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mercredi 13 décembre 2006

Toxicomanie, prostitution et santé
Extrait du rapport du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, 2006






Écrits d'Élaine Audet



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Le rapport du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage

LE DÉFI DU CHANGEMENT : ÉTUDE DES LOIS PÉNALES EN MATIÈRE DE PROSTITUTION AU CANADA

[...]

« Plusieurs des témoins rencontrés pendant l’examen des lois du Sous-comité, que ce soit des personnes qui vendaient des services sexuels, des citoyens, des policiers ou des chercheurs, ont discuté de la relation drogue-prostitution. Pour certains des témoins rencontrés, les deux notions sont indissociables, particulièrement quand il est question de prostitution de rue. Le témoignage du détective Howard Page, du Service de police de Toronto, en est un exemple :

    J’ai parlé à des centaines de prostituées de la rue au cours des cinq dernières années, et cette expérience m’a permis de conclure que c’est la dépendance au crack qui les pousse à lutter pour leur survie dans la rue. Ce qui arrive, c’est que cela devient un cercle vicieux. La dépendance au crack est si forte qu’on offre, dans la rue, une dose de crack à 20 dollars. Cette dose durera 15 minutes. Ce qui arrive, c’est qu’une femme se tient sur le coin de la rue, au centre-ville, et vend son corps au client, pour aussi peu que 20 dollars pour un acte sexuel. Encore une fois, le cercle vicieux [...] elle retourne au vendeur qui se tient tout près, et se procure du crack, et le cercle vicieux continue. (1)

Parlant de la situation qui a cours dans son quartier, Agnès Connat, une résidante des Faubourgs de Montréal, a elle aussi entretenu le Sous-comité de la relation étroite qui semble exister entre la consommation abusive de drogues et la prostitution de rue. Elle a noté :

    La prostitution de rue, chez nous, est très souvent associée à la toxicomanie. L’argent reste très peu de temps entre les mains de la prostituée, et on le voit. Elle sort de la voiture avec un billet de 20 dollars et elle va directement le donner au "pusher", parce que 20 dollars, c’est le prix d’une dose. Je ne sais pas si vous le savez, mais une personne qui est cocaïnomane peut se piquer 20, 30 ou 40 fois par jour. Cela prend évidemment beaucoup d’argent et cela prend beaucoup de travail dans la rue. (2)

Bien qu’un expert ait affirmé que la relation de cause à effet entre la consommation de drogues et la prostitution n’est pas prouvée (3), il ne fait aucun doute que la prostitution constitue dans certains cas un moyen pour subvenir à une dépendance à la drogue. Cela dit, les témoignages que nous avons recueillis (4) indiquent clairement que toutes les personnes qui se prostituent à partir de la rue ne sont pas toxicomanes.

Quant à la consommation abusive de drogues chez les personnes qui pratiquent la prostitution hors rue, les études tendent à démontrer qu’elle serait beaucoup moins importante (5). Cette situation pourrait s’expliquer par le fait que, dans bien des établissements de prostitution et des agences, la consommation de drogue et même d’alcool est interdite ou fortement déconseillée (6).

Bien que les résultats des recherches sur cette question soient souvent contradictoires, il ne fait aucun doute que les personnes qui sont aux prises avec des problèmes de dépendance risquent davantage d’être exposées à toutes sortes de violences et de maladies, en raison notamment des vulnérabilités liées à leur style de vie, des échanges de seringue, etc. Selon le chef adjoint du Service de police de Vancouver, Doug Le Pard, ce sont par ailleurs les personnes qui souffrent des plus graves dépendances aux drogues qui risquent davantage d’être la cible de tueurs en série.

    Les travailleuses du sexe qui souffrent des toxicomanies les plus graves sont les plus susceptibles de devenir victimes d’un tueur en série. Leurs toxicomanies sont plus puissantes que les craintes pour leur propre sécurité. (7)

La santé des personnes qui vendent des services sexuels

Des témoins ont noté que la santé des personnes qui se livrent à la prostitution de rue est souvent fragile, particulièrement celle des personnes qui s’injectent des drogues (8). Selon des intervenants, les problèmes de santé observés chez les personnes qui se livrent à la prostitution, particulièrement celles qui le font à partir de la rue, sont divers et s’inscrivent, dans bien des cas, dans une problématique plus large reliée à l’absence d’un logement convenable. Janine Stevenson, une infirmière qui travaille auprès de personnes prostituées a noté dans son témoignage : « [C]ela va de la malnutrition au manque de sommeil, en passant par la pneumonie, des maladies de la peau [...] des troubles mentaux. » (9)

Les études ont par ailleurs démontré que les personnes qui se prostituent sans toutefois utiliser des drogues injectables ont tendance à adopter des pratiques sexuelles plus sécuritaires que la population en général, particulièrement en ce qui a trait au port du condom (10). Les connaissances accumulées sur cette question nous enseignent que les dangers d’infection auxquels sont confrontées les personnes qui se livrent à la prostitution sont davantage reliés au lien qu’elles entretiennent avec leur amoureux qu’avec leurs clients. Cette situation s’expliquerait par le fait que plusieurs d’entre elles se servent du port du condom pour différencier la prostitution de leur relation amoureuse. Il convient enfin de noter que les études de prévalence des infections au VIH reconnaissent depuis longtemps que ce sont les utilisateurs de drogues par injection qui posent les plus grands risques d’infection et de propagation d’ITSS, et non les personnes qui se livrent à la prostitution, pris collectivement (11). »

(Fin de l’extrait du rapport Le défi du changement : étude des lois pénales en matière de prostitution au Canada, Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, ministère de la Justice, Gouvernement du Canada, 2006. )

Notes


1. Détective Howard Page du Service de police de Toronto, témoignage devant le Sous-comité, 15 mars 2005.
2. Agnès Connat, membre de l’Association des résidants et résidantes des Faubourgs de Montréal, Témoignage devant le Sous-comité, 16 mars 2005.
3. Selon le criminologue Serge Brochu, la relation entre la drogue et la prostitution en serait plutôt une d’interdépendance. Voir Serge Brochu, Drogues et criminalité, une relation complexe, Montréal : Presses de l’Université de Montréal, 1995.
4. Dont John Lowman, Maggie deVries, Frances Shaver, Valérie Boucher et des personnes impliquées dans la prostitution.
5. Les études de Frances Shaver et de John Lowman, entre autres, tendent à montrer que la majorité des personnes qui se livrent à la prostitution ne consomment pas de drogues dures. Voici ce qu’a déclaré à ce sujet Frances Shaver, au cours de son témoignage : « Les conclusions de projets de recherche canadiens plus récents indiquent que beaucoup de travailleurs du sexe ne consomment pas de drogues dures, ou s’ils le font, sont à même de contrôler leur accoutumance. Il est d’autant plus probable que ceux qui travaillent hors-rue soient dans la même situation. » Voir aussi : Conseil permanent de la jeunesse, Vu de la rue : les jeunes adultes prostitué(e)s - Rapport de recherche, gouvernement du Québec, 2004.
6. Audiences à huis clos.
7. Témoignage devant le Sous-comité, 30 mars 2005.
8. Voir les témoignages devant le Sous-comité de Glenn Betteridge du Réseau juridique canadien du VIH/sida, 15 mars 2005, et de Maria Nengeh Mensah, professeure-chercheure à l’école de travail social de l’Université du Québec à Montréal, 2 mai 2005.
9. Témoignage devant le Sous-comité, 30 mars 2005.
10. Témoignage de Maria Nengeh Mensah, professeure-chercheure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, 2 mai 2005.
11. Ibid. Voir aussi Des politiques publiques saines : évaluer l’impact que les lois et politiques ont sur les droits de la personne, la prévention et les soins pour le VIH. Rapport sommaire, Réseau juridique canadien VIH/sida, 2003 ; Sex, Work, Rights : Reforming Canadian Criminal Laws on Prostitution, Réseau juridique canadien VIH/Sida, juillet 2005, p. 25-26.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 décembre 2006

Note de Sisyphe

Notons que cet extrait du rapport retient principalement les témoignages et les avis de personnes ou de groupes connus pour leur engagement à faire reconnaître la prostitution comme un travail "ordinaire" et qui croient que la décriminalisation totale est le moyen d’améliorer le sort des personnes prostituées. Certains témoins sont même liés à plusieurs sources, ce qui ne permet pas de parler de diversité des sources. C’est le cas de Maria Nengeh Mensah, professeure-chercheure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, conseillère du groupe Stella et membre du Réseau juridique canadien pour le VIH/sida (qui, incidemment, a accordé un prix au groupe Stella, il y a quelques mois).



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