le projet de loi 60, ne doit pas être entendue comme si elle n’avait pour but que de régler quelques problèmes ponctuels d’aujourd’hui. Cette On le sait, la religion est une réalité sociologique très importante, qui a un immense En particulier, les rapports entre les diverses religions et les pouvoirs publics ont été, et sont encore aujourd’hui dans le monde, loin d’être simples et clairs. Il est heureux que, pour l’avenir, le Gouvernement du Québec veuille, par cette Charte de la laïcité, clarifier notre conception collective de la neutralité religieuse de l’État et des institutions publiques. C’est en effet dans une perspective d’avenir qu’il faut mesurer les conséquences de tout accommodement entre un ou des groupes religieux et les institutions publiques. Pour ma part, je crois toujours que le respect des convictions de toutes les Toute projection que l’on peut faire sur l’évolution à venir de la société québécoise va dans le sens d’une diversification croissante à la fois culturelle, sociologique et Par conséquent, à ce moment-ci de notre histoire, le projet d’une Charte de la laïcité Et les universités... En tant qu’universitaire de carrière, je tiens à faire part de mon avis concernant J’ai enseigné à l’Université durant près de 60 ans. Je n’ai jamais affiché et justifié mes convictions religieuses et politiques dans les salles de cours et dans mes rapports avec les étudiant(e)s. Ce faisant, il ne m’est jamais venu à l’esprit que cette option affectait ma liberté académique, dont j’ai par ailleurs abondamment bénéficié dans mon enseignement et mes recherches. Que le professeur d’université se prononce sur des enjeux publics en tant que citoyen, Il n’y a là aucune « contrainte contraire à la liberté académique ». Je suis, on le comprendra, en profond désaccord à ce sujet avec les recteurs, et aussi avec un certain nombre de mes collègues. Je me reconnais plutôt dans le texte récemment publié dans Le Devoir par un Cela vaut tout autant dans les convictions religieuses, comme le démontre amplement Le retour du religieux Nous assistons depuis quelques années, au Québec et ailleurs, à un retour du religieux Toutes les religions, surtout les grandes religions monothéistes, ont toujours cherché, à travers les âges, à s’associer à l’autorité politique, ou à s’associer le pouvoir politique. La neutralité religieuse de l’État, promue depuis à peine deux siècles, représente le plus grand effort de clarification rationnelle des rapports entre les institutions publiques, les Églises et les religions dans les sociétés modernes. Cette nouvelle neutralité, quand encore elle est officiellement reconnue, demeure toujours très fragile. Il faut en effet tenir compte du lourd passé d’association entre les États et les religions, et surtout des pressions maintenant exercées par diverses confessions religieuses (chrétiennes, juives, islamiques) pour faire reconnaître des accommodements au sein des institutions publiques. Il est donc impérieux que l’Assemblée nationale clarifie la neutralité religieuse de l’État québécois et de nos institutions publiques, comme le fait le projet de loi 60. La paix religieuse de l’avenir en dépend. Mon appui au projet de loi 60 s’accompagne de quelques réserves. 1. Je considère, au nom de la justice, qu’on ne devrait pas exclure de leur poste de 2. La loi 60 devrait s’appliquer aussi aux écoles privées subventionnées par des fonds publics. Ces écoles sont en réalité quasi-publiques, compte tenu de l’importance des fonds publics qu’elles reçoivent. 3. La laïcisation prévue par le projet de loi 60 demeurera incomplète. Le projet de loi 60 ne touche pas tous les aspects de la laïcité dans les institutions publiques. Le projet de loi devrait donc prévoir la mise en place d’un organisme chargé de poursuivre et étendre la réflexion collective présentement engagée. Présenté à la commission parlementaire sur le projet de loi 60, Assemblée nationale du Québec, le mardi 21 janvier, 16 h (voir transcription des débats). Pour télécharger le mémoire, cliquez sur l’icône PDF ci-dessous. Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 janvier 2014 |