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mardi 8 mars 2005 L’Association des femmes iraniennes de Montréal contre des tribunaux islamiques au Canada Une entrevue avec la présidente, Elaheh Chokrai
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Dans une entrevue qu’elle m’a accordée le 20 janvier 2005, Elaheh Chokrai, présidente fondatrice de l’Association des femmes iraniennes de Montréal (AFIM), affirme que son association est en désaccord total avec l’instauration de tribunaux islamiques et avec le rapport de Marion Boyd, pourtant connue comme progressiste et féministe. Un rapport qu’Elaheh Chokrai juge très étonnant. Après le récent débat sur le financement des écoles juives, dit-elle, comment ne pas voir dans le rapport Boyd l’influence de puissants lobbies fondamentalistes qui travaillent de manière souterraine.
Elaheh Chokrai pense que la communauté iranienne en général s’oppose à ce rapport mais, selon elle, certaines personnes font preuve de trop d’optimisme quand elles affirment que cela n’arrivera jamais au Québec. Son inquiétude se base sur le fait suivant : il y a quelques années lorsque la discussion a commencé en Ontario, des imams ont dit qu’une telle situation ne se produirait pas au Québec parce que nous avions la Charte des droits qui procurait une bonne protection. Mais aujourd’hui, les imams ont changé d’avis. É. Chokrai vient de communiquer avec un imam chiite de la mosquée iranienne de Montréal qui pense que l’instauration de tribunaux islamiques est une très bonne idée et que, si ces tribunaux existent en Ontario, pourquoi pas au Québec ? La communauté, lui a-t-il déclaré, règlera ainsi ses conflits à l’amiable, ce sera plus facile et moins coûteux. En ce qui concerne le Conseil musulman de Montréal, dont le président, Salman Elmenyawi, est favorable à l’instauration de tribunaux islamiques, il pourrait fusionner avec un autre groupe et fonder un conseil consultatif. Selon Mme Chokrai, il ne faut rien créer qui ressemble à une loi. Pour la militante iranienne, si on veut créer un conseil des sages, personne ne s’y opposera. Il y a déjà des gens qui les consultent informellement pour obtenir des conseils. Cela a toujours existé au sein de la communauté mais, insiste-t-elle, il y a danger quand cela prend l’allure d’une loi. Manque de sensibilisation La communauté iranienne n’est pas assez sensibilisée à cette question, pense Élaheh Chokrai, bien que les journaux irano-canadiens aient publié des articles sur le sujet. Ce n’est pas suffisant, ajoute-t-elle, et c’est pourquoi, à l’occasion du 8 mars, l’Association des femmes iraniennes de Montréal organisera un débat sur l’instauration de tribunaux islamiques. Y participera notamment un croyant pratiquant d’Ottawa, M. Massaeli, qui s’y connaît bien dans les lois islamiques. C’est un homme progressiste opposé à ces tribunaux d’un point de vue islamique. L’AFIM veut susciter un débat entre une position fondamentalement opposée à ces lois et une autre qui en fait une interprétation basée sur le fait qu’il y a eu des réformes dans toutes les religions et qu’on ne peut appliquer les lois comme il y a 1400 ans. Mme Chokrai est convaincue que la pression de l’opinion publique sur le gouvernement peut faire changer les choses. Des pétitions contre les tribunaux islamiques sont lancées sur Internet, celle de Homa Arjomand, Pas de charia au Canada, a reçu plus de 9 000 signatures. Des entrevues sont données aux journaux, à la radio, à la télé et Radio France Internationale a communiqué avec l’AFIM. Qu’en est-il au Québec ? En dépit de toutes ces pressions, Elaheh Chokrai craint que ces tribunaux soient instaurés au Québec. Pour elle, les acquis ici sont très fragiles. Il n’y a qu’à voir l’école non-confessionnelle dont le sort semblait réglé à vie. Des lobbies ont été très actifs sous tous les gouvernements. Par exemple, Pauline Marois affirme que le gouvernement péquiste a été approché à ce sujet mais qu’il a refusé. Maintenant, c’est le gouvernement Charest qui envisage de réintroduire la religion à l’école. Alors, s’inquiète-t-elle, on se demande si les lois sont si fermes qu’on le prétend au sein de la société québécoise… La militante iranienne est d’accord avec Pierre Maisonneuve quand il dit que le lobby le plus fort, c’est la population. Pour elle, c’est vraiment sur l’opinion publique qu’il faut compter. On a pu constater l’influence de cette dernière dans les dossiers du Suroît et du financement des écoles juives. Elaheh Chokrai rappelle le débat sur les tribunaux islamiques qui a récemment eu lieu au Musée de la civilisation. Québec n’est pas une grande ville, dit-elle, ce n’est pas Montréal, mais en hiver, au milieu de la semaine, à 18h.30, 450 personnes sont venues discuter d’une question qui n’est pas tellement la leur pour le moment. La difficulté de rejoindre les femmes juives et autochtones Un des principaux arguments pour justifier l’instauration des tribunaux islamiques, dit-elle, c’est l’existence de tribunaux d’arbitrage dans la communauté juive. Récemment, on entendait que des femmes juives se plaignaient en privée des jugements de ces tribunaux à leur égard. Les groupes de femmes musulmanes ont essayé de créer des liens avec les organisations de femmes juives mais, regrette la militante, il s’agit d’un milieu très fermé. Il semble que les femmes juives subissent aussi une forte pression de leur milieu. Elaheh Chokrai a essayé également de contacter les femmes autochtones qui sont très réticentes à se mêler à d’autres groupes et elle a été incapable d’établir un contact. L’importance de témoigner publiquement La présidente de l’Association des femmes musulmanes de Montréal regrette que si peu de femmes acceptent de venir témoigner de leur expérience des tribunaux d’arbitrage. Dans la communauté iranienne, on les a encouragées à témoigner publiquement. Elle parle de trois cas qui ont été portés à sa connaissance. Dans l’un des cas, il s’agit d’une informaticienne qui travaille. Elle est séparée de son conjoint, veut retourner en Iran, mais n’a pas de passeport iranien. Comme l’islam ne reconnaît pas le divorce civil, elle ne peut en obtenir un. C’est une femme qui parle plusieurs langues et qui est très autonome. Même si elle possède un passeport canadien, il lui faut un passeport iranien pour retourner en Iran et, pour cela, la permission de son mari. En ce qui concerne le fait de venir témoigner publiquement, elle dit qu’elle a peur de fondre en larmes devant les caméras, de nuire aux négociations entre son avocat et son ex-conjoint et que, si elle va en Iran, elle pourrait subir des représailles. Mme Chokrai parle aussi d’une autre femme qui a eu les mêmes problèmes, quand elle était en Iran. "Là-bas, elle était attendue par quelqu’un qui l’aimait, mais quand son mari a appris qu’elle voulait se séparer et retourner en Iran pour se marier, il n’a jamais voulu reconnaître le divorce. Il a déclaré qu’ils s’étaient mariés selon les lois islamiques et qu’ils devraient se séparer selon ces lois. Cela n’a pas de sens, cette fille-là travaille à l’université McGill ! Quand je lui ai demandé de venir témoigner, elle a refusé en disant qu’elle avait tellement souffert à cause de ces problèmes-là, qu’elle voulait oublier". Pour Élaheh Chokrai, tout cela vient des pressions sociales. Il y a quelques femmes qui refusent d’être intimidées par la peur et qui témoignent, mais elles subissent énormément de pressions de leur milieu. Si on reste dans notre ghetto, en gardant ses problèmes pour soi, ça n’aidera personne, selon Elaheh Chokrai. Ni soi-même ni les autres. Elle est allée au ministère des Affaires étrangères et on lui a dit qu’il y avait 70 dossiers non réglés, depuis des années, et que quelqu’un était venu de Téhéran pour essayer de les régler. Ce sont des choses qu’on ne sait pas, regrette-t-elle. Ghettoïsation et multiculturalisme Mme Chokrai pense que si on veut vraiment une meilleure intégration, comme le souhaite Marion Boyd, il faut aider les gens à trouver leur place au sein de la société, d’autant plus que ce pays a besoin de dentistes, de médecins, etc. "Dans notre association seulement, souligne la militante, il y a une dentiste, une médecin, une pharmacienne. La dentiste n’a pas de travail à l’extérieur, elle garde les enfants, celle qui est médecin est retournée à l’université de Montréal pour faire des études d’infirmière, c’est très difficile pour elle. Quant à l’autre, elle travaille comme commis de pharmacie. Si on veut qu’elles s’intègrent, il faut qu’on favorise une meilleure francisation, qu’on les aide à se trouver un emploi digne de leurs compétences". Elaheh Chokrai estime que ce n’est pas en les ghettoïsant, en leur disant d’aller régler leurs problèmes entre musulmans qu’on y arrivera. "C’est une forme de racisme sous les apparences de l’ouverture multiculturelle. Qui a formé ces tribunaux, qui les a élus, qui les connaît ? Il n’y a pas de transparence, aucune garantie qu’ils vont être démocratiques. En tant que Québécoises, serions-nous d’accord pour que nos litiges familiaux soient tranchés par l’Église ?", demande la militante qui ne connaît personne de son milieu qui soit en faveur de ces tribunaux. Certain-es craignent d’encourager l’islamophobie en dénonçant la droite musulmane, mais c’est une grande erreur, selon elle. Va-t-on se taire devant tout parce qu’on a peur de créer une phobie ? La militante ne voit pas de racisme anti-musulman dans l’opposition à l’instauration de tribunaux fondés sur la Charia. Personne ne remet en question la liberté religieuse qui appartient au domaine privé et non public. En aucun cas la religion ne doit être mêlée à la politique et il doit y avoir au Canada une seule loi pour toutes et tous. Si des tribunaux parallèles régissent le droit de la famille, ce sont les femmes qui en seront les premières victimes. Les gouvernements défendent leurs propres intérêts Quels avantages le gouvernement peut-il trouver à la création de tels tribunaux ? ai-je demandé à Elaheh Chokrai. Le système juridique coûte cher, dit-elle, et les gouvernements pensent que si les communautés peuvent régler leurs problèmes entre elles, l’État fera des économies. "Ils veulent se donner bonne conscience sous des apparences de justice envers les communautés culturelles. Les gouvernements sont poussés par un lobby très fort et réagissent en fonction de leurs propres intérêts économiques et politiques". Lors du passage de Chirine Ébadi à Montréal, Mme Chokrai a pu s’entretenir avec le ministre de la Justice, Irwin Cotler, et lui a fait part de son inquiétude comme membre de la communauté iranienne. Le ministre lui a assuré qu’aucune loi n’allait être adoptée au Canada si elle contrevenait à la Charte des droits. Selon E. Chokrai, tout est contraire à la Charte des droits : "Il n’est pas seulement question du droit commercial, dit-elle, mais de ce qui concerne les femmes. C’est désastreux. Il y a l’habillement, le port du foulard, la garde des enfants, etc." Formation d’une vaste coalition L’AFIM est d’accord avec le Conseil canadien des femmes musulmanes qui lutte contre l’instauration de tribunaux fondés sur la charia au Canada. Un musulman avec qui elle partageait une tribune a déclaré que le Conseil ne représentait pas les 600,000 musulmans au Canada. Mais quelle organisation représente toute une communauté, s’exclame la militante iranienne ! C’est la plus grande organisation de femmes musulmanes ici et elle compte plus de 1000 membres. En passant, Elaheh Chokrai souligne que le livre de Vida Amirmokri, L’islam et les droits de l’homme - L’islamisme, le droit international et le modernisme (Presses de l’Université Laval, 2004) représente une bonne source d’information. Elle est confiante que la conscience fasse son chemin. La lutte contre les conclusions du rapport Boyd s’organise et de nombreux événements sont prévus afin de former une vaste coalition pour sensibiliser la population et barrer la route aux tribunaux islamiques. – Voir : Assemblée d’information 17 mars, Sharia et droits des femmes...Quels enjeux ? Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 février 2005. Suggestions de Sisyphe – « Moi, fille d’immigrés, pour l’égalité et la laïcité », par Fadela Amara, Sisyphe, 2 mars 2005.
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